
Par Rasha Abu Jalal
La journaliste Rasha Abou Jalal raconte les scènes horribles d’un massacre dans un restaurant très apprécié et un marché rempli de monde, détruits par une triple frappe aérienne israélienne dans la ville de Gaza.
GAZA CITY — Mercredi 7 mai l’après-midi, deux frappes aériennes israéliennes ont frappé le Thai Restaurant, le dernier restaurant encore ouvert à Gaza City, transformant un lieu de rassemblement autrefois animé en un panorama de mort.
Une troisième frappe aérienne, presque simultanée, a touché un marché bondé situé à proximité, dans la rue al-Wahda, projetant des morceaux de corps partout.
Selon le ministère de la Santé, au moins trente-trois Palestiniens ont été massacrés et près de quatre-vingt-dix blessés dans ces trois frappes aériennes, mais le bilan réel est probablement plus lourd.
La plupart des morts et des blessés étaient des clients qui savouraient une boisson chaude dans le restaurant ou des personnes en quête de nourriture au marché, alors que Gaza est soumise depuis plus de deux mois à un siège total qui l’étouffe.
Au cours de ces jours sanglants, mercredi a été une journée particulièrement meurtrière. Plus tôt cette semaine, Israël a promis d’intensifier ses attaques déjà d’une violence absolue. Au moins 92 personnes ont été massacrées aujourd’hui à travers la bande de Gaza, pour la plupart des femmes et des enfants, a déclaré à Drop Site, Ismail Al-Thawabteh, directeur général du Bureau des médias du gouvernement à Gaza.
La scène à l’intérieur du restaurant après l’attaque était cauchemardesque. Des clients gisaient sur le sol, baignant dans leur sang. Des morceaux de pizza étaient éparpillés sur les tables et le sol. Sous le choc, j’ai d’abord cru que les taches rouges sur le sol étaient du ketchup, mais c’était du sang. Il y avait du sang partout.
Avant la guerre, ce restaurant était un lieu emblématique de la ville de Gaza, très fréquenté par les clients et proposant des plats thaïlandais, des shawarmas et du poulet grillé. Détruit lors de la campagne de bombardements intensifs menée par Israël, le restaurant avait été reconstruit pendant le bref cessez-le-feu entré en vigueur en janvier, offrant aux Palestiniens une lueur d’espoir et un semblant de retour à une certaine normalité.
Après le blocus total imposé par Israël le 2 mars, la plupart des restaurants ont finalement été contraints de fermer. Le Thai Restaurant a réussi à rester ouvert, servant uniquement des boissons chaudes et des parts de pizza.
Au fil des semaines, le restaurant est devenu un lieu de rassemblement populaire pour les journalistes toujours à la recherche d’une source d’alimentation électrique pour recharger leurs téléphones et leur matériel, et d’une connexion Internet un minimum fiable pour envoyer leurs articles.
Je venais au restaurant au moins deux fois par semaine avec mon ordinateur portable et m’installais à une table pour terminer mes articles, afin de rendre compte au reste du monde du génocide dont mon peuple est victime. Ma dernière visite remonte à deux jours seulement.
Je pensais que c’était un endroit sûr, mais dans cette terre de mort, cela n’existe pas.
Lorsque les bombes sont tombées mercredi, Abeer Sabri et son amie étaient assises à une table au milieu du restaurant. Les deux femmes tentaient de s’évader quelques instants du fardeau quotidien de la guerre et du siège : faire la queue pendant des heures pour obtenir de l’eau ou vouloir allumer un feu pour préparer une maigre soupe pour leurs enfants.
« Je n’avais pas vu mon amie depuis plus d’un an et demi, à cause de la guerre et des déplacements répétés, alors nous avions décidé de nous retrouver ici, au Thai Restaurant », raconte Abeer, 28 ans, encore sous le choc et peinant à reprendre son souffle.
« Nous avons commandé deux tasses de café, nous riions ensemble, puis tout a basculé. » Elle était encore sous le choc lorsqu’elle a raconté les faits, peinant à reprendre son souffle.
« Une forte explosion a secoué l’endroit. J’ai eu le vertige et j’ai fermé les yeux », raconte-t-elle. « Quand je les ai rouverts, je me suis retrouvée baignant dans une mare de sang ; ce n’était ni le mien ni celui de mon amie, mais celui des autres clients. Je suis restée là, incrédule. Comment avais-je survécu ? »
7 mai 2025 – Le journaliste Yahya Sobeih berçant sa fille nouveau-née quelques heures avant d’être tué dans une frappe aérienne sur un restaurant thaïlandais à Gaza – Photo : capture d’écran Instagram @yahyasobeih
Parmi les morts se trouvait un jeune garçon qui vendait du café aux clients. Je le voyais chaque fois que je venais ici. Je me souviens encore de son sourire.
Le journaliste Yahya Sobeih a également été tué. Il faisait partie des journalistes qui fréquentaient régulièrement le Thai Restaurant.
Quelques heures avant d’être tué, il avait accueilli sa fille nouveau-née. Il avait partagé une photo sur Instagram où il la tenait dans ses bras, l’appelant la « petite princesse » dans la légende.
Il ne pouvait pas savoir que ce serait la dernière fois qu’il la serrerait dans ses bras. Lorsque sa femme a appris la mort de son époux, elle a fait une terrible crise de nerf et est tombée dans un état de choc profond, perdant régulièrement connaissance.
Soheil Amer, un ami proche de Sobeih, a déclaré que ce dernier avait passé toute la guerre à couvrir les événements pour plusieurs médias. Sobeih s’intéressait particulièrement aux histoires des personnes déplacées et publiait son travail sur les réseaux sociaux. « J’ai été très choqué d’apprendre que Yahya avait été tué », a déclaré Amer.
Au lendemain de l’attaque, le chef cuisinier du restaurant, Abu Saleh Abdo, n’arrivait pas à croire qu’il avait survécu au massacre. « Combien de temps allons-nous continuer à mourir chaque jour ? Les enfants, les femmes, les personnes âgées, même les animaux n’ont pas été épargnés par les tueries. Il n’y avait pas de combattants ici, seulement des clients et quelques familles qui tentaient de revivre des fragments de leur vie passée. Quel crime ont-ils commis pour être bombardés ainsi ? C’est de la barbarie pure et simple », a-t-il dit.
« Il n’y a plus aucun espoir de survie. Si vous ne mourez pas sous les bombes, vous mourez de faim ou de maladie. Cette guerre doit cesser immédiatement. »
Les massacres de mercredi ont eu lieu au milieu d’un siège brutal de Gaza. La famine s’installe. Les réserves de farine sont épuisées. Les entrepôts alimentaires sont vides. La plupart des cuisines caritatives ont fermé leurs portes faute de produits de base, comme les haricots et le riz.
Les attaques ne cessent pas. Les bombes tombent partout, tous les jours.
À Gaza, les Palestiniens qui ont été déplacés à plusieurs reprises sont bombardés dans des abris. Mercredi, deux écoles qui abritaient des familles déplacées ont été bombardées dans la ville de Gaza, l’une au nord et l’autre à al-Bureij, dans le centre de Gaza.
Les frappes ont tué quarante-neuf personnes, dont un autre journaliste, Nour Al-Din Abdo.
Restaurants, cuisines populaires, écoles, abris et tentes ont tous été touchés. Selon Al-Thawabteh, au moins 235 écoles et abris ont été bombardés : « Cela reflète la volonté claire d’Israël de faire le plus grand nombre de victimes parmi les civils déplacés. Il s’agit d’un crime de guerre à part entière et de la poursuite du génocide perpétré contre notre peuple », a-t-il déclaré.
Al-Thawabteh a tenu l’administration américaine pour responsable des massacres en cours, l’accusant de fournir un soutien militaire, politique et financier illimité au gouvernement israélien.
Il a appelé la communauté internationale à prendre des mesures immédiates pour mettre fin à ces crimes, protéger les civils et traduire Israël devant les tribunaux internationaux. Pendant ce temps, l’armée israélienne poursuit ses bombardements incessants sur Gaza.
Auteur : Rasha Abu Jalal
* Rasha Abu Jalal est auteure et journaliste à Gaza. Elle couvre les événements politiques et les questions humanitaires et elle a produit des reportages sur des questions sociales pour le journal local Istiklal pendant six ans. Rasha a également été membre du jury de l'événement annuel sur la liberté de la presse dans la bande de Gaza, Press House, en 2016. Son compte Twitter.
8 mai 2025 – Drop Site News – Traduction : Chronique de Palestine
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