
4 novembre 2024 - La famille de Naji Nidal Naji Al-Baba, 14 ans, pleure et lui fait ses adieux lors de ses funérailles après qu'il a été tué par les forces coloniales israéliennes par des tirs à balles réelles à Halhul, au nord d'Hébron, en Cisjordanie occupée. A cette date et depuis le 7 octobre 2023, au moins 736 Palestiniens ont été assassinés par les forces israéliennes en Cisjordanie, dont environ 165 enfants, selon l'ONU. Parmi eux, 36 ont été tués par des frappes aériennes et 129 par des tirs à balles réelles, « la plupart visés à la tête ou sur le haut du corps » - Photo : Mosab Shawer / Activestills
Dans ce minuscule point sur la carte du monde, sous un siège terrestre, maritime et spatial, poussent des générations qui ne connaissent de l’enfance que le nom.
Dans la bande de Gaza, où la guerre n’est pas un événement exceptionnel mais une réalité quotidienne, les enfants grandissent au son des explosions plutôt qu’à celui des éclats de rire qui ponctuent leurs jeux, accompagné par l’odeur de la poudre au lieu du parfum délicat des jardins. Aller à l’école devient une occasion rare, au lieu d’une routine quotidienne.
Dans de nombreuses régions de ce monde, l’enfance rime avec jeu, joie et découvertes. Elle évoque la première bicyclette, le cartable coloré, et les cris de joie sur les terrains de jeu du quartier. Mais à des milliers de kilomètres de cette image idyllique, dans Gaza assiégée, l’enfance signifie tout autre chose : terreur et privation.
Dans le monde naturel, l’enfance grandit baignée dans les couleurs, tandis qu’à Gaza, les couleurs sont remplacées par la cendre, et le jeu par la terreur. Ici, l’enfant ne se réveille pas au son d’une chanson matinale, mais au fracas d’une explosion. Il n’apprend pas les noms des fleurs, mais ceux des avions de guerre, et parfois ceux des martyrs qui étaient ses voisins de classe.

2 juillet 2025 – Des mères font leurs adieux à leurs enfants et à leurs maris qui ont été tués alors qu’ils tentaient de trouver un minimum de nourriture à Rafah – Photo : Doaa Albaz / Activestills
Gaza n’est pas seulement un nom qui revient sans cesse dans les bulletins d’informations, c’est aussi le foyer de plus de deux millions de personnes, dont près de la moitié sont des enfants ; des enfants nés au cœur de la tragédie, qui ne connaissent du monde que la fumée et le bruit des explosions.
L’enfant à Gaza ne commence pas sa vie avec un nouveau jouet ou une histoire avant de dormir, mais au son des détonations, et en s’exerçant à protéger sa tête lors des bombardements.
C’est une enfance qui ne ressemble à aucune autre ; tandis qu’ailleurs leurs semblables grandissent au rythme des histoires de dessins animés et des jeux vidéo, les enfants de Gaza grandissent entourés d’images de cadavres, de décombres, à la recherche d’abris, d’eau potable, ou d’une charge électrique qui ne dure que quelques heures.
Gaza n’est pas seulement un lieu où naissent ces enfants, c’est aussi un terrain où ils vivent les pires formes de perte, de peur, et des responsabilités qui surviennent bien trop tôt. Dans ce territoire assiégé de toutes parts, grandir est un défi, et survivre, un miracle.
Dans la ligne de feu
L’enfance à Gaza n’est pas comme celle que nous connaissons ailleurs dans le monde ; il n’y a ni terrains de jeux sûrs, ni jardins publics, ni jeux de loisirs. L’enfant gazaoui ouvre les yeux sur des scènes de destruction, et entend dès ses premières années des mots tels que : bombardement, siège, invasion, martyre ; des mots qui ne devraient jamais faire partie du vocabulaire d’un jeune enfant.
L’enfance est une une période d’innocence, de pureté, d’apprentissage et de jeu, mais à Gaza, elle est une lutte pour la survie.
Depuis le début de la guerre en 2023, la situation humanitaire ne cesse de se détériorer, transformant la région en un environnement étouffant qui menace tous les aspects de la vie, et en premier lieu, l’enfance.
L’école : un rêve inaccessible
L’éducation est censée être un droit fondamental pour chaque enfant, mais à Gaza, elle devient un rêve ; les écoles sont bombardées ou utilisées comme refuges pour les déplacés, et les enfants vivent des interruptions dans leur scolarité, ce qui affecte leur niveau d’apprentissage et leur stabilité psychologique.
A un âge si tendre, les enfants portent leurs livres parmi les décombres, et étudient sous une tente délabrée sans électricité ni aération, souvent interrompus par le bruit des avions ou les alertes aux raids aériens. Avec le manque de nourriture, d’enseignants et de matériel pédagogique, la qualité de l’éducation est en péril, et l’enfant de Gaza perçoit que son avenir lui est lentement volé.
Jouer dans l’ombre : des jardins aux décombres
Le jeu fait partie intégrante du développement de l’enfant, car il développe ses capacités physiques, mentales et sociales. Mais à Gaza, il n’y a pas de terrains de jeu, ni même d’espaces sûrs pour jouer ; les jardins publics se sont transformés en camps de réfugiés.
En l’absence d’espaces dédiés au jeu, les enfants jouent sur les décombres, ce qui les expose aux blessures, voire à la mort. Certains trouvent même dans les restes d’obus et les ruines des maisons des objets pour s’amuser, un spectacle qui résume leur tragédie et reflète à quel point être un enfant à Gaza est une expérience de tous les dangers.
Souvent, la rue se transforme en terrain de jeu, mais même ce « luxe » est périlleux ; les avions peuvent apparaître soudainement, et les explosions peuvent éclater à tout moment. Pourtant, ils jouent. Les enfants cherchent toujours un espoir, une lueur, même au milieu du chaos.
L’enfant à Gaza ne joue pas à « policier et voleur » comme dans la plupart des pays du monde, mais à « secouriste et martyr ». Ce sont ses jeux, qui reflètent son environnement et sont un miroir direct de ce qu’il voit chaque jour.
Des blessures invisibles
La souffrance des enfants de Gaza ne se mesure pas seulement à la destruction visible, il existe une souffrance plus profonde et plus dangereuse : les blessures psychologiques.
La plupart des enfants de Gaza ont été témoins de scènes qu’aucun être humain, et encore moins un enfant, ne devrait voir : la perte d’un parent, les bombardements nocturnes, les cris de terreur, et les explosions qui les réveillent en pleine nuit.
Beaucoup d’enfants présentent des symptômes de trouble de stress post-traumatique : mouiller leurs lits, cauchemars, accès de colère, repli sur soi, voire perte de volonté de vivre. Malgré certaines initiatives locales et des organisations humanitaires qui essaient d’apporter un soutien psychologique, les besoins dépassent largement les ressources disponibles.

Les Palestiniens de la bande de Gaza n’avaient pas grand-chose à célébrer à l’occasion de l’Aïd al-Fitr, avec des réserves alimentaires en baisse rapide et aucun signe de fin des bombardements israéliens. De nombreuses personnes ont prié devant des mosquées détruites le jour marquant la fin du mois de jeûne du ramadan, alors qu’au moins 22 Palestiniens ont été assasinés dimanche, pour la plupart des femmes et des enfants. La fête musulmane est censée être un moment joyeux, où les familles se réunissent pour festoyer et acheter de nouveaux vêtements aux enfants, mais la plupart des deux millions de Palestiniens de Gaza tentent simplement de survivre – Capture vidéo Al-Jazeera
Imaginez un enfant de cinq ans assistant au bombardement de sa maison, à la perte d’un parent, vivant dans une tente sans électricité ni eau, et à qui l’on demande de s’adapter. Ces accumulations de traumatismes laissent des cicatrices profondes difficiles à guérir.
Ce qui est encore plus douloureux, c’est que la plupart des familles manquent de savoir ou de ressources pour faire face aux troubles psychologiques. Et face aux priorités urgentes de la vie – la nourriture, les médicaments et la sécurité – la santé mentale est reléguée au dernier plan, si tant est qu’elle figure sur la liste.
Des rêves en état de siège
Malgré tout cela, il subsiste encore des étincelles d’espoir qui scintillent dans les yeux des enfants de Gaza. Ils rêvent de devenir médecins, enseignants, ingénieurs, ou même artistes.
Sur les murs en ruines de leurs écoles, ils dessinent les scènes d’une mer paisible ou d’un soleil éclatant, et écrivent de petits poèmes qui traduisent leurs rêves de liberté et de paix.
Mais une question demeure : Comment un enfant peut-il rêver et réaliser ses ambitions s’il est assiégé par la faim, la peur et la destruction ? Comment l’enfance peut-elle s’épanouir dans un environnement qui ne fournit même pas les besoins vitaux les plus élémentaires ?
La souffrance continue des enfants de Gaza n’est pas seulement une tragédie humaine, c’est une tache de honte sur la conscience du monde.
Les enfants en situation de handicap : une souffrance décuplée
Des milliers d’enfants à Gaza sont atteints de handicaps permanents, parce qu’ils ont été blessés suite aux bombardements directs ou à cause d’un retard dans l’accès aux soins médicaux dû au siège.
Certains ont perdu des membres, d’autres souffrent de lésions cérébrales, de brûlures graves, de surdité ou de cécité. Sans rééducation adéquate, ces enfants restent prisonniers de leur handicap et de la privation à la fois.
Les fauteuils roulants sont en mauvais état et difficiles à obtenir, les prothèses ne sont pas disponibles, et les rues ne sont pas adaptées aux personnes à besoins spécifiques. Ces enfants vivent une double exclusion : de la société et des services essentiels.
Certains diront peut-être que ce qui se passe à Gaza est une affaire politique. Mais en quoi les enfants sont-ils responsables ? Le siège peut-il justifier qu’un enfant soit privé d’éducation, de nourriture ou de sécurité ? Y a-t-il une guerre qui justifie le bombardement des écoles et des hôpitaux ? Et si le monde est impuissant face aux guerres, est-il aussi tout impuissant à protéger les enfants ?
La communauté internationale est appelée, voire obligée, à prendre des mesures concrètes, urgentes et réalisables : comme le soutien humanitaire, le financement de l’éducation et de la santé, et la création d’espaces sûrs pour les enfants au lieu des seules déclarations de condamnation.
Sinon, nous contribuerons à former une génération marquée par des blessures émotionnelles et psychologiques profondes, simplement parce qu’elle est née au mauvais endroit, au mauvais moment.
En conclusion, les enfants de Gaza ne demandent pas l’impossible, mais ce qui est accordé automatiquement aux autres dans le monde : la sécurité, l’éducation et le droit de jouer. Leur enfance n’est pas une faute, et leur souffrance ne doit pas être leur destin imposé.
Ils méritent de vivre, pas seulement de survivre, de rire, pas seulement de se cacher.
Auteur : Mohamed Abou Mouhissen
* Mohamed Abou Mouhissen est un Palestinien qui documente la mémoire collective et les récits de vie à Gaza.
22 septembre 2025 – The Palestine Studies – Traduction de l’arabe : Chronique de Palestine – Fadhma N’Soumer
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