Walid Daqqah : l’histoire d’une nation

Milad Daqqa, à gauche, avec une affiche de son père, Walid Daqqa, lors d'un rassemblement pour exiger sa liberté - Photo : Social Media

Par Mariam Barghouti

Walid Daqqah s’est libéré au cours de sa détention de près de quatre décennies grâce à ses écrits, à sa résistance et à la naissance de sa fille, Milad. Sa vie passée à refuser les murs de la prison nous a tous rapprochés de la liberté.

En 1986, une équipe d’officiers de police israéliens, d’agents des services de renseignement et de soldats de l’armée a fait une descente dans une station-service près de Petah Tikva. Ils étaient là pour arrêter Walid Daqqah, 25 ans, qui travaillait à la station.

Il était accusé de faire partie d’une cellule « terroriste » qui avait exécuté un soldat israélien en service actif. Daqqah a été condamné à 37 ans de prison.

« C’est la dernière fois que j’ai vu Walid en dehors de la prison », a déclaré As’ad Daqqah, le jeune frère de Walid, à Mondoweiss. « La fois suivante où que je l’ai vu, c’est lorsque j’ai été arrêté à mon tour, quatre ans plus tard. »

As’ad Daqqah est la seule personne de la famille qui ait pu serrer Walid dans ses bras et le tenir en chair et en os pendant cette période d’emprisonnement. Il a rencontré son frère aîné en octobre 1989, lorsqu’il a été condamné à trois ans de prison.

Les deux frères sont originaires de la ville palestinienne de Baqa al-Gharbiyyeh, qui se trouve à l’intérieur des frontières de l’État sioniste. Cela fait également d’eux des citoyens israéliens « sur le papier », ce qui signifie qu’ils faisaient partie du petit groupe de personnes dans la population carcérale palestinienne qui était à la fois prisonnier politique et citoyen israélien – la plupart des autres prisonniers politiques dans les prisons israéliennes ne possèdent que des cartes d’identité de la Cisjordanie ou de Jérusalem.

« La nuit où j’ai fini de purger ma peine [à la prison d’Ashkelon], Walid m’a dit : ‘Ce soir, tu me quittes, mais ce qui m’aide, c’est de savoir que tu vas sortir’ » se souvient As’ad.

Refuser les murs de la prison

Walid a fini de purger sa peine de 37 ans cette année, mais il est toujours derrière les barreaux. En 2018, Israël a ajouté deux années supplémentaires à sa peine. Cette peine supplémentaire lui a été infligée pour avoir aidé l’ancien membre de la Knesset Bassel Ghattas à introduire clandestinement des téléphones portables dans les prisons israéliennes.

Au cours de cette période, Walid a découvert qu’il était atteint d’une forme rare de cancer de la moelle osseuse, pour laquelle il n’a pas reçu de traitement adéquat.

Aujourd’hui, l’état de santé de Walid se dégrade sérieusement et, malgré une campagne de plus en plus forte en faveur de sa libération, Israël a jusqu’à présent rejeté ses appels en faveur d’une libération anticipée.

Il est détenu à la clinique de la prison de Ramleh, un lieu connu pour ses négligences médicales délibérées à l’égard des patients emprisonnés, comme dans le cas de Khader Adnan en mai dernier.

Ghattas, qui a été condamné en 2017, a passé du temps en prison avec Walid jusqu’à sa libération en 2019. Ghattas s’est vu refuser une libération anticipée parce qu’il n’a pas montré de remords lors de son audience de libération conditionnelle en novembre 2018.

En tant que membre de la Knesset entre 2015 et 2017, Ghattas a utilisé ses privilèges diplomatiques pour faire passer clandestinement des téléphones portables aux détenus palestiniens afin de leur permettre de parler à leurs familles et à leurs proches.

Ghattas a publié ses journaux de prison, From the Knesset to the Jails of the Occupation, en mai dernier.

Dans ce livre, M. Ghattas explique pourquoi des personnes comme Walid ont besoin que l’on fasse entrer clandestinement des téléphones en prison. « Il n’y a pas beaucoup de Palestiniens [ayant la citoyenneté israélienne] dans les prisons israéliennes », a-t-il expliqué lors du lancement du livre. « Les gens ne sont pas très conscients de ce qu’ils vivent en captivité. »

« En 2021, lorsque les Palestiniens [de nationalité israélienne] ont été arrêtés par milliers, ils ont pris conscience de la vie en captivité et y ont été exposés », a poursuivi M. Ghattas, soulignant la réalité à laquelle ces Palestiniens ont été confrontés et l’opposant à l’expérience des Palestiniens possédant des papiers d’identité de Cisjordanie, qui connaissent les prisons israéliennes depuis bien plus longtemps.

En publiant son journal, M. Ghattas montre comment le système pénitentiaire israélien parvient à briser les détenus politiques palestiniens, à les isoler de leur famille, à leur refuser une représentation juridique appropriée et à les forcer à endurer des méthodes de torture dont on sait qu’elles causent des dommages physiques et mentaux permanents.

En janvier, le ministre israélien de la sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, a adopté une nouvelle loi limitant les droits des députés à rendre visite aux « détenus terroristes » ayant la citoyenneté israélienne.

Alors que les députés palestiniens sont emprisonnés pour avoir aidé des détenus politiques palestiniens à parler à leurs familles, les prisonniers israéliens dans les prisons civiles ont la possibilité d’avoir des contacts réguliers avec les membres de leur famille, y compris un appel téléphonique par jour.

En 2020, des groupes de défense des droits de l’homme ont déposé une requête au nom de détenus palestiniens afin de leur permettre de passer des appels téléphoniques, après que les services pénitentiaires israéliens les eurent interdits la même année, au plus fort de la pandémie de COVID-19.

La Haute Cour de justice israélienne a statué en faveur des prisonniers, mais les autorités israéliennes ont imposé des restrictions, n’autorisant les détenus qu’à passer un bref appel téléphonique avec un parent du premier degré.

Pour des détenus comme Walid Daqqah, qui ont passé leur vie en prison, les téléphones portables de contrebande sont la seule fenêtre sur le monde extérieur et sont nécessaires si les détenus veulent conserver leur santé mentale et croire en l’existence d’un monde pour lequel il vaut la peine de se battre.

Vivre libre

En tant qu’intellectuel, romancier et écrivain politique ayant passé près des deux tiers de sa vie en prison, Walid s’est libéré par ses écrits et par l’obtention en prison d’une maîtrise en sciences politiques.

« Walid n’était pas un leader à l’époque », explique As’ad en évoquant les premières années de détention de son frère.

« Au fur et à mesure que Walid a acquis de l’expérience, il a trouvé sa voix. Il a écrit de nombreux livres, et sa prise de conscience l’a poussé à écrire sur l’ingénierie de la torture en prison, sur la dynamique de l’occupation et sur la division entre les Palestiniens – non seulement politiquement, mais aussi socialement et culturellement. »

En 2006, il a écrit Parallel Time, qui a été adapté par Bashar Murkus et joué à Haïfa presque dix ans plus tard.

« Cette pièce a fait beaucoup de bruit, car elle a été jouée à Haïfa dans un centre culturel financé par le ministère israélien de la culture », explique M. As’ad. Cela a poussé la ministre de l’époque, Miri Regev, à supprimer le financement du théâtre qui accueillait la pièce.

Walid a également écrit Dissolving Consciousness, or : Redefining Torture, qui examine la psyché du détenu et l’impact des pratiques israéliennes sur les Palestiniens, que ce soit à l’intérieur des murs de la prison ou dans la prison plus vaste de la Palestine.

En 2018, il a publié son premier roman jeunesse, The Tale of the Oil’s Secret, qui a remporté le prix Etisalat 2018 de la littérature jeunesse arabe dans la catégorie Young Adult.

La nouvelle destinée aux enfants dont les parents sont emprisonnés dans les prisons israéliennes, Oil’s Secret, s’attache à soutenir les enfants et à leur expliquer une dure réalité qu’ils ne comprennent peut-être pas entièrement.

Dans cette tentative de réconforter les enfants privés de leurs parents, « Daqqa a réussi à créer une histoire de liberté et d’espoir au sein de la prison », a écrit l’analyste littéraire Ahlam Basharat en 2018.

C’est ainsi que Daqqah a choisi de se libérer de ses chaînes, « dans l’espoir de libérer la prison qui est en moi », comme il l’a dit un jour à propos de Oil’s Secret.

Accoucher de la vie, accoucher de Milad

Walid disait toujours : « Nous créons la vie et Israël crée la mort », raconte As’ad.

Milad Daqqa, 3 ans – Photo: Social Media

Pour Walid, ces mots n’étaient pas de simples slogans. Dans les années qui ont suivi la rédaction du livre Oil’s Secret, Walid a réussi à faire sortir clandestinement son sperme de prison pour le donner à sa femme, Sana’ Salameh, après avoir été privé pendant des années du droit à des visites conjugales comme les autres citoyens israéliens.

Cela a permis la naissance de leur fille Milad, aujourd’hui âgée de trois ans. Son nom signifie « naissance » en arabe.

Bien qu’il n’ait connu que les murs des prisons et les violences israéliennes, Daqqah a insisté pour conduire sa vie. En 1999, il s’est fiancé à Sana’ et en 2020, deux ans après la prolongation de sa peine, Daqqah et sa femme ont décidé d’avoir un enfant.

« Il existe une lettre écrite à sa fille Milad, avant qu’elle ne soit conçue », a expliqué As’ad à Mondoweiss. Dans cette lettre, Walid s’adresse à un enfant qui ne fait pas encore partie de ce monde.

« Sais-tu que tu as maintenant un dossier au Shabak [les services de renseignements israéliens] ? » avait écrit Walid, s’adressant à son enfant à naître. « Cet État nucléaire, qui possède 200 armes nucléaires, a peur d’un enfant qui n’est pas encore né. »

Et dans un fait plus étrange que de la fiction, lorsque Milad est née, elle est devenue la plus jeune Palestinienne à être fichée par les services de renseignement israéliens.

Pour son frère cadet, l’histoire de Walid, comme celle de toute une nation, ne devrait pas susciter de sympathie, surtout pas de la part de l’Occident.

« L’Occident doit nous respecter, pas sympathiser avec nous », a déclaré As’ad à Mondoweiss. « Qu’est-ce que la sympathie ? Regardez la région, nous avons la sympathie du monde arabe, et qu’est-ce que cela nous a apporté ? »

Au lieu de cela, As’ad affirme avec force que « l’Occident doit être amené à nous respecter. Il doit comprendre la valeur de nos vies et ce que nous représentons pour le monde en continuant à croire en la lutte pour la justice ».

« La lutte des détenus, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur des prisons, est ce qui nous a rapprochés de la liberté », dit-il.

9 juin 2023 – Mondoweiss – Traduction : Chronique de Palestine