La censure militaire israélienne couvre les crimes de guerre commis en 1967

Crimes de guerre
Photo de 1967 : de gauche à droite, les criminels : Yisrael Tal, Ariel Sharon, Yeshayahu Gavish, Avraham Yoffe

Par Richard Silverstein

Aluf Benn a publié un article dans le Haaretz d’aujourd’hui qui, bien qu’il traite d’événements d’il y a cinquante ans, n’en a pas moins été abondamment censuré. Comme d’habitude, je suis ici pour vous dire ce que le censeur a supprimé – et il y en a une tonne !

Pour les trois grandes guerres d’Israël entre 1948 et 1967, il existe des articles documentés sur les crimes de guerre potentiels dans lesquels les unités des FDI (Forces de défense israéliennes) assassinèrent des prisonniers de guerre égyptiens. Rien qu’en 1956, il est rapporté que ce sont jusqu’à 2000 d’entre eux qui furent tués par une seule unité israélienne commandée par le tristement célèbre Rafael Eitan (celui qui autrefois a déclaré que lorsque Israël aura fini de s’implanter dans les Territoires, il ne restera plus aux Palestiniens que de courir en tous sens comme des cafards drogués dans une bouteille – imaginez ce qu’a dû être son enfance !). Il y a tant d’articles (ici un autre de 1967) qu’il est parfois difficile d’en tenir séparés les incidents. Par exemple, il y a eu des massacres de prisonniers de guerre commis au même endroit (Ras al-Sudr) en 1956 et en 1967.

Dans certains cas, les commandants ont été soit fiers de leurs actions, soit si indignés par la critique qu’ils se vantèrent de ce qu’ils avaient fait. D’autres, comme l’ancien général des FDI, Benyamin Ben Eliezer, lequel est mort la semaine dernière, prétendit que ceux qui avaient été massacrés par les troupes qui étaient sous son commandement n’étaient pas des Égyptiens, mais des fedayins palestiniens ; et que ce n’était pas des prisonniers de guerre, mais plutôt des gens qui se repliaient sans s’être rendus. Pourtant, le massacre de Fuad des 250 ennemis battant en retraite ressemble plus à un massacre authentique qu’à un engagement militaire légitime.

Dans le travail définitif de Tom Segev sur la guerre de 1967, celui-ci dit que des soldats israéliens ont vu « des dizaines de milliers » de soldats égyptiens errant dans le désert, mourant de soif et de faim ; ou être pourchassés par des unités spéciales des FDI dont la mission était de tuer autant de soldats qu’ils en trouveraient (page 374 et suivantes). Avec ceux qui furent assassinés de façon délibérée et ceux qui furent laissés mourant de soif, il semble que le nombre de morts peut atteindre un si grande quantité.

Ce que tu fais à autrui, d’autres te le feront

Les exécutions systématiques par Israël de milliers de soldats égyptiens durant les guerres de 1948, 1956 et 1967 ont suscité un sentiment d’indignation dans l’armée égyptienne. Alors, quand elle eut l’occasion de se venger, précisément en 1973, pendant que les FDI étaient en déroute dans les premiers moments de cette guerre, les Égyptiens se mirent aussi à tuer des prisonniers israéliens. Même si un documentaire de la Channel 10 TV affirme que leur nombre fut de « dizaines, voire de centaines », Amir Oren rapporte dans Haaretz que c’est un total de 86 prisonniers qui furent tués en 1976, une moitié dans le Golan et l’autre dans le Sinaï. Une chose qu’Israël refuse de reconnaître sur ces questions, c’est que l’on récolte ce que l’on sème. L’attitude israélienne consiste à se placer toujours du côté du vainqueur, de sorte que ce que nous faisons à nos ennemis ne nous sera jamais fait à nous. Et si par malheur Israël se trouve du côté du perdant, alors il se met à hurler aussitôt après ces sauvages d’Arabes assoiffés de sang qui ne vivent que pour tuer et mutiler leurs victimes juives civilisées.

Le massacre de Ras Sudr

Le récit de Benn d’aujourd’hui concerne le massacre à la bataille de Ras al Sudr (en hébreu) dans le Sinaï égyptien durant la guerre de 1967 (toutes ces informations ont été censurées dans l’article de Benn). Après la bataille, des « dizaines » (un précédent article dans Haaretz parle des restes de 52 ou 62 – selon la source -, soldats égyptiens qui ont été découverts) de soldats égyptiens désarmés furent regroupés dans une cour intérieur close, et ils furent nourris. Les Israéliens discutèrent avec eux à propos de leur service militaire respectif. Mais cette unité se préparait à partir pour une autre mission et elle fut remplacée par une deuxième unité. Cette nouvelle force refusa de prendre en charge les prisonniers et la première, qui appartenait à l’armée blindée, n’avait aucun moyen logistique pour les transporter. Par ailleurs, l’ensemble du plan de bataille israélien se basait sur une attaque éclair par les chars, et les troupes ne pouvaient se permettre de s’enliser avec des prisonniers.

À ce stade, le commandant de chars de la première unité estima qu’il n’avait d’autre choix que de tuer les prisonniers. Il les fit aligner, leur ordonna de se mettre face au mur, et ils furent exécutés sommairement. L’officier qui commandait les Égyptiens essaya bien de fuir mais il fut pris en chasse par les soldats de l’unité de relève, qui le poursuivirent en jeep, et l’abattirent. Tous les corps furent enterrés sur place à l’aide d’un bulldozer.

Ces faits ont été rapportés à Benn par deux témoins des meurtres. Le premier a dit au journaliste qu’il avait refusé l’ordre de son supérieur de tuer les prisonniers parce que peu avant il leur avait promis qu’ils ne seraient pas tués. Bien que l’officier l’ait menacé de le faire traduire en justice s’il n’obtempérait pas, le soldat s’en est tenu à son refus. Alors, un autre soldat s’est porté volontaire pour exécuter l’ordre illégal, et il fut rejoint par trois autres.

Puis, les prisonniers furent tués. Certains d’entre eux avaient été grièvement blessés avant qu’on ne les tue. L’officier qui commandait les FDI (voir ci-dessous) qui ordonna les meurtres fut puni légèrement avec une peine de trois ans, réduite à sept mois (probablement après qu’il a été d’accord pour se taire). Lors de son procès, il prétendit que l’ordre pour le massacre des prisonniers lui avait été donné par son propre supérieur. Quand il a été abordé par Benn, il a dit au journaliste de s’adresser au ministère de la Défense pour son enquête.

Ce supérieur, qui aurait ordonné le massacre, n’a jamais été puni. Il a reçu une promotion qui l’a porté au « plus éminent des postes militaires ». Cela semble indiquer qu’il a été plus tard nommé chef d’état-major, mais je ne suis pas sûr de cela (pas encore). L’incident a par la suite été rayé, de sorte que ni l’armée, ni l’échelon politique ni les médias ne l’ont jamais rapporté.

La censure israélienne : protéger les criminels de guerre

Les noms des deux ont également été censurés dans l’article (de Benn). Il semble que le travail de la censure, ce n’est pas de protéger la sécurité nationale israélienne, mais de cacher les crimes de guerre. À moins qu’une telle dissimulation ne fasse partie de la protection de la sécurité nationale d’Israël.

En 2000, Walla rapportait sur le même incident et interviewait Yeshayahu Gavish, qui y est présenté comme le commandant du front sud (il devint par la suite le directeur général de l’un des plus importants conglomérats industriels d’Israël, Koor Industries). Selon Walla, Gavis a dit à son journaliste le nom du commandant en charge du front Ras Suddr :

« Je n’ai pas connaissance d’incidents impliquant l’assassinat des prisonniers ». Selon lui, aucune information sur le meurtre des prisonniers à Ras Sudr n’a jamais été portée à son attention durant les combats. Il a souligné que Ras Sudr avait été pris après un combat par des troupes sous le commandement d’Avraham Yoffe, et que tous les habitants avaient fui.

Il semble dire ainsi que, s’il y a eu des exécutions de prisonniers, Yoffe ne l’en a pas informé. Il est également commode qu’au moment de l’interview de Gavish, Yoffe était décédé, et ne pouvait pas s’exprimer lui-même. Mais depuis la publication de cette information, j’ai appris par la suite que si Gavish et Yoffe étaient dans la chaîne de commandement sur le front Ras Sudr, ils ne sont pas les officiers cités dans l’article de Benn. Ils étaient à un poste trop haut pour être directement responsables. Les deux officiers que Benn cite étaient leurs subalternes, et nous ne connaissons toujours pas leur identité. Cela signifie aussi que l’identification de Yoffe, par Gavish, faisait une sorte de diversion pour absoudre le premier de la responsabilité, tout en identifiant une personne non directement impliquée ou responsable.

Même s’il y a eu des crimes de guerre commis sur le front sud sous le commandement de Gavish, pourquoi iriez-vous signaler un crime de guerre à votre commandant ? Vous vous arrangeriez plutôt pour l’occulter. Manifestement, un commandant ambitieux comme Gavish préférerait ne pas être au courant quand les troupes sous son commandement commettent un crime de guerre. Cela fait mauvais effet sur votre CV. Et surtout, vous regardez ailleurs, vers un autre massacre qu’une autre unité a pu commettre dans le passé et qui a été commis lors de la même opération où vous combattiez. Chose curieuse, en 1970, Gavish a été pressenti pour devenir le chef d’état-major des FDI, mais dans un conflit interne entre différentes factions de partis politiques, c’est David Eleazer qui a été nommé à sa place.

Nous ne connaissons pas davantage le nom du commandant local qui a exécuté les ordres de tuer les prisonniers. J’ai contacté de nombreux Israéliens qui pourraient connaître la réponse. Jusqu’à présent, aucun n’a donné la moindre information directe. Si quelqu’un lisant le présent article connaît le nom ou sait quelque chose, merci de me le faire savoir.

Pourquoi censurer une information déjà connue et rapportée ?

Maintenant, il devient plus aisé de comprendre pourquoi la al jazeeracenseur des FDI a trouvé des raisons de censurer un récit remontant à un demi-siècle. Gavish et Yoffe ont poursuivi une longue et brillante carrière, à la fois dans l’armée et dans la vie privée. Ils ont servi leur pays et la moindre tache dans leur dossier a été lavée par une amnésie historique délibérée. Révéler le refus de la nation d’incorporer leurs crimes serait une tache de plus sur Israël, nation qui est déjà en proie à de nombreuses accusations pour des crimes de guerre plus récents. Alors, pourquoi permettre à un journaliste de mettre le doigt du pays dans cette ruche, seulement pour l’y faire piquer ?

Là encore, tous les aspects de l’article de Benn avaient été déjà publiés. En effet, l’article de Walla est même plus détaillé que celui de Benn et avec les noms des deux officiers qui sont censurés dans l’article d’aujourd’hui. Sans oublier que les médias en Égypte et en Arabie saoudite ont rapporté sur cet incident-là. Le cheval est sorti de la grange et c’est maintenant que vous voulez barrer la porte ? C’est typique de la stupidité de la censeur des FDI, la colonelle Ariella Ben Avraham. Non pas qu’elle ait un monopole sur cette qualité. Elle est juste frappée pire que certains de ses prédécesseurs.

« Ils l’ont fait, alors pourquoi pas nous ? »

Pour être clair, les armées de nombreuses nations ont tué des prisonniers de guerre. Bob Kerrey, qui a reçu la Médaille d’honneur du Vietnam, a reconnu que les opérations de ses forces spéciales ne pouvaient pas se permettre de faire des prisonniers ennemis quand elles opéraient derrière les lignes ennemies, ce qui ne leur laissait pas d’autre choix que de tuer tous les témoins qu’ils rencontraient. Cependant, j’ai rarement vu des comptes rendus de massacres de soldats désarmés en si grand nombre et couvrant trois guerres différentes. Il ne fait aucun doute que ceci est un crime de guerre systématique, à long terme, qui a été toléré au plus niveau du commandement des FDI. Les partisans des FDI feront sans doute remarquer qu’il y a eu des dizaines d’unités des FDI opérant sur le même territoire qui ont réussi à ne pas commettre de tels crimes de guerre.

Ceci serait donc censé blanchir les FDI, dans leur ensemble, de leur culpabilité dans les crimes de guerre systématiques dont l’armée tout entière pourrait être accusée. Mais quand vous avez un tel nombre de massacres, impliquant nombre d’unités différentes, dans de multiples guerres, alors c’est que c’est systématique. Le fait que la plupart de ces crimes n’ont jamais fait l’objet d’enquêtes ni de poursuites souille également l’armée avec la tache de ce refus de se juger elle-même responsable de ses propres crimes. En vertu du droit international, le refus par une nation d’engager des poursuites pour des crimes de guerre l’expose à un procès devant la Cour pénale internationale. Israël aura beaucoup à répondre sur le banc des accusés, à La Haye, un jour.

16 septembre 2016 – richardsilverstein.com Traduction : JPP, pour le Collectif Solidarité Palestine de la Région nazairienne