L’affaire de la grenade

Photo : réseaux sociaux

Par Samah Jabr

Une nouvelle du Docteur Samah Jabr.

La propriétaire de la maison est arrivée au tribunal, sans rien avec elle si ce n’est l’expression de la vérité. Elle n’a pas utilisé les services d’un avocat ni préparé de dossier, puisqu’il n’était question que d’une grenade.

Le colon est arrivé portant de gros dossiers avec des cartes et des photos, et escorté d’une ribambelle d’avocats et de faux témoins qui se sont présentés comme des amis et des voisins du frère de l’accusée.

L’accusation portée contre la propriétaire de la maison était qu’elle se serait introduite dans le jardin et y aurait cueilli une grenade.

Elle expliqua que le jardin fait partie de sa maison et que son père avait lui-même planté le grenadier, et que l’aĝe du verger dépasse celui du colon.

Les avocats ont alors rétorqué qu’elle ne possède pas de documents attestant son droit de propriété, ce à quoi elle a rétorqué qu’elle a hérité de la maison et du jardin de son père, après s’être assurée que son unique frère ne lui dispute pas le bien. Les gens du village ne contestant pas son héritage car son père était connu comme une personne généreuse.

C’est la raison pour laquelle elle n’a pas sollicité un nouveau titre de propriété.

Les avocats ont à ce moment-là sorti des documents soit-disant signés par son frère, tué lors d’une manifestation un an auparavant.

Ils ont prétendu que son frère avait vendu la maison et le jardin au colon avant sa mort, et des faux témoins ont surenchéri par rapport à l’affirmation du tribunal selon quoi les papiers signés par son frère et enregistrés par un cabinet d’avocats ayant pignon sur rue, étaient valides.

Un ancien camarade d’école du frère a déclaré : « c’est bien son écriture, que je connais bien. » Son ancien voisin a dit de son côté : « Je l’ai vu de mes yeux signer ces papiers. » Et un troisième : « Le terrain défini par ses limites – de la corde à étendre le linge jusqu’au carré planté de menthe – est la propriété du colon. »

Ces affirmations ont paru convaincantes au juge, et ont semé le doute sur les dires de la jeune fille. Selon les propos du juge, comment son frère aurait-il eu à lui disputer l’héritage de la maison, puisque les hommes ne lèguent rien aux femmes !

La jeune fille s’est alors souvenu d’une photo q’elle gardait avec affection dans son porte-feuilles.

Elle exhibe la photo de son frère, laquelle montre un petit enfant amputé des deux mains après un bombardement de son école lorsqu’il était en classe préparatoire.

Elle posa la question : « Comment un amputé des deux mains pourrait-il signer ces papiers ? »

Embarrassé, le juge dit : « Oh !… Ces longues contestations sont pleines de contradictions. »

La séance fut levée, et le tribunal décida ce qui suit : l’accusée n’a pas pu nier avoir cueilli la grenade sans demander l’autorisation ; et vu que le tribunal craint que l’accusée ne cueille d’autres grenades, il a été décidé de tenir celle-ci à distance de la maison et du jardin, le temps que le tribunal éclaircisse le fait de la signature du frère pourtant amputé des deux mains.

De plus, l‘accusée devra rembourser les charges du procès ainsi que les honoraires des avocats, et les frais supportés par les témoins.

Laissant derrière elle le colon, le tribunal, l’accusation, les faux témoins, la propriétaire de la maison n’a plus comme recours que d’invoquer Dieu, auprès de quitter personne n’est jugé à tort, le jour où les protagonistes se retrouveront devant le tribunal céleste.

Nous attirons votre attention sur le fait que toute ressemblance avec les personnes ou avec les faits mentionnés dans ce récit, ne serait que fortuite.

Décembre 2021 – Transmis par l’auteur et traduit de l’arabe par Fahd Touma