
2 mai 2025 - Distribution de nourriture à Khan Younis - Photo : Doaa Albaz / Activestills
Par Fuad Abu Saif
La destruction des systèmes alimentaires est volontaire. Elle sert aux Israéliens à assurer leur domination. Ce n’est pas un effet secondaire de la guerre.
La catastrophe qui se déroule à Gaza n’est pas une simple crise humanitaire. Ce que nous observons n’est pas seulement une tragique conséquence de la guerre, mais l’utilisation délibérée de la famine comme outil de contrôle politique et démographique. Cette stratégie, conçue pour démanteler la société palestinienne, constitue une forme de génocide structurel.
La direction militaire et politique israélienne, dans sa quête de domination et d’anéantissement des aspirations nationales palestiniennes, ne se contente plus des bombardements et des destructions physiques. Aujourd’hui, ses méthodes sont plus insidieuses : elles visent le cœur de la survie palestinienne : la nourriture, l’eau et les moyens de subsistance.
Refuser à un peuple la possibilité de se nourrir n’est pas une conséquence collatérale. C’est une politique. Selon des rapports d’organisations internationales indépendantes, plus de 95 % des terres agricoles de Gaza ont été détruites ou rendues inutilisables.
Ce chiffre ne représente pas seulement une perte économique ; il s’agit de la destruction intentionnelle de la souveraineté alimentaire, et par conséquent de toute perspective d’indépendance future.
La destruction est systématique. L’accès aux semences a été bloqué. Les infrastructures hydriques ont été ciblées. Les pêcheurs et les agriculteurs, qui opéraient déjà dans des conditions extrêmes, ont été attaqués à plusieurs reprises. Ces attaques ne sont pas le fruit du hasard.
Elles s’inscrivent dans un plan plus large visant à remodeler la démographie et l’économie de Gaza conformément aux objectifs stratégiques à long terme d’Israël : un contrôle absolu et une totale soumission politique.
Ce qui rend la situation encore plus alarmante, c’est la complicité de la communauté internationale. Que ce soit par le silence ou par des déclarations diplomatiques vagues décrivant la situation comme une « crise humanitaire », les acteurs internationaux contribuent à banaliser l’utilisation de la famine comme arme de guerre.
Le refus de nommer ces actions pour ce qu’elles sont, à savoir des crimes de guerre dans le cadre d’un génocide, a donné à Israël un blanc-seing pour continuer à les perpétrer en toute impunité.
Ce qui est encore plus inquiétant, c’est que la nourriture elle-même est devenue un moyen de pression. L’accès à des produits essentiels comme la farine, le lait en poudre pour bébé et l’eau en bouteille est désormais lié à des négociations politiques et militaires.
Cette pratique révèle une logique de pouvoir inquiétante. L’objectif n’est pas la stabilité ou la sécurité mutuelle, il s’agit d’imposer ses conditions politiques en jouant sur la souffrance des civils.
En rendant Gaza entièrement dépendante de l’aide extérieure tout en détruisant systématiquement les moyens de subsistance locaux, Israël a créé une situation dans laquelle les Palestiniens sont privés de toute autonomie politique et économique.
Ils sont réduits à une population que l’on peut gérer, contrôler et utiliser comme monnaie d’échange.
Chaque statistique provenant de Gaza doit être analysée à travers ce prisme. Le fait que 100 % de la population souffre désormais d’insécurité alimentaire n’est pas simplement tragique ; c’est un signe que la stratégie porte ses fruits.
Il ne s’agit pas de nourrir les affamés. Il s’agit de briser l’esprit d’un peuple et de le forcer à accepter une nouvelle réalité aux conditions de l’occupant.
Et pourtant, la résilience de Gaza persiste. Le courage des Gazaouis, qui vivent sous le joug du siège et de la famine, met en lumière l’effondrement moral d’un ordre international qui préfère gérer les crises que demander des comptes à ceux qui les causent.
Ce n’est pas une famine née de la sécheresse. Ce n’est pas le chaos d’un État en faillite. C’est un crime, perpétré en toute connaissance de cause, en profitant de l’indifférence du reste du monde.
Je tiens également à préciser que les organisations de la société civile internationale et les mouvements sociaux mondiaux, tels que La Via Campesina, ne restent pas silencieux.
Pour les Israéliens, la famine à Gaza n’est qu’un cruel divertissement
En effet, en septembre, certains des mouvements les plus influents de paysans, de pêcheurs et d’Indigènes du monde entier — beaucoup d’entre eux provenant de zones de conflit — se rassembleront au Sri Lanka pour le 3e Forum mondial Nyéléni.
Nous y élaborerons une réponse mondiale unifiée à l’indifférence généralisée d’un monde qui ferme les yeux sur la dépossession de communautés entières.
Nous travaillons à partir de la base vers le haut pour développer des propositions concrètes qui garantissent que la nourriture ne soit jamais utilisée comme une arme et que la famine ne soit jamais utilisée comme une tactique de guerre. Parallèlement, des actes de solidarité se multiplient à travers le monde, menés par des personnes de bonne volonté qui exigent de leurs gouvernements qu’ils agissent.
L’histoire se souviendra de ce qui se passe à Gaza. Elle se souviendra également de ceux qui ont choisi de se taire. La justice peut être entravée, mais elle finira par se faire, et elle voudra savoir qui a assisté en silence à l’utilisation de la famine pour briser un peuple.
Auteur : Fuad Abu Saif
* Fuad Abu Saif est un chercheur palestinien et expert en agriculture environnementale spécialisé dans le développement durable, la souveraineté alimentaire et la justice climatique dans des contextes de violence coloniale.Il siège au Comité international de coordination de La Via Campesina.
4 juillet 2025 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet
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