La gauche italienne et la Palestine : c’est maintenant ou jamais !

Mur d'apartheid
"Si nous nous lavons les mains du conflit entre les puissants et les faibles, nous nous rangeons du côté des puissants - nous ne restons pas neutres" - Photo : Archives

Par Romana Rubeo

Tracer dans le temps la position de l’Italie sur la Palestine signifie, à certains égards, suivre la même voie douloureuse que celle qui a marqué la dérive de la gauche italienne, l’abandon des valeurs qui l’ont caractérisée et ont fait sa grandeur, l’échec dans nos objectifs et la disparition de nos repères.

La même pesanteur qui caractérise l’action de la gauche dans tous les domaines se reflète aussi dans sa politique étrangère : personne n’adopte de position claire et tout semble entouré d’une certaine confusion idéologique quant aux principes fondamentaux qui devraient guider nos choix.

Depuis de nombreuses années, la gauche italienne a été un point de référence important pour le mouvement de libération palestinien, mais même dans ce domaine spécifique, nous ne sommes pas parvenus à nous extraire du néolibéralisme et de la rhétorique islamophobe après le 11 septembre. Pressés sur tous les fronts, nous avons cédé la place au récit dominant de l’adversaire, en adoptant ses catégories conceptuelles.

Pendant les opérations militaires israéliennes dans la bande de Gaza, une partie de la gauche a essayé de s’exprimer, mais même dans ce cas, cela n’a pas été fait en référence à un solide fondement théorique – indispensable pour éviter la rhétorique vide d’un intérêt purement humanitaire – mais en se concentrant uniquement sur la brutalité [de l’attaque israélienne] et les estimations approximatives du nombre de morts, sans attirer l’attention vers la racine même des problèmes.

Le mouvement de résistance palestinien fait partie d’une lutte de libération à plus grande échelle contre l’impérialisme, le colonialisme et le néo-colonialisme, et pour cette raison il est toujours un élément essentiel pour comprendre la région du Moyen-Orient. Il est fondamental pour un parti de gauche ou un mouvement d’adopter cet angle vue.

Ces derniers mois a eu lieu un débat passionné sur l’avenir de la gauche en Italie et sur la possibilité de créer une nouvelle organisation capable de représenter une alternative viable au démantèlement complet des valeurs qui ont façonné notre histoire et nos traditions les plus nobles.

En tant que militante, je suis convaincue que ce nouveau mouvement ne peut pas rester silencieux face à ce qui se passe en Palestine et, plus généralement, au Moyen-Orient. Là encore, l’écart qui nous sépare des politiques de Matteo Renzi semble infranchissable : les déclarations de notre Premier ministre à la Knesset étaient incisives et claires; elles ont mis en évidence un chemin bien défini, identique à celui que l’Italie a suivi au cours des dernières décennies.

Il a déplacé la question du droit à la résistance du côté du puissant (l’État d’Israël) et a affiché la volonté italienne de se tenir debout aux côtés d’Israël dans ce défi. Après cela, la référence à la « solution à deux États » réitérée avec le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas le lendemain à Bethléem, semblait encore plus vide de sens et purement rhétorique. Et aujourd’hui l’histoire se répète, avec les commentaires inexacts et absurdes de Renzi sur la résolution de l’UNESCO [à propos du statut de Jérusalem].

Construire un mouvement de gauche qui ne soit pas subordonné à la perspective dominante de l’Histoire est un véritable défi: je crois que la discussion doit être franche et ouverte dans tous les domaines et en particulier en ce qui concerne la question palestinienne.

À mon avis, le mouvement de gauche à construire devrait se débarrasser de certains tabous et reconsidérer ses choix dans le cadre d’un système théorique clair, afin de développer une pensée et une nouvelle orientation qui soient indépendantes.

Par exemple, nous ne pouvons pas considérer le BDS comme un tabou : Matteo Renzi l’a qualifié de “stérile et stupide”. Au mieux, elle est présentée comme une mesure qui empêche la construction de ponts pour la liberté et la coexistence, comme l’a déclaré l’écrivain populaire JK Rowling. Une telle position ne tient évidemment pas compte du contexte de l’apartheid dans lequel vit le peuple palestinien, et elle nie aussi le droit à une forme de résistance non violente, soutenue internationalement en ce qui concernait Afrique du Sud.

Un autre tabou dont nous devrions nous débarrasser est la condamnation sans réflexion de toutes les formes de violence, qui conduit souvent à une lecture à courte vue des faits, sans le filtre de la lentille du droit du peuple à la résistance. L’Italie, comme nous le savons, est née de la Résistance. Nous devrions être fiers de notre histoire et exprimer notre pleine solidarité avec tous les peuples qui luttent pour se libérer de l’emprise de l’occupation. Même en condamnant le radicalisme et l’extrémisme, nous ne pouvons pas négliger de considérer les facteurs internes et externes qui les déterminent en derniers ressorts, sous peine de succomber à des jugements simplistes et manichéens.

De plus, nous devrions douter de la formule que nous répétions comme une incantation magique chaque fois que nous étions interrogés sur cette question : “deux États pour deux peuples”. Une formule creuse qui, nous devons l’admettre, servait à avoir bonne conscience. Cependant, la confiance dans la négociation en tant que seul critère de résolution des conflits est morte et enterrée après Oslo. Nous devrions renouveler nos catégories conceptuelles à la lumière de l’Histoire, si nous ne voulons pas tomber dans un vide purement rhétorique qui nous affranchit de toute responsabilité.

“C’est maintenant ou jamais !” C’est ce que je pense chaque fois que je contemple cette situation désolante, où nos valeurs traditionnelles sont implacablement attaquées. Les plus grandes réalisations du XXe siècle sont décrites comme des fardeaux désuets qui entravent le mythe du progrès et qui seraient à l’origine d’une crise qui est plutôt le résultat des contradictions internes du capitalisme. Le tissu social est tellement perturbé que chaque individu est complètement replié sur lui-même, et s’obstine à blâmer les victimes plutôt que les responsables.

“C’est maintenant ou jamais !” Nous avons la possibilité aujourd’hui de construire une gauche qui ne peut pas rester silencieuse, une gauche qui peut prendre une position claire dans le conflit entre les dominants et les dominés.

* #Romana Rubeo est traductrice freelance et vit en Italie. Elle est titulaire d’une maîtrise en langues et littératures étrangères et spécialisée en traduction audiovisuelle et journalistique. Passionnée de lecture, elle s’intéresse à la musique, à la politique et à la géopolitique. Elle a rédigé cet article pour PalestineChronicle.com.

6 novembre 2016 – The Palestine Chronicle – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah