Comment les Israéliens ont prévu de saboter le cessez-le-feu

11 octobre 2025 - Des familles palestiniennes retournent dans ce qui reste de leurs habitations dans le quartier de Sheikh Radwan, dans la ville dévastée de Gaza. Des dizaines de milliers de familles palestiniennes déplacées sont revenues à Gaza pour constater l'état de leurs maisons après qu'Israël s'est engagé à un cessez-le-feu et s'est partiellement retiré du territoire dans le cadre de la première phase d'un accord de paix avec le Hamas. Au moins 92 % des logements à Gaza ont été détruits ou endommagés, selon les données communiquées par le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies - Photo : Yousef Zaanoun / Activestills

Par Muhammad Shehada

Les États-Unis ont permis à Netanyahu de prévoir quatre échappatoires clés dans l’accord afin de garantir qu’Israël puisse poursuivre son génocide à Gaza, indépendamment de l’accord de « cessez-le-feu ».

La guerre est peut-être déclarée «terminée », mais Gaza continue de saigner. Dans un spectacle de célébration prématurée, le président Donald Trump s’est tenu aux côtés des dirigeants israéliens pour annoncer la fin des hostilités, un cessez-le-feu signé à l’encre mais trempé de sang.
Pourtant, pour les Palestiniens comme pour les diplomates chevronnés, le silence des ministres les plus extrémistes d’Israël en disait plus long que la fanfare de Trump. Derrière le rideau du théâtre politique, le Premier ministre Benjamin Netanyahu avait déjà élaboré une feuille de route pour poursuivre la destruction de Gaza, non seulement à l’aide de chars et de missiles, mais aussi en exploitant les failles juridiques, en manipulant les accords et en utilisant la diplomatie comme une arme.
Ce qui nous attend n’est pas la paix, mais la poursuite plus insidieuse et systématique d’un génocide au ralenti.

« La guerre est finie », a claironné le président Donald Trump alors qu’il se rendait en Israël. Cette annonce a toutefois semblé creuse aux Palestiniens, aux médiateurs et à tous les experts à qui j’ai parlé.

L’absence totale de protestation de la part des alliés d’extrême droite de Benjamin Netanyahu, Itamar Ben-Gvir et Bezalel Smotrich, qui avaient promis à plusieurs reprises de démissionner et de faire tomber le gouvernement si Israël mettait fin au génocide à Gaza, a immédiatement suscité des inquiétudes.

Bien que les deux ministres aient voté contre le cessez-le-feu, ils n’ont pas démissionné du gouvernement et n’ont même pas commenté l’annonce spécifique de Trump, ni positivement ni négativement, ce qui pourrait signifier qu’ils ont reçu l’ordre du Premier ministre de garder le silence pour des raisons tactiques.

Il n’a pas fallu longtemps pour qu’Israël recommence à tuer et à assiéger les Gazaouis.

Dans les 24 heures qui ont suivi le début du cessez-le-feu, Israël a tué au moins 35 Palestiniens à Gaza et en a blessé 72 autres.

Mardi matin, au lendemain de la libération par le Hamas de tous les prisonniers encore en vie, Israël a repris ses bombardements aériens sur Gaza avec une frappe aérienne qui aurait fait cinq morts parmi les civils à Shejaiya et une autre qui en aurait fait deux à Khan Younis.

Israël a alors officiellement déclaré qu’il continuerait à fermer le passage de Rafah, seule porte d’accès au monde pour les Gazaouis, alors qu’il était censé l’ouvrir dans les deux sens immédiatement après la libération des otages.

Israël a également annoncé qu’il limiterait l’aide humanitaire entrant dans l’enclave sous prétexte que le Hamas « ne prenait pas les mesures suffisantes pour localiser les corps des otages [décédés] ».

C’est l’une des quatre failles au moins créées par Netanyahu pour permettre à Israël de poursuivre son génocide à Gaza malgré l’accord de cessez-le-feu conclu par Trump.

1. Les dépouilles des captifs

Au cours des négociations, le Hamas avait clairement indiqué qu’il faudrait du temps pour retrouver les corps des otages en raison des destructions massives causées par Israël dans l’enclave et du massacre de milliers de ses combattants, dont certains étaient chargés de conserver ces corps.

Une mission internationale conjointe comprenant les États-Unis, le Qatar, l’Égypte et la Turquie a été formée pour aider à ce processus.

Le chef du Mossad israélien avait déjà averti Netanyahu que certains corps d’otages israéliens pourraient ne jamais être retrouvés en raison de l’énorme quantité de décombres et de débris (une estimation datant d’avril les évaluait à près de 50 millions de tonnes).

Il y a plus d’un an, l’ONU a estimé qu’il faudrait jusqu’à 15 ans pour réparer les dégâts causés par Israël à Gaza, à moins qu’Israël n’autorise l’entrée dans l’enclave d’un nombre beaucoup plus important de camions, de bulldozers et d’engins lourds, tous actuellement interdits.

Le retard qu’Israël anticipait dans la récupération des corps par le Hamas, a maintenant été stratégiquement exploité par Netanyahu comme un prétexte commode pour affirmer que le Hamas viole la première phase de l’accord Trump.

Même si le Hamas devait localiser ces corps à temps, Israël a encore d’autres tours dans son sac pour relancer son entreprise génocidaire.

2. Lignes de retrait gelées

À l’heure actuelle, Israël contrôle 58 % de la bande de Gaza… une zone militaire fermée et entièrement dépeuplée.

Les soldats israéliens se vantent ouvertement que cette zone est pratiquement une « zone d’extermination », ce qui signifie que tout civil qui tenterait de retourner chez lui serait immédiatement abattu à vue.

Israël prévoit de conserver indéfiniment une grande partie de ces zones, établissant ainsi une ligne mortelle invisible, semblable au mur de Berlin, qui surpeuple 2 millions de personnes dans une zone écrasée, plus petite que Brooklyn, mais sans aucun des gratte-ciel ou immeubles de plusieurs étages de New York.

La moitié de Gaza actuellement contrôlée par Israël était considérée comme le grenier de Gaza ; la quasi-totalité des terres agricoles de Gaza se trouvent dans les parties nord et est de l’enclave, où Israël souhaite établir une « zone tampon de sécurité » permanente.

Sans ces zones, les Gazaouis seraient entièrement dépendants de l’aide internationale pour une durée indéterminée, dont le flux est entièrement contrôlé par Israël.

Israël a conditionné son retrait de 18 % supplémentaires de Gaza à la mobilisation d’une force internationale sur le terrain, laissant 40 % de Gaza dépeuplée et contrôlée par l’armée israélienne.

Le Hamas avait accepté une telle force pendant le cessez-le-feu de janvier-mars 2025. À l’époque, un groupe de sécurité égypto-qatari, supervisé par des entrepreneurs américains, avait établi un poste de contrôle dans le corridor de Netzarim afin d’inspecter les véhicules retournant dans le nord de Gaza et de s’assurer qu’aucune arme n’y était transférée.

Un dirigeant du Hamas m’a dit qu’ils accepteraient une « force de protection » à Gaza à condition qu’une force similaire soit déployée en Cisjordanie occupée.

Le mandat de cette force serait de faire respecter le cessez-le-feu, de surveiller et de signaler les violations, de renforcer les capacités de la police locale et de mener la réforme du secteur de la sécurité.

Israël souhaite que la « force internationale de stabilisation » proposée par Trump agisse en tant que sous-traitant de l’armée israélienne, afin de démanteler les infrastructures du Hamas, de rechercher et de détruire les tunnels et de mener des opérations de contre-insurrection.

Cela mettrait la mission internationale sur une trajectoire de collision avec le Hamas et d’autres organisations armées à Gaza, qui considéreraient cette mission comme une force d’occupation tentant d’accomplir ce qu’Israël n’a pas réussi à faire militairement en 24 mois de génocide : démanteler le Hamas et soumettre les Gazaouis par la force.

3. Le piège du désarmement

Israël a conditionné son retrait progressif et « graduel » vers la « zone tampon de sécurité » (17 % de Gaza) à la « démilitarisation » de Gaza par la force internationale, mais sans calendrier, sans étapes clés ni définition claire de ce que signifie la démilitarisation, laissant à Netanyahu le soin de décider quand, comment et où l’armée israélienne se retirerait, si tant est qu’elle se retire.

La première version du plan de Trump ne parlait que de « démantèlement » de « l’infrastructure offensive » du Hamas (c’est-à-dire les roquettes ou les tunnels traversant Israël), ce que le groupe avait accepté, selon les médiateurs.

Le groupe insiste pour conserver ses « armes défensives » (par exemple, des fusils, des lance-roquettes et des missiles antichars) afin de maintenir l’ordre à Gaza et de pouvoir reprendre ses opérations de résistance si Israël envahissait à nouveau Gaza.

Netanyahu a toutefois passé six heures avec Jared Kushner et Steve Witkoff à modifier cette formule. Il a ajouté la « démilitarisation » et a changé le cadre de démantèlement des armes « offensives » pour celui des infrastructures « offensives, terroristes et militaires ».

Cela signifie dépouiller complètement le Hamas et toute la bande de Gaza de toutes leurs armes, y compris les armes à feu et même les couteaux ; un processus explosif qui ne pourra jamais être mené à bien.

Même si le Hamas accepte le désarmement complet et la reddition, le flou des termes tels que « terrorisme » et « démilitarisation » laisse suffisamment de marge de manœuvre à Israël pour éviter tout retrait supplémentaire.

Israël peut, par exemple, prétendre qu’il existe encore d’autres factions plus petites, des « cellules terroristes » ou des individus armés qui « constituent une menace » pour lui.

Cette faille permettrait également à Israël de bombarder Gaza à volonté et de prétendre qu’il neutralise une cellule du Hamas ou détruit un tunnel, comme il le fait régulièrement au Liban malgré le cessez-le-feu avec le Hezbollah.

Qui va vérifier ces affirmations ? En fait, le porte-parole du Likoud de Netanyahu a déjà clairement déclaré : « Nous pouvons bombarder [Gaza] depuis les airs sans aucun problème. »

De plus, alors qu’Israël gèle les lignes de retrait militaire israéliennes de Gaza et transforme le génocide en une campagne de faible intensité, la perspective de voir des colons israéliens s’installer à Gaza augmente considérablement.

Plus d’un millier de familles de colons israéliens attendent déjà aux limites de Gaza avec des tentes et des caravanes, prêtes à s’installer dès que l’occasion se présentera.

Les experts israéliens à qui j’ai parlé estiment que cette menace est imminente ; les colons pourraient reconstruire les colonies de Nisanit et Dugit à l’extrême nord de Gaza, car elles se trouveraient dans la zone tampon militaire israélienne.

Si le Hamas ou toute autre faction armée palestinienne tentait de contester cela ou de faire pression sur l’armée israélienne pour qu’elle se retire, ils seraient tenus pour seuls responsables de l’échec du cessez-le-feu.

4. Les gangs et milices pro-israéliens

L’un des aspects les plus dangereux et explosifs de l’accord de cessez-le-feu actuel est que les gangs pro-israéliens composés de criminels et de collaborateurs se cachent actuellement dans les 58 % du territoire de Gaza occupés par l’armée israélienne.

Parmi celles-ci figure le tristement célèbre gang Abu Shabab, lié à Daech, responsable du pillage de la grande majorité de l’aide humanitaire de l’ONU sous la protection de l’armée israélienne et étroitement lié à la Gaza Humanitarian Foundation, aujourd’hui disparue.

Israël a récemment créé d’autres gangs dans les zones tampons, tels que Husam al-Astal à Khan Younis ou Ashraf al-Mansi à Beit Lahia.

Israël a cultivé ces gangs afin de créer des « communautés fermées » (l’ancien Premier ministre israélien Ehud Olmert les a qualifiées de camps de concentration) dans lesquelles pousser les Gazaouis.

Le ministre israélien de la Défense, Israel Katz, avait ouvertement préconisé le transfert de toute la population de Gaza vers le camp d’Abu Shabab à Rafah.

Maintenant, avec le cessez-le-feu, Israël utilise ces gangs pour lancer des attaques profondément à l’intérieur de Gaza sans que l’armée israélienne ait à envahir, apparemment comme un moyen d’externaliser la responsabilité et de prétendre qu’Israël respecte le cessez-le-feu.

Déjà, des membres de gangs ont tué la semaine dernière deux officiers de la branche militaire du Hamas, les Brigades Qassam, dont Mohammed Imad Aqel, le fils d’un haut commandant des Qassam.

Dimanche, l’éminent journaliste gazaouite Saleh Al-Jaafrawi a été enlevé, torturé pendant des heures, puis assassiné de sept balles par des membres du gang.

Le gang Abu Shabab a salué ces meurtres et en a appelé à d’autres, citant une fatwa littérale de l’État islamique qui qualifie le Hamas d’« infidèles ».

Israël pourrait également tenter d’inciter les Gazaouis à s’installer dans ces zones en leur promettant une vie meilleure, tandis que l’autre moitié de Gaza restera réduite en ruines.

Le gang mandataire d’Israël à Beit Lahia a publié mardi une vidéo appelant les gens à déménager dans la zone contrôlée par le gang au nord de Gaza et leur promettant un passage sûr.

Les lignes de retrait gelées d’Israël permettraient à l’armée israélienne de cultiver des gangs criminels dans cette zone, de les envoyer mener des attaques au sol pendant qu’Israël bombarde Gaza depuis les airs sous de faux prétextes.

C’est pourquoi les médiateurs n’étaient pas très optimistes quant à ce « plan de paix ». Lors d’une récente réunion dont j’ai été informé, un dirigeant arabe a déclaré que ce plan ne « résoudrait pas grand-chose au-delà de la libération des otages ».

Un autre a déclaré que l’accord visait principalement à mettre fin aux bombardements les plus agressifs et à permettre l’acheminement d’une aide humanitaire inconditionnelle afin de donner aux civils un « répit », sans qu’un règlement politique ne soit en vue.

Ce n’est pas un plan de paix, c’est un projet de domination perpétuelle. Derrière chaque clause, chaque retard et chaque terme redéfini dans le cessez-le-feu Trump-Netanyahu se cache un effort calculé pour s’assurer que Gaza ne se relève jamais.

De l’utilisation cynique des restes des captifs à la création de gangs par procuration et au gel des lignes de retrait militaire israéliennes, Israël a jeté les bases d’une occupation indéfinie, de bombardements aériens à la demande et du retour possible des colons sur une terre réduite en ruines.

Alors que le monde applaudit un cessez-le-feu qui n’en a que le nom, la machine à déposséder continue de tourner dans la pratique.

Si l’histoire nous a appris quelque chose, c’est que le génocide ne porte pas toujours un uniforme ; parfois, il se cache derrière des cessez-le-feu, des comités et un jargon diplomatique vague, tandis que les décombres s’accumulent et que les survivants meurent de faim.

Comme toujours, le diable se cache dans les détails.

15 octobre 2025 – Zeteo – Traduction : Chronique de Palestine

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