Gaza : Pourquoi Israël a-t-il détruit le Centre culturel Said Al-Mishal ?

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Ce qui susbiste du centre culturel rasé par les bombardements israéliens - Photo : MaanImages

Par Shahd Abusalama

Pourquoi bombarder le centre culturel Said al-Mishal? Comme beaucoup à Gaza, je reste sous le choc. Ma langue ne peut pas trouver les mots justes pour pleurer cet effacement de nos souvenirs et de notre culture, et mes larmes ne peuvent pas soulager la lourdeur dans mon cœur. C’est un cauchemar éveillé que je partage avec beaucoup de jeunes Palestiniens de Gaza pour qui ce centre n’était pas simplement un bâtiment.

C’est difficile à écrire. L’équipe de @GazaCinema pleure la destruction du centre culturel Said Al-Mishal, totalemet détruit hier par des avions de combat israéliens qui ont frappé le bâtiment de cinq étages avec 10 roquettes à #Gaza.
Lisez : #Update https://t.co/VErQDX4MPR pic.twitter.com/OIRuaCAhaz

— Gaza Children Cinema (@GazaCinema) August 10, 2018

Al-Mishal était l’un des rares endroits à Gaza – l’une des zones les plus densément peuplées de la planète – où il nous a été possible d’échapper à l’étouffement que nous subissons. Certains de mes souvenirs les plus vifs sont attachés à cet endroit. Je me souviens de mes fréquentes retrouvailles avec mes amis et ma famille pour un spectacle ou une pièce de théâtre et d’autres activités culturelles. Je me souviens de l’époque où je dansais la Dabka sur scène et sautais joyeusement comme un oiseau libre en voyant le public si séduit, souriant, chantant, applaudissant et faisant un effort pour rester assis. Je me souviens des promenades que nous avons passées de là à la plage pour manger quelque chose ou prendre une boisson pendant que nous regardions le coucher du soleil.

Le Centre a été aplati au sol. Le son horrible de cette frappe aérienne résonne encore dans ma tête et les images de sa destruction me gardent éveillée la nuit.

Le #almishalCultureAndArts va manquer à des milliers d’enfants de #Gaza.
Un endroit où ils ont assisté à des spectacles et célébré des remise de diplômes … #Israël est la définition même du terrorisme.
Que va faire l’ @UNESCO pour un tel crime ? pic.twitter.com/rNSlNQgkEN

— Bahaauddin Alghoul (@bahaa_alghoul) August 9, 2018

Pour les forces d’occupation israéliennes, il a suffit d’appuyer sur un bouton, et ils ont ainsi détruit nos précieux souvenirs. Ils nous ont dépouillé de l’une des rares fenêtres de bonheur et d’apaisement qui ont rempli nos cœurs lorsque nous nous sommes rencontrés pour produire des événements culturels, célébrer notre culture, chanter, danser la Dabka et rire. Contre toute attente, cet espace existait, mais constituait apparemment une “menace” pour Israël, et qui devait être éliminée. La seule raison de la destruction d’un tel bâtiment est de rendre nos vies encore plus invivables.

Ayman Qwaider, un utilisateur de Twitter vivant en Australie, a déclaré que le bâtiment a été le lieu où une initiative communautaire, Gaza Cinema, organisait des séances de cinéma. “J’ai beaucoup de bons souvenirs de cet endroit”, a-t-il écrit.

J’écris ce tweet avec des larmes et un profond sentiment d’impuissance. Aujourd’hui, des avions de combat israéliens ont bombardé le centre culturel Said Al-Mishal, qui abrite le deuxième plus grand théâtre de Gaza. Le centre est l’un des endroits où @GazaCinema organisait ses projections de films. J’ai beaucoup de bons souvenirs de cet endroit. pic.twitter.com/bfnrx3Vwkn

— Ayman Qwaider (@aymanqwaider) August 9, 2018

Said al-Mishal à Gaza était plus qu’un lieu de production et de célébration de la culture palestinienne. C’était un moyen de survie nécessaire pour 75% de la population de Gaza, pour les jeunes de tout âge, isolés dans leur enclave – l’une des zones les plus densément peuplées de la planète – subissant une réalité misérable, sans espaces pour s’amuser, pour faire preuve de créativité, pour résister à travers l’art.

Le centre culturel Said al-Mishal était peut-être une très bonne représentation de la lutte palestinienne : produit dans des circonstances hors du commun, voulant désespérément s’exprimer, être visible, être reconnu… mais pour finir réduit au silence par les forces d’occupation.

Plus tôt aujourd’hui, des avions de combat de Tsahal ont ciblé un bâtiment de cinq étages à Rimal, dans le nord de Gaza. Les forces de sécurité intérieure du Hamas utilisaient ce bâtiment à des fins militaires pic.twitter.com/bGbdzDczDy

— IDF (@IDFSpokesperson) August 9, 2018

Le paysage familier de Gaza a subi un processus de distorsion et d’éradication. En 2014, une attaque contre Gaza a fait disparaître des quartiers entiers. Les bâtiments qui étaient comme des repères pour nous, où nous passions et rencontrions des amis, ont été transformés en décombres en quelques années.

Je ne peux pas imaginer retourner à l’endroit où j’ai passé mon enfance et le début de l’âge adulte – après cinq ans d’absence forcée – et d’être incapable de le reconnaître à cause des terribles et massives destructions qu’Israël lui a infligées. Pouvez-vous imaginer de ne plus pouvoir retrouver vos paysages familiers à cause d’une machine de destruction ?

C’est traumatisant. Et ce qui est encore plus traumatisant, c’est que nous savons que le théâtre Said al-Mishal n’a pas été la première institution culturelle à être prise pour cible et ne sera pas la dernière. Cela dit, on ne peut pas considérer ce crime en dehors de l’effacement et de l’élimination systématiques de l’existence, de l’histoire et de la culture palestiniennes depuis 1948.

Depuis la création d’Israël, parallèlement à la destruction de la Palestine historique et à la purification ethnique des Palestiniens, les milices sionistes ont volé des milliers de livres, peintures, enregistrements musicaux et autres artefacts dans des maisons, bibliothèques et bureaux gouvernementaux palestiniens.

Il s’agissait d’une politique coloniale délibérée visant à effacer la Palestine de la mémoire historique et à effacer toute trace pour les peuples autochtones, leur histoire et leur identité culturelle. Il devenait alors plus facile de revendiquer une réalité imaginaire où “les Palestiniens n’existent pas” – comme le premier ministre israélien Golda Meire l’a dit franchement en 1969 – ou représenteraient une poignée de tribus primitives et sans culture.

Même s’ils effacent toutes nos traces en Palestine, nos corps continueront à porter l’évidence traumatique de ces crimes sionistes permanents. S’ils effacent notre patrimoine culturel matériel, ils ne parviendront pas à effacer notre mémoire. Nous resterons la preuve vivante qui défie les mythes historiques et l’image de soi angélique qu’Israël veut se donner.

11 août 2018 – Palestine From my Eyes – Traduction : Chronique de Palestine