Rien n’est plus précieux que la vie d’un enfant, sauf s’il est palestinien

8 mai 2024 - Des enfants palestiniens s'entassent dans un camion pour évacuer Rafah, à Gaza - Photo : Ali Jadallah / Anadolu

Par Dina Elmuti

Le monde professe son respect pour l’enfance, mais les platitudes vides de contenu sur les droits universels des enfants ne s’adressent pas aux colonisés.

Il y a un mois, j’ai embrassé mes enfants avant d’aller me coucher, puis j’ai vu Ward al-Sheikh Khalil, cinq ans, traverser un brasier.

La lueur orange infernale de cette enfance brûlée vive est encore gravée derrière mes paupières. La ressemblance de Ward avec ma propre fille m’a brisé le cœur. Je la vois chaque fois que je ferme les yeux : sa queue de cheval qui rebondit à chaque pas, reflet déformé de la démarche insouciante de mon enfant.

Le fait que le monde entier ait vu ce qui est arrivé à Ward sans que cela n’ait pratiquement aucune conséquence m’a conduit à une conclusion : le monde professe son respect pour l’enfance tant que l’enfant n’est pas palestinien.

On nous abreuve de platitudes creuses sur les droits universels des enfants, les étapes délicates de leur développement et leur innocence inviolable, tout en assistant à l’effacement systématique de ces mêmes principes à Gaza.

Nous conservons des cendres derrière les vitres des musées, murmurant « plus jamais ça » d’une seule voix tandis que nos impôts attisent les flammes du « maintenant ».

Nous pleurons devant des photos d’archives de chambres à gaz, tout en regardant en direct des enfants palestiniens suffoquer sous les décombres.

Nous avons atteint le comble de l’hypocrisie libérale, où le deuil simulé et la complicité génocidaire sont indissociables.

Les mêmes mains qui signent des contrats d’armement de plusieurs milliards de dollars versent des larmes de crocodile pour « l’avenir des enfants ».

Leurs déclarations sur les « droits universels » sont soigneusement formulées pour exclure les enfants palestiniens, les réduisant à des entrées comptables intitulées « dommages collatéraux ».

Le mois dernier, le spectacle vide de sens s’est poursuivi avec les célébrations dorées de la « Journée internationale de l’enfance » – des spectacles chorégraphiés pour montrer son inquiétude – tandis que les enfants de Gaza étaient brûlés vifs.

Ce n’est pas une exagération ; c’est l’extermination diffusée en temps réel alors que le monde débat de la « proportionnalité » devant des corps en train de fondre.

Les chiffres crient ce que le monde refuse de reconnaître : un enfant palestinien massacré toutes les 45 minutes, plus de 18 000 âmes anéanties en 20 mois, aucune responsabilité pour leurs meurtriers.

Qu’est-ce qui rend si facile ce type d’effacement de l’humanité des enfants palestiniens ? Et pourquoi acceptons-nous si froidement leur sort comme une conséquence tragique de la guerre alors que nous ne tolérerions jamais que nos enfants subissent ne serait-ce qu’une fraction de leur sort ?

Les enfants palestiniens sont la contradiction vivante de cette hypocrisie : leur « innocence inviolable » cadrée dans les lunettes des snipers, leurs « étapes importantes du développement » marquées par des amputations d’urgence, leur « statut protégé » annulé par chaque bombe fabriquée en Occident.

Ces commémorations creuses n’ont jamais été destinées aux colonisés. Leur vacuité résonne dans les poussettes abandonnées qui s’empilent à Rafah, leur futilité s’évaporant plus vite que le sang ne sèche sur les contrats d’armement.

Les massacres israéliens ne laissent aucun corps intact, seulement des torses sans visage, des mains minuscules agrippées à l’air, des lambeaux de tissu fondus dans la chair.

Les parents de Gaza ont appris à faire face à ce rituel grotesque, rampant dans les décombres et assemblant les fragments de leurs enfants comme un puzzle macabre. Ils n’enterrent plus leurs enfants, mais seulement des possibilités : un pied qui aurait pu marquer un but, un poignet qui aurait pu porter un bracelet d’anniversaire.

Ils trient des sacs remplis de chair comme des archéologues de leur propre extinction.

Le génocide détruit systématiquement tous les liens humains. Il s’agit d’un démantèlement industrialisé de la parenté elle-même, où même le deuil est privé de sa forme légitime.

La simple pensée que le membre sectionné de notre propre enfant repose dans une fosse commune nous bouleverse, et pourtant nous attendons des parents palestiniens qu’ils endurent cette réalité quotidienne atroce avec une résignation silencieuse, tandis que nos impôts financent les armes qui réduisent leurs enfants en cendres et en fragments d’os.

Ce que nous rejetons comme « inimaginable » est la réalité implacable de la Palestine, où « avant » et « après » se sont effondrés dans un « présent » sans fin, où le « plus jamais ça » de façade du monde étouffe le « encore ce matin » épuisé de Gaza.

Il n’y a pas de « camps » pour un père qui reconstitue son enfant à partir de cendres et d’os, pas de « complexité » dans une mère qui fouille parmi les cadavres pour retrouver un fragment de l’avenir qu’elle avait autrefois entre les mains.

Un titre nous brise le cœur, mais eux endurent des archives entières d’horreurs.

Larmes de crocodile et carnage calculé

L’indignation fabriquée de toutes pièces à l’encontre de Mme Rachel a révélé l’algorithme colonial de l’enfance : certains enfants méritent des berceuses et un accompagnement psychologique, tandis que d’autres sont réduits à servir de « boucliers humains » à des fins de propagande.

Certains enfants apprennent à respirer par le ventre pour calmer leur anxiété, tandis que d’autres s’étouffent dans des nuages de phosphore blanc. Certains traumatismes sont pathologisés comme des « expériences négatives de l’enfance », tandis que d’autres sont considérés comme des « pertes acceptables ».

Ce n’est pas un hasard. C’est la machine mondiale de l’apartheid du deuil, où la compassion suit l’ethnicité comme une ombre. La souffrance des Palestiniens n’est pas ignorée ; elle est précisément calculée dans chaque contrat d’armement et chaque briefing stratégique. Leurs morts ne sont pas des oublis ; ce sont des postes budgétaires.

Lorsque le monde pleure un enfant ukrainien mais exige des « explications » pour un enfant palestinien, la hiérarchie des valeurs humaines est mise à nu. Ce n’est pas seulement de l’indifférence, c’est l’enfance qui est utilisée comme une arme.

La controverse autour de Mme Rachel a mis à nu la vérité : le traumatisme n’a d’importance que lorsqu’il touche les « bonnes » victimes. Nous ne pouvons pas prêcher l’éducation émotionnelle tout en niant son universalité.

Enseigner la « gentillesse » tout en finançant les bombes qui démembrent les enfants n’est pas de l’hypocrisie, c’est un incendie moral. Soit tous les enfants sont sacrés, soit aucun ne l’est. Soit toute chair brûlée nous horrifie, soit notre éthique n’est que cendres. Soit nous croyons que tout traumatisme doit être guéri, soit notre compassion n’est que cruauté contrôlée.

Depuis trop longtemps, les sionistes brandissent le bouclier de la victimisation perpétuelle, un statut qu’ils revendiquent, affirment et exigent du monde même qu’ils dévastent à chaque instant. Ce récit soigneusement cultivé les a protégés de toute responsabilité, leur permettant de commettre des meurtres en toute impunité, financés par nos impôts.

Ce génocide est la dernière itération d’une machine à tuer qui réduit les enfants palestiniens en poussière depuis près d’un siècle, puis exige que nous pleurions la botte qui les écrase.

Les colons sionistes qui dansent sur les ruines, les généraux qui calibrent le massacre, les politiciens qui blanchissent le sang versé sous le prétexte de « légitime défense » : tous se posent en victimes depuis leur trône fait d’os.

Certes, les traumatismes peuvent perpétuer les cycles de violence : les personnes blessées blessent les autres. Mais le sionisme a transformé cette dynamique en une arme méconnaissable.

Ce ne sont pas simplement des individus traumatisés qui se défoulent ; ce sont les architectes d’un système prédateur qui contrôle le discours, dicte qui est considéré comme humain, qui mérite la compassion et qui est réduit à un « dommage collatéral nécessaire ».

Tout cela sert un seul objectif : renforcer leur impunité tout en vidant de leur sens des mots comme « traumatisme » jusqu’à ce qu’ils ne signifient plus rien.

Ils suscitent l’indignation à partir de rien, détournant l’attention, déviant les regards et présentant leur ego meurtri comme le véritable crime, alors même qu’ils brûlent des enfants vifs et appellent cela la justice.

Le discours psychopathique du sionisme a prospéré sans contrôle pendant des décennies, blindé par une victimisation hystérique et une puissance géopolitique.

Mais le vent est en train de tourner. Le monde ne croit plus à ce spectacle et ne se laisse plus abrutir par ce discours. Les larmes de crocodile ne brouillent plus la vérité.

Bien sûr, les sionistes paniquent. Ils ont passé un siècle à commettre des atrocités en toute impunité, pour finalement sentir le sol se dérober sous leurs pieds.

Des animateurs pour enfants à l’image sucrée comme Mme Rachel aux provocateurs punk un peu rudes comme Bob Vylan, lorsque des voix osent dire la vérité sur la Palestine, les sionistes découvrent soudainement leur fragilité.

Le même régime qui hausse les épaules devant la mort d’enfants palestiniens s’indigne théâtralement devant un slogan de manifestation ou une publication Instagram.

L’audace d’assimiler des mots – des mots qui nomment la résistance, des mots qui refusent la complicité – à l’holocauste réel et actuel à Gaza est grotesque. L’« IDF » brûle des bébés vifs. Elle tire sur des mères brandissant des drapeaux blancs. Et pourtant, l’hystérie morale est réservée à ceux qui en parlent trop fort.

C’est le plus vieux stratagème du colonialisme : exiger le silence, puis criminaliser ceux qui le rompent.

Le but n’est jamais le débat, mais l’épuisement et la diversion. Il s’agit d’amener le monde à se focaliser sur le « ton » de la dissidence plutôt que sur les cadavres qui s’empilent en temps réel.

En tant que personne qui travaille avec des traumatismes, je ne peux pas concilier la guérison de la douleur de certains enfants avec l’aseptisation de la souffrance de la Palestine pour le confort de mes propres enfants. Car lorsque les nourrissons de Gaza apprennent la douleur âcre du phosphore avant la douceur du lait, lorsque les tout-petits reconnaissent le vrombissement des drones avant le rythme des berceuses, alors mes propres enfants seront assez grands pour comprendre pourquoi un tel mal persiste et pourquoi il doit cesser.

6 juillet 2025 – Mondoweiss – Traduction : Chronique de Palestine

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