Le Trumpisme est là pour longtemps

Photo: archives
Photo: archives

Par Anna Jacobs

Le résultat de l’élection états-unienne de 2020 est encore incertain, car aucun des deux candidats n’a encore obtenu les 270 voix du Collège électoral nécessaires pour remporter la présidence.

Il semble que Biden se rapproche insensiblement de la victoire après avoir remporté le Michigan et le Wisconsin très disputés sur le fil du rasoir et avoir potentiellement fait basculer l’Arizona, mais les décomptes restent trop serrés dans plusieurs états pour déclarer les résultats. Le camp Trump a déjà engagé des poursuites judiciaires en Pennsylvanie, dans le Michigan, et en Géorgie, se préparant à contester les résultats.

Un plus grand nombre d’Américains ont voté lors de cette élection que jamais auparavant, mais quel que soit le résultat la vague bleue qu’espéraient les Démocrates ne s’est pas matérialisée.

Alors que nous avions les yeux rivés sur les vicissitudes électorales de la course à la présidence et que nous essayions de déchiffrer les résultats et les implications de cette élection sans précédent, nous ne devrions pas oublier ce qui se passe au niveau des élections au congrès. Si les Démocrates ont gardé le contrôle de la Chambre des Représentants, les Républicains y ont fait des gains importants. De plus, même si le contrôle du Sénat états-unien demeure officiellement incertain, les résultats actuels font penser que les Républicains pourraient en garder le contrôle.

En d’autres termes, même en cas de victoire de Biden, les Républicains ont déjoué les pronostics. Trump a fait beaucoup mieux que ne l’avaient prédit les sondages et la plupart des experts, certains des scrutins les plus serrés au Sénat et à la Chambre n’ont pas donné la victoire aux Démocrates. En période de COVID-19, de difficultés économiques, et de divisions politiques tendues, comment les Républicains réussissent-ils à se maintenir, même si c’est par un fil ?

Le Trumpisme demeure populaire

On ne peut nier que Donald Trump ait changé le parti Républicain, et même s’il perd cette élection, il ne disparaitra pas. Lui et ses partisans constituent une énorme force politique en Amérique.

Trump a remporté au moins 68 millions de voix selon le décompte actuel. Il a remporté l’état pivot crucial de Floride avec une marge plus importante qu’en 2016, en partie, grâce à l’accroissement du soutien des Américains d’origine cubaine, et plusieurs des scrutins incertains ne dépendent que de quelques milliers de voix.

Dans les derniers jours qui ont précédé l’élection, Trump a mobilisé sa base en menant une opération éclair de 17 rassemblements en Pennsylvanie, dans le Minnesota, dans le Michigan, dans l’Iowa, en Caroline du Nord, en Géorgie, et en Floride. Ses arguments de clôture dégoulinaient de théories du complot sur les médecins qui gonfleraient le nombre de morts dues à la COVID-19 par appât du gain, de menaces de licenciement du Dr Anthony Fauci, le plus grand spécialiste en maladies infectieuses du pays, et d’attaques contre Laura Ingraham, animatrice de Fox News parce qu’elle portait un masque. Dans les derniers jours de l’élection, le nerf de la guerre est moins la persuasion et davantage la participation électorale, et cette stratégie de galvanisation de sa base semble avoir porté ses fruits.

En outre, beaucoup d’entre nous supposaient que le taux de participation record serait la clé d’une vague bleue. Ceci s’est également avéré faux. A coup sûr, la participation élevée et le vote par correspondance semblent devoir garantir la Maison Blanche aux Démocrates, mais ils ne se sont pas traduits par des gains plus importants an Sénat ou à la Chambre.

En fait, les données sur l’inscription sur les listes électorales dans des états clés comme la Floride, la Pennsylvanie, et la Caroline du Nord montrent que davantage de personnes s’inscrivaient comme républicains que comme démocrates. Il n’est pas clair quel impact ceci a pu avoir, après tout, car les résultats en Caroline du Nord et en Pennsylvanie sont toujours incertains, mais la victoire confortable de Trump en Floride ferait penser que la flambée des inscriptions sur les listes électorales chez les Républicains a été un frein à la vague bleue démocrate.

C’est l’économie, imbécile

L‘une des constantes tout au long du cycle électoral, malgré la pandémie de COVID-19 et la récession économique, a été la perception chez les électeurs que Trump est meilleur pour l’économie. Des données de sondages ont montré que les électeurs avaient tendance à faire davantage confiance à Trump qu’à Biden pour la gestion de l’économie. Davantage d’électeurs avaient une vision favorable de l’économie avant la pandémie de COVID-19, et beaucoup n’ont pas attribué à Trump la responsabilité des répercussions du virus sur l’économie.

La stratégie de Trump tout au long de l’année, et en particulier dans les derniers jours, a été de mettre l’accent sur l’économie pré-COVID, les gains boursiers, et un chômage bas. Il a soulevé le spectre du socialisme, du communisme, et de la gauche radicale comme une menace pour la reprise économique. Il a incriminé la Chine pour la pandémie de coronavirus et a esquivé sa responsabilité dans la gestion de la crise sanitaire publique. Sa cote de popularité tout en état basse (environ 44 pour cent le 31 octobre, n’était pas aussi basse que l’on aurait pu s’y attendre étant donné l’augmentation du taux des décès dus à la COVID-19 et à une avalanche d’autres problèmes, et sa stabilité a été particulièrement remarquable.

Un programme conservateur est toujours populaire

De nombreux électeurs choisissent Donald Trump en fonction d’une ou deux mesures politiques qui leur tiennent à cœur. Souvent, cela signifie qu’ils le choisissent parce qu’il privilégie des priorités conservatrices clés. Parmi lesquelles la promotion du droit au port d’armes garanti par le deuxième amendement et de la législation contre le droit à l’avortement ; la nomination de juges conservateurs qui vont soutenir ce programme à tous les niveaux du système judiciaire fédéral, l’opposition au mariage gay et la réduction des droits LGBTQIA.

A bien des égards, Trump a respecté ses promesses au parti Républicain, en particulier par le biais de la nomination de juges fédéraux conservateurs. Les audiences pour la confirmation de la nomination par Trump de la troisième juge à la Cour Suprême, la juge Amy Coney Barrett, juste avant l’élection a peut-être mobilisé encore plus sa base.

Les Républicains éliminent les électeurs des minorités

Le parti Républicain, et Donald Trump en particulier, utilisent la suprématie blanche et le racisme pour alimenter la peur et attiser les flammes de la division. Au-delà de la COVID-19 la vie américaine a été ébranlée cette année par les divisions politiques et sociales engendrées par la violence policière, le racisme institutionnel, et la suprématie blanche. Trump, notamment, n’a pas condamné la suprématie blanche lors de son premier débat présidentiel parce qu’une proportion significative des ses partisans adhèrent à cette idéologie.

Un autre élément considérable de cette élection auquel il nous faudra porter une attention particulière dans les jours prochains, c’est l’élimination de certains électeurs. Les Démocrates cherchent à accroître la participation et le vote des minorités, alors que le parti Républicain vise systématiquement à les éliminer parce que souvent ils remettent en cause leurs chances de victoire électorale. Cette stratégie du racisme institutionnel est une raison majeure pour laquelle les Républicains continuent de gagner les élections.

En 2013, la Cour suprême à invalidé un élément clé de la Loi sur le Droit de Vote, texte législatif essentiel adopté en 1965 pour empêcher l’élimination de facto du vote africain-américain, et depuis lors, les Républicains ont fait pression et adopté des mesure afin d’affaiblir le pouvoir électoral des minorités, comme l’adoption de lois plus strictes sur l’identification des électeurs, la restriction du vote anticipé, et la fermeture de bureaux de vote – mesures qui toutes rendent plus difficile l’exercice du droit de vote pour tous les Américains, mais qui ont un impact disproportionné pour les minorités.

Malgré tout, le taux de participation record va probablement permettre aux Démocrates d’accéder à la Maison Blanche, mais nous devrions examiner de très près l’impact des tactiques visant à éliminer des électeurs dans les états pivots clés où les résultats demeurent incertains.

Trump est peut-être bien sur le départ, mais pas le Trumpisme

Il reste beaucoup d’incertitudes quant à l’élection états-unienne. La présidence et le contrôle du Sénat états-uniens sont toujours dans la balance. Mais une chose est déjà claire : même si Biden remporte la présidence, Donald Trump et les Républicains ont défiés les attentes – et prouvé, une fois de plus, que nous ne devrions, pas croire les sondages.

Un rejet décisif du Trumpisme et du parti républicain ne s’est pas matérialisé comme beaucoup d’entre nous l’espéraient.

* Anna Jacobs chargée de recherche sur la politique américaine. elle est basée à Doha. Son compte Twitter.



5 novembre 2020 – al Jazeera – Traduction: Chronique de Palestine – MJB