15 novembre 2025, Helsinki, Finlande - Des manifestants descendent dans les rues pour réclamer la paix et la libération en Palestine et au Soudan, ainsi que la fin des génocides. Des soit-disant « cessez-le-feu » ont désormais été conclus tant pour le génocide perpétré par Israël à Gaza que pour les attaques menées par les milices des Forces de soutien rapide au Soudan. Gaza et le Soudan ont tous deux subi des violations graves et généralisées des droits humains, ainsi que des attaques directes à grande échelle contre des civils - Photo : Haidi Motola / Activestills
Par Shatha Abdulsamad, Lina Alsaafin
Le mouvement mondial de solidarité avec la Palestine se trouve à un tournant, car les formes traditionnelles de défense de cette cause sont désormais trop faciles à ignorer pour les gouvernements. À l’avenir, le mouvement doit passer des protestations réactives à la construction d’un pouvoir politique durable.
L’accord de cessez-le-feu conclu entre le Hamas et Israël le 10 octobre, n’a fait que ralentir le génocide dans la bande de Gaza. Le « plan de paix » du président américain Donald Trump ne traite pas de la violence structurelle qu’Israël continue d’exercer contre les Palestiniens, et aucun gouvernement n’a pris de mesures concrètes pour demander des comptes aux auteurs du génocide.
Bien que les massacres quotidiens – qui font en moyenne une centaine de victimes palestiniennes dans la bande de Gaza – aient diminué, les mécanismes d’oppression sont toujours fermement en place : le territoire reste bloqué et les attaques aériennes et d’artillerie israéliennes se poursuivent sans rencontrer d’opposition notable de la part des gouvernements mondiaux.
Cessez-le feu : à présent, Israël doit rendre des comptes pour ces deux années de génocide
Malgré l’inertie ou l’échec des institutions, le mouvement international de solidarité avec la Palestine doit maintenir son élan. Il doit continuer à mener des actions directes et efficaces qui remettent en cause les fondements de la domination israélienne et la complicité de ceux qui la rendent possible.
L’illusion du calme
Depuis la séance photo théâtrale des dirigeants réunis à Charm el-Cheikh pour assister à la signature cérémonielle de la soi-disant trêve le 13 octobre, les médiateurs – le Qatar, l’Égypte, la Turquie et les États-Unis – ont bafoué leurs promesses de tenir Israël responsable de ses violations.
Selon le bureau des médias du gouvernement de Gaza, Israël a commis au moins 497 violations du cessez-le-feu et a tué au moins 342 Palestiniens et blessé 875 autres au 22 novembre. Israël a renié ses engagements d’autoriser le passage de 600 camions d’aide humanitaire à destination de la population meurtrie et largement déplacée, avec une moyenne de 145 camions entrant chaque jour.
Pendant ce temps, le poste-frontière de Rafah reste fermé, mettant encore plus en danger la vie de dizaines de milliers de patients et de blessés, et les fournitures essentielles telles que les maisons mobiles, les tentes, les fournitures médicales, la viande et les œufs congelés restent interdites.
La disposition prise par Israël d’autoriser l’entrée de machines lourdes à Gaza – qui a été détruite à 90 % – afin de déblayer les décombres et de récupérer les quelque 10 000 Palestiniens ensevelis sous les décombres a été pratiquement ignorée, à l’exception d’un équipement limité destiné à rechercher les corps des prisonniers israéliens.
La famine a également pris une forme plus discrète. Les Palestiniens rapportent que le marché, qui dépend entièrement de ce qu’Israël laisse entrer, est inondé de sucre, de glucides et d’aliments riches en amidon, riches en calories mais pauvres en nutriments. Cet afflux est calculé pour permettre une prise de poids rapide et anormale après des mois de famine qui ont tué des centaines de personnes, mais les aliments essentiels riches en nutriments tels que la viande, les produits laitiers et les produits frais restent presque totalement absents.
Cette cruauté israélienne délibérée est précisément la raison pour laquelle la solidarité mondiale envers Gaza et la Palestine dans son ensemble ne doit pas perdre de son élan. Au contraire, le militantisme international doit être encore intensifié afin de continuer à faire pression sur les gouvernements pour qu’ils demandent des comptes à Israël.
Un état paria
Selon un rapport de Francesca Albanese, rapporteure spéciale des Nations unies sur la Palestine, au moins 60 pays ont renforcé et tiré profit de leurs liens économiques, commerciaux et politiques avec le régime sioniste, dont plusieurs pays arabes.
Les citoyens doivent donc continuer à dénoncer leurs gouvernements complices, qui se cacheront sans aucun doute derrière le voile d’un cessez-le-feu qui n’en a que le nom.
Ces gouvernements ont mis à nu le caractère fallacieux de l’ordre mondial « fondé sur des règles » en ignorant leurs obligations au titre de la Convention sur le génocide, l’avis consultatif de la CIJ sur l’illégalité de l’occupation et les poursuites devant la Cour de justice internationale contre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et son ancien ministre de la Défense, Yoav Gallant, pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité.
La pression publique dans plusieurs pays montre que l’opinion publique se mobilise contre Israël, qui finira par être considéré comme un état paria, avec de lourdes conséquences sur les plans économique, politique et diplomatique.
L’embargo sur les armes imposé par l’Espagne à Israël, deuxième pays européen après la Slovénie à prendre cette mesure, est un exemple de la manière dont cette pression s’est traduite dans la politique officielle.
Ces mesures peuvent être interprétées par certains comme le strict minimum, au vu des scènes sanglantes de membres déchiquetés diffusées en direct au cours des deux dernières années et des bombardements terrifiants dont la puissance est estimée à environ huit bombes nucléaires de Hiroshima, et c’est précisément pour cette raison que les citoyens doivent continuer à se mobiliser et à faire pression pour que les responsables rendent des comptes.
Sinon, Israël continuera à naviguer sur les flots de la respectabilité, non seulement au niveau politique, mais aussi dans les domaines sportif et culturel.
Beaucoup n’ont pas manqué de remarquer qu’il n’a fallu que quatre jours à la Fédération internationale de football (FIFA) pour exclure la Russie après son invasion de l’Ukraine en février 2022, mais qu’elle continue d’autoriser Israël à participer à ses tournois en toute impunité.
La carte de la solidarité palestinienne
Dans cette nouvelle phase incertaine, il est essentiel de faire le point sur les formes de solidarité qui se sont avérées efficaces pour lutter contre le régime d’impunité bien établi d’Israël, et celles qui n’ont fait que résonner dans le vide de l’inaction internationale.
Au cours du génocide, certaines des actions les plus marquantes ne sont pas venues des salles de conférence internationales ou des sommets diplomatiques, mais des rues, des ports, des campus universitaires et des usines. Là où les institutions étatiques ont échoué, chacun de ces lieux de résistance a joué un rôle essentiel en transformant l’indignation en pression politique tangible.
À travers l’Europe et l’Amérique du Nord, l’éruption de campements étudiants exigeant la transparence des universités sur leur financement par des entreprises complices de l’oppression des Palestiniens ainsi que leur refus de ces financements est le signe d’un changement dans l’opinion publique, mais surtout d’un réveil moral de la nouvelle génération.
Leurs tentes sont devenues des salles de classe de la résistance, exposant l’imbrication entre le monde universitaire et l’économie mondiale de guerre.
Malgré les arrestations massives, les campagnes de dénigrement, les expulsions et les mesures répressives des universités, les campements ont réussi à faire évoluer le discours, obligeant les institutions universitaires à prendre en compte le coût de leur participation au maintien des systèmes de domination et démontrant que la solidarité peut être à la fois intellectuelle et insurrectionnelle.
Dans le même temps, les actions des travailleurs se sont avérées décisives pour transformer l’indignation en conséquences économiques concrètes. En Italie, en France, au Maroc et en Espagne, les dockers ont refusé de charger ou de décharger des armes à destination d’Israël, tandis que les syndicats belges et indiens ont déclaré leur refus de faciliter le flux d’armes et la logistique complices de la destruction de Gaza.
Ces actions frappent directement les chaînes d’approvisionnement qui soutiennent l’appareil militaire du régime israélien, transformant les docks en arènes dans lesquelles les bourreaux sont appelés à rendre des comptes.
Des réseaux d’action directe, tels que Palestine Action au Royaume-Uni, sont allés plus loin en ciblant les usines qui produisent des armes et des composants utilisés par le régime génocidaire et apartheid d’Israël. Leurs actions perturbatrices ont contraint les multinationales de l’armement à suspendre leurs activités, à perdre des contrats et à faire face à l’examen minutieux du public. Ce faisant, elles ont rendu visible ce que la diplomatie policée continue de dissimuler : le génocide est un modèle économique, et le perturber est un impératif moral.
Parallèlement, les flottilles de Gaza ont défié le blocus maritime israélien malgré les interceptions et les détentions répétées des militants à bord.
En Occident, le soutien à l’État génocidaire devient un handicap
En forçant le monde à être témoin de l’obstruction de l’aide humanitaire en mer, les flottilles transforment la résistance symbolique en une critique concrète de la complicité mondiale, en montrant que la loi maritime fonctionne comme un outil de domination et un test international d’obligation de rendre des comptes.
À cet effet, des missions plus importantes et plus fréquentes seraient un moyen efficace d’augmenter les chances de briser le blocus afin d’acheminer l’aide et d’atteindre les côtes palestiniennes, contribuant ainsi à faire évoluer le discours politique.
L’un des principaux facteurs ayant contribué à faire évoluer l’opinion publique a été les manifestations hebdomadaires de masse en faveur de la Palestine dans les capitales du monde entier, qui ont attiré des millions de personnes de tous horizons. Bien que cela soit encourageant, l’objectif est de transformer cette mobilisation à grande échelle en actes de désobéissance civile qui défient le statu quo, tels que des grèves nationales, afin d’interrompre et de nier le mécanisme même qui soutient le génocide.
Ces actions directes et populaires sont complétées par le Groupe de La Haye, un bloc d’États qui coordonne les mesures juridiques et diplomatiques visant à faire respecter le droit international. Leurs efforts conjoints et leur invocation de la Convention sur le génocide ont transformé l’indignation publique en une pression structurée, menée par les États.
Si la justice internationale reste douloureusement lente, les mesures coordonnées du Groupe représentent un changement crucial pour faire respecter le droit international face à une culture dominante d’impunité et d’hégémonie.
Cependant, à mesure que le mouvement de solidarité avec la Palestine prend de l’ampleur, la répression à laquelle il est confronté s’intensifie également. Partout en Europe et en Amérique du Nord, les gouvernements ont cherché à criminaliser le mouvement de solidarité avec la Palestine sous le prétexte de la « lutte contre le terrorisme », de « l’ordre public », de la « sécurité nationale » ou de « l’antisémitisme », créant un effet dissuasif en contournant le contrôle judiciaire. Au Royaume-Uni, Palestine Action a été interdite en tant que « groupe terroriste », en France, Urgence Palestine a été prise pour cible, tandis qu’en Allemagne, le réseau de solidarité avec les prisonniers palestiniens Samidoun a été interdit.
Les militants qui remettent en cause l’infrastructure de l’économie de guerre israélienne – ceux qui s’enchaînent aux portes des usines, bloquent les routes, occupent les consulats, manifestent ou naviguent vers Gaza – ont été victimes de descentes de police, d’arrestations arbitraires, de diffamation et d’expulsions.
Cependant, la répression n’a fait que clarifier l’enjeu : la solidarité avec la Palestine n’est pas un acte de charité, mais une forme de résistance politique contre un système mondial fondé sur des hiérarchies coloniales, le militarisme des entreprises et des droits humains sélectifs.
Les tentatives visant à réduire au silence et à criminaliser les actions de solidarité ont révélé à quel point le pouvoir étatique s’investit pour maintenir l’impunité d’Israël, soulignant que la lutte pour la Palestine est également une lutte pour les limites de la légitimité politique et de la résistance civique à travers le monde.
Quelle est la prochaine étape pour la solidarité mondiale ?
Le génocide dans la bande de Gaza, marqué par sa brutalité et son impunité éhontées, prendra des années à être pleinement compris dans son ampleur, son impact et son coût humain.
En avril 2025, selon les estimations, 68 000 Palestiniens sur les 2,3 millions d’habitants du territoire avaient été tués.
Pendant ce temps, le colonialisme et l’occupation israéliens continuent d’étrangler la Cisjordanie occupée dans ce que beaucoup décrivent comme un génocide au ralenti.
La question n’est plus seulement de savoir comment de telles atrocités ont pu se produire, mais comment la réponse mondiale sans précédent à ces atrocités peut être transformée en un pouvoir durable. Pendant deux ans, des millions de personnes ont manifesté, se sont organisées et ont refusé de détourner le regard. Pourtant, le soi-disant cessez-le-feu n’est intervenu que lorsque Washington a décidé qu’il était politiquement opportun, révélant les limites évidentes de l’indignation morale sans levier politique.
C’est le carrefour auquel le mouvement de solidarité mondiale est aujourd’hui confronté. Les formes traditionnelles de défense des droits se sont avérées trop faciles à ignorer pour les gouvernements.
Malgré une mobilisation publique sans précédent, Israël n’a jamais été traité comme un État paria, ni sanctionné. Au contraire, des accords lucratifs – tels que l’accord gazier de 35 milliards de dollars signé cette année entre l’Égypte et Israël – et des partenariats militaires ont vu le jour.
Le système a absorbé la colère et est resté inchangé.
Perdre son élan maintenant reviendrait à laisser ce moment de lucidité se dissoudre dans les mêmes cycles d’impunité qui ont permis des décennies de spoliation et de violence.
Gaza : entre la destruction et l’espoir inébranlable de reconstruire
À l’avenir, la solidarité doit évoluer pour passer de la protestation réactive à un pouvoir politique durable. Cela signifie exercer une pression soutenue sur les gouvernements et les institutions, afin que le soutien à l’occupation israélienne devienne un véritable handicap pour les politiciens plutôt qu’un problème gérable.
Cela signifie étendre les poursuites judiciaires contre les responsables israéliens coupables de crimes de guerre et remettre en cause les entreprises dont les technologies et les investissements soutiennent l’infrastructure de l’occupation.
Les perturbations économiques causées par le désinvestissement, la pression des consommateurs et la diminution de la complicité institutionnelle, doivent se poursuivre, non pas sous la forme de campagnes isolées, mais dans le cadre de stratégies à long terme.
Il est tout aussi crucial d’aller au-delà des manifestations conventionnelles et des mobilisations épisodiques qui surgissent en période de crise et s’estompent sous la répression. Il faut développer les infrastructures, les alliances et les stratégies qui garantissent la pérennité, en particulier lorsque l’attention des médias s’estompe.
L’organisation numérique, la lutte contre la désinformation et les réseaux de communication sécurisés doivent devenir des outils centraux. Les alliances nouées au cours des deux dernières années avec les mouvements anticolonialistes, syndicaux, féministes, climatiques et de justice raciale doivent être approfondies, afin que la lutte palestinienne ne soit pas considérée comme une crise isolée, mais comme faisant partie d’un combat mondial contre les systèmes de domination.
Et surtout, la solidarité doit continuer à placer les voix palestiniennes au centre.
La puissance du mouvement reposera sur sa capacité à suivre la direction donnée par les Palestiniens eux-mêmes dans la défense de leurs revendications, de leurs stratégies et de leur vision de la libération, sans permettre aux gouvernements ou aux ONG de les diluer ou de les recadrer.
La suite ne peut pas être un retour à l’indignation épisodique ou aux gestes symboliques. Ne pas tirer parti de la pression mondiale avant la signature du cessez-le-feu – que Netanyahu lui-même a reconnue en août dernier en déclarant qu’Israël « perdait la guerre de propagande » – ne fera que soumettre la cause palestinienne aux caprices et aux fantaisies des puissances impérialistes et des psychopathes en costume.
Pour honorer les vies perdues et protéger ceux qui restent, la solidarité mondiale doit être reconstruite comme quelque chose de structurel : ancrée dans les institutions, les espaces culturels, les programmes politiques et les pratiques quotidiennes de résistance et de solidarité.
La réponse internationale au génocide de Gaza a déjà modifié la conscience mondiale. Quant à savoir si elle modifiera le pouvoir mondial, cela dépendra des choix que nous ferons maintenant.
La lutte pour la libération de la Palestine a toujours été inextricablement liée à la lutte pour la justice partout dans le monde. Ce qui va se passer maintenant déterminera non seulement le futur de la Palestine, mais aussi l’intégrité et la puissance de tout mouvement mondial qui prétend s’opposer à l’oppression.
Auteur : Shatha Abdulsamad
* Shatha Abdulsamad est une chercheuse et analyste politique palestinienne basée à Berlin. Elle a précédemment travaillé en tant que chercheuse pour le projet de recherche sur les politiques publiques Alternative Policy Solutions à l'université américaine du Caire, en tant que responsable politique au consulat britannique de Jérusalem et en tant que gestionnaire de programme pour le groupe de réflexion allemand Friedrich-Ebert-Stiftung.Shatha est titulaire d'une maîtrise en droit international des droits de l'homme et en études sur les réfugiés de l'université américaine du Caire et d'un diplôme supérieur en communication stratégique et politique de l'université de Birzeit. Shatha a bénéficié d'une bourse Erasmus Mundus en Belgique et est titulaire d'un second master en gestion d'entreprise de la Vrije Universiteit Brussel.
Auteur : Lina Alsaafin
* Linah Alsaafin, diplômée de l’université de Birzeit en Cisjordanie, est née à Cardiff au pays de Galles et a été élevée en Angleterre, aux États-Unis et en Palestine. Jeune palestinienne , elle écrit pour plusieurs médias palestiniens et arabes - Son compte Twitter :@LinahAlsaafin
23 novembre 2025 – Mondoweiss – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet

Soyez le premier à commenter