
Les enfants d'Amal dans un camp de déplacés - Photo : Amal Abu Marahil
Par Amal Abu Marahil
Nous avions l’habitude de nous réveiller au chant des oiseaux, et non au vrombissement des avions de combat et à leurs bombardements impitoyables qui semblent ne jamais prendre fin.
Vers 6 h 30 du matin, le 7 octobre 2023, j’ai été contrainte de fuir mon domicile, le camp d’Al-Maghazi, en raison de bombardements soudains et intenses. Je n’ai pas eu le temps de me préparer ni même d’enfiler des chaussures.
Je suis partie pieds nus, serrant ma petite fille contre moi, animée uniquement par l’instinct de la protéger et de survivre.
Mon autre fille était encore à l’école. Nous l’avons cherchée désespérément au milieu du chaos. Les rues étaient remplies de gens terrifiés, le ciel grondait sous le bruit des avions de combat.
J’ai retrouvé ma fille et j’ai porté mes filles terrifiées jusqu’à la maison du grand-père de mon mari. Nous ne savions pas où aller ni ce qui nous attendait.
Nous étions perdues. Je serrais mes filles contre moi, voulant les protéger des bombardements impitoyables. Au bout de quelques heures, je me suis rendue chez mes parents, tandis que mon mari restait avec ses parents dans un refuge de l’UNRWA.
Ce fut le début d’une douloureuse séparation d’avec mon compagnon, alors que je devais affronter seule toutes ces épreuves, mère de deux petites filles, n’ayant rien d’autre qu’elles.
Malgré le danger, mon mari est retourné à notre domicile pour récupérer quelques vêtements et des documents officiels. J’étais submergée par l’inquiétude et la peur, pour lui, pour mes filles.
Les bombardements ne cessaient pas. Ma fille aînée tremblait et hurlait à chaque explosion, tandis que j’essayais de la calmer, même si j’avais moi-même besoin de réconfort. Ma cadette s’accrochait à moi et refusait de me lâcher.
Au bout d’une semaine, l’électricité a été coupée et nous avons commencé à souffrir dans l’obscurité. Les batteries de nos téléphones étaient à plat, ce qui signifiait que nous ne pouvions plus contacter nos proches.
Au fil du temps, les réserves de nourriture ont commencé à s’épuiser : la farine, le sucre et l’huile ont disparu.
La maison de mes parents était bondée de parents déplacés et il n’y avait jamais assez à manger. J’ai donné ma part de pain à mes filles et j’avais le cœur brisé de voir leur enfance leur être arrachée.
Un jour, une mosquée voisine a été bombardée. Les vitres ont volé en éclats et la maison s’est remplie de poussière noire. Ma fille aînée était à côté de moi ; la petite dormait dans l’autre pièce.
Je me suis précipitée vers elle en entendant ses cris et l’ai trouvée recouverte de morceaux de verre. Je les ai délicatement retirés et l’ai serrée très fort dans mes bras alors qu’elle tremblait de peur.

Des éclats de verre sur le lit de ma fille, provenant d’un bombardement à proximité – Photo : Amal Abu Marahel
Plus tard, j’ai vu qu’elle saignait de l’oreille. Nous l’avons emmenée d’urgence à l’hôpital. Heureusement, ce n’était qu’une blessure légère, mais la terreur qu’elle avait ressentie était tout sauf légère.
Des éclats de verre provenant du bombardement voisin sur le lit de ma fille. Photo : Amal Abu Marahel
Un ciel impitoyable
Les bombardements se sont poursuivis, tout comme mes tentatives la nuit pour calmer ma fille aînée, qui pleurait et demandait : « Maman, est-ce qu’on va mourir ? »
Je n’avais que des mensonges à lui offrir, des mots auxquels je ne croyais pas, dans l’espoir qu’ils la réconforteraient.
Au milieu de toute cette douleur, le bourdonnement des drones ne nous quittait jamais. Ce bruit incessant hantait nos jours et nos nuits, nous martelant le crâne comme un mal de tête permanent, transperçant nos âmes, pas seulement nos oreilles.
Les drones quadricoptères planaient devant nos fenêtres, leurs lentilles froides nous observant. Ils remplissaient nos cœurs de peur, même à l’intérieur de nos chambres.
Je couvrais les fenêtres avec des couvertures et serrais mes enfants dans mes bras chaque fois qu’un drone s’approchait, souhaitant les cacher d’un ciel qui n’offrait aucune pitié.
Le 27 décembre 2023, une violente frappe aérienne a tout secoué. Nous avons décidé de fuir une fois de plus. Ma famille s’est rendue à Al-Mawasi ; j’ai marché avec mes enfants jusqu’à un refuge scolaire de l’UNRWA dans le camp d’Al-Maghazi, où j’ai retrouvé mon mari. Le voyage a été terrifiant.
Alors que nous marchions, un obus a survolé nos têtes et a frappé un appartement dans les bâtiments voisins. La mort suivait nos pas.
Au refuge, nous nous sommes retrouvés à partager une seule pièce avec huit autres familles. Pas de matelas, pas de couvertures. Ma plus jeune fille pleurait sans cesse, terrifiée par le bruit et la foule.
Elle ne se calmait que si je la portais dans les couloirs toute la nuit.
J’ai été obligée d’acheter un sédatif pour elle malgré son jeune âge. Mon aînée a développé des infections dues à l’eau que nous buvions et qui était contaminée. Chaque jour, je luttais pour trouver de l’eau propre et accéder à une salle de bain.
Nous sommes restés à l’école pendant une semaine. Puis, un jour, la terreur a de nouveau frappé : des chars ont atteint la périphérie du camp.
Mon mari a dit : « Nous devons partir », mais pour aller où ? Avec qui ? À 3 heures dans l’après-midi, il a trouvé une charrette tirée par un cheval. Nous avons roulé jusqu’à Deir Al-Balah, où nous avons trouvé une tente près de la mer.
Cette nuit-là, nous avons tremblé sous le vent froid et les bombardements, sans couvertures. Mes filles tremblaient de peur et de froid.
Plus tard, nous avons emménagé dans une maison partiellement détruite appartenant à une connaissance de mon beau-père. Le côté est avait été bombardé et était recouvert de plaques d’amiante.
Au bout de deux semaines, j’ai reçu la nouvelle qui m’a brisé le cœur : notre maison avait été complètement détruite. Je ne pouvais retenir mes larmes.
J’avais l’impression d’avoir perdu tout mon monde : non seulement notre maison, mais aussi la ferme de mon mari, notre gagne-pain, les serres, les arbres, même les panneaux solaires.
De fortes pluies et un froid glacial ont trempé nos couvertures et nos vêtements. Mes filles étaient constamment malades. Nous n’avions pas d’eau potable pour nous laver ou à boire.
Au bout d’une semaine, j’ai demandé à retourner chez mes parents, espérant que leur quartier serait plus sûr. Nous y sommes allés et j’ai trouvé refuge dans une petite pièce. Mais les bombardements n’avaient jamais cessé.
Un jour, les vitres qui restaient ont volé au-dessus du lit de ma fille. Si elle n’avait pas été endormie dans mes bras, elle aurait été blessée.
Puis le ramadan est arrivé – sans nourriture, sans farine
Je ne pouvais pas acheter de vêtements pour l’Aïd à mes filles. Elles pleuraient, et je pleurais avec elles. J’ai vu la famine de mes propres yeux. J’achetais de la farine au kilo et je partageais des morceaux de pain entre elles.
Ma plus jeune a développé une « obsession pour la farine ». Un jour, lorsque son père a ramené un sac de farine à la maison, elle a crié de joie : « Maman ! Papa a ramené de la farine ! » Quand il n’y en a plus eu, elle s’est assise en pleurant : « Plus de farine ! » Comme si l’absence de farine signifiait la fin de la sécurité.
La famine s’est légèrement atténuée grâce à l’aide humanitaire, mais ce qui me faisait le plus mal, c’étaient les pleurs nocturnes de mon aînée. « Maman, nous voulons rentrer à la maison », pleurait-elle. J’essayais de la réconforter, mais je ne pouvais lui faire aucune promesse.
Notre maison avait disparu, dans une zone frontalière dangereuse où nous ne pouvions même pas nous approcher. Elle me dit : « Construisons une tente là-bas. » Je suis restée silencieuse. Que pouvais-je lui répondre ?
La guerre s’est prolongée. Puis, en janvier 2025, un cessez-le-feu a été déclaré. Nous étions heureux, mais nous ne pouvions toujours pas rentrer chez nous. Le cessez-le-feu n’a pas duré. Les bombardements ont repris. La famine est revenue. Il n’y avait plus de farine.
J’ai commencé à moudre des pâtes et du riz pour faire du pain pour mes filles. Ma fille me disait : « Maman, j’ai faim », et je n’avais que de la douleur.
Puis vint le deuxième ramadan sous la guerre. Les vivres se faisaient à nouveau rares et la faim nous guettait comme une ombre. Malgré le manque de nourriture, ma fille aînée a insisté pour jeûner. Elle a réussi à jeûner plus de la moitié du mois.
Je la regardais avec fierté et tristesse, sachant que même sa foi d’enfant était mise à l’épreuve par la faim et la guerre.
Puis l’Aïd est arrivé. Mais son arrivée n’a apporté aucune joie. Nous n’avons pas pu le célébrer. Les massacres n’ont pas cessé et les effusions de sang ont continué.
Le matin de l’Aïd, ils ont bombardé des enfants qui portaient leurs nouveaux vêtements – des enfants qui n’avaient même pas eu la chance de se sentir heureux.
Nous vivons toujours en guerre, sans perspective d’une fin proche. Nous ne demandons pas grand-chose, juste notre maison… notre paradis, où nous nous réveillions autrefois au chant des oiseaux, et non au vrombissement des avions de combat.
Comment aurions-nous pu sourire en ce deuxième matin de l’Aïd, alors que la joie elle-même était ensevelie sous les décombres ?
Auteur : Amal Abu Marahil
* Amal Abu Marahil est professeure d'anglais à Gaza. Diplômée de l'université ouverte Al-Quds, elle se passionne pour l'écriture et le service communautaire. Elle a travaillé au British International Center et enseigne désormais l'anglais tout en participant à des actions bénévoles, notamment en aidant les familles déplacées en période de conflit.
« J'adore raconter des histoires et j'aime lire des romans et des livres, en particulier ceux qui reflètent les expériences humaines et la résilience », explique-t-elle. « L'un de mes objectifs est d'inspirer les autres à travers l'écriture et l'éducation. »
31 mai 2025 – We Are Not Numbers – Traduction : Chronique de Palestine – YG