La sordide ironie de la « Journée mondiale du réfugié » face à l’hécatombe en Méditerranée

Photo : Laurin Schmid/SOS MEDITERRANEE

Par Ramzy Baroud

Fadi, un adolescent syrien aux cheveux bouclés et au visage couvert d’acné, a miraculeusement survécu à l’une des plus grandes catastrophes maritimes de l’histoire moderne de la Méditerranée.

Seules 104 personnes ont pu être sauvées d’un bateau qui transportait environ 750 réfugiés après avoir chaviré le 13 juin en pleine mer près de la ville côtière de Pylos en Grèce.

Des dizaines de corps sans vie ont été retirés de l’eau et beaucoup d’autres ont été rejetés sur le rivage. Des centaines de personnes, dont beaucoup de femmes et d’enfants, sont toujours portées disparues et on craint qu’elles ne soient mortes, alors qu’elles étaient blotties sur le pont inférieur de l’embarcation longue de 30 mètres.

Fadi a survécu. Une photo déchirante montre le jeune Syrien en train de sangloter lorsqu’il rencontre son frère aîné, Mohammed, qui s’est précipité vers le port de Kalamata, en Grèce, pour le retrouver.

Les deux frères n’ont même pas pu s’embrasser, car Fadi était toujours enfermé derrière des barrières métalliques dans un centre de détention réservé aux survivants.

La dernière catastrophe maritime est le reflet d’une histoire bien plus importante que ce que les titres compatissants des journaux ont tenté d’exprimer. C’est une histoire de guerre, de pauvreté, d’inégalité et de désespoir…

L’identité de ceux qui sont morts en mer nous donne des indices sur les origines de ce fait terrible. Il s’agit de Syriens, de Palestiniens, d’Afghans et d’autres encore. Ces réfugiés étaient en quête de sécurité et ne cherchaient qu’à survivre.

L’ironie du sort veut que le dernier épisode de cette horreur apparemment sans fin ait eu lieu exactement une semaine avant que les Nations unies ne « célèbrent » la Journée mondiale des réfugiés, qui a lieu le 20 juin de chaque année.

La plupart des références à cette journée par l’ONU, les organisations liées à l’ONU et les organisations caritatives internationales dans le monde entier semblent mettre l’accent sur la responsabilisation et l’approche positive. Une déclaration de l’Agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR) parle d’ « honorer les réfugiés du monde entier » et mentionne la « Journée des réfugiés » comme une journée qui « célèbre la force et le courage » des réfugiés.

Les contradictions des discours relatifs aux réfugiés devraient être trop évidentes pour ne pas être remarquées. Mais c’est souvent le cas.

Trop de dîners somptueux seront organisés au nom des réfugiés dans de nombreuses capitales occidentales et ambassades du monde entier. Les diplomates exigeront que des mesures soient prises et des intellectuels bien rémunérés énonceront les responsabilités morales et éthiques des gouvernements et des sociétés civiles.

Beaucoup applaudiront et de nombreuses cartes de visite seront échangées. Mais peu de choses changeront.

Plus de 23 000 réfugiés se sont noyés ou ont disparu en tentant d’atteindre les côtes européennes entre 2014 et 2022.

Le chiffre réel devrait être bien plus élevé, car il n’existe aucun registre officiel du nombre de personnes qui s’embarquent pour ces voyages mortels. « Nous avons des centaines d’enregistrements de corps échoués sur les côtes méditerranéennes alors que nous n’avons connaissance d’aucun naufrage », a déclaré Julia Black, de l’Organisation internationale pour les migrations, à l’émission Today de la BBC.

L’identité des victimes – Syriens, Palestiniens, Afghans, Soudanais… – aurait dû être un indice de première importance pour expliquer pourquoi des personnes prennent des risques aussi terribles pour atteindre les pays européens, où elles endurent de grandes difficultés, y compris la discrimination raciale, juste pour survivre.

Pourtant, nous ne dénonçons guère les véritables responsables de tout cela : les fabricants d’armes et les interventionnistes militaires, ainsi que les lobbyistes politiques qui provoquent et/ou exacerbent les conflits.

Ces individus et ces gouvernements considèrent le Moyen-Orient, l’Afrique et le reste du Sud comme de simples espaces de rivalités géopolitiques, des réserves de matières premières bon marché et de zones d’exploitation humaine et économique.

Mais lorsque le résultat de ces terribles politiques se traduit par la moindre gêne pour les intérêts socio-économiques des sociétés occidentales, les réfugiés désespérés deviennent des « malfaisants », qu’il faut fuir, ignorer, emprisonner et expulser.

En réalité, les réfugiés du monde, dont le nombre est estimé à plus de 100 millions, ne sont pas « célébrés », mais plutôt vilipendés.

Ils sont considérés comme un fardeau, et non comme une occasion d’affronter et de résoudre les problèmes sous-jacents, anciens et nouveaux, qui ont conduit à leur déplacement initial.

Lors de sa visite en Tunisie le 11 juin, en compagnie du Premier ministre italien d’extrême droite, Giorgia Meloni, et du Premier ministre néerlandais Mark Rutte, la présidente de la Commission européenne, Ursula Von Der Leyen, s’est montrée d’une inflexible cruauté quant à la nécessité de donner une toute autre image de la tragédie des réfugiés.

Dans leur déclaration commune, les hauts responsables politiques européens se sont engagés à briser « le modèle commercial cynique des passeurs », car « il est horrible de voir comment ils (les passeurs) risquent délibérément des vies humaines pour faire du profit ». Si l’on considère que l’industrie de l’armement est l’un des modèles commerciaux les plus florissants en Europe, on ne peut s’empêcher de s’arrêter devant l’ironie de tels propos.

Aucune autre expérience collective n’illustre autant la complicité occidentale que celle du peuple palestinien. Des milliers d’entre eux ont péri en fuyant pour sauver leur vie lors des horribles guerres et sièges d’Israël. Ils sont morts en grand nombre dès que les militants sionistes ont commencé le nettoyage ethnique systématique de la Palestine en 1947-48.

Pourtant, après 75 ans de souffrance et de peine, les pays occidentaux continuent de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour soutenir Israël et priver les Palestiniens de leur droit à l’autodétermination, voire en les blâmant.

En effet, ceux qui souhaitent réellement commémorer la « Journée mondiale des réfugiés » devraient se pencher sur l’expérience infinie des réfugiés palestiniens afin de comprendre où s’enracine réellement le problème.

Lors d’un récent voyage en Turquie, j’ai rencontré de nombreux réfugiés palestiniens, pour la plupart originaires de Gaza, dont les familles ont également été chassées par Israël en 1948, puis en 1967. Ces personnes, jeunes pour la plupart, attendent avec impatience l’occasion de traverser la mer pour se rendre en Grèce, puis dans d’autres pays européens, à la recherche d’un emploi.

Mohammed B. m’a raconté qu’il avait tenté à neuf reprises de rejoindre la Grèce. « La dernière fois, j’ai été attrapé. J’ai été sévèrement battu et laissé pour mort dans une forêt sombre », dit-il, « mais j’essaierai encore ».

L’oncle de Mohammed a été assassiné par Israël pendant la première Intifada ; plusieurs membres de sa famille sont morts à cause du manque de médicaments dans la bande sous blocus, et près de 35 membres de la famille, des enfants pour la plupart, vivent dans une maison de trois pièces qui a été bombardée par Israël à deux reprises.

Mohammed et des millions de personnes comme lui ne sont pas les « malfaisants ». Ils sont les victimes.

Pour que la Journée mondiale du réfugié ait un sens, elle doit s’attaquer aux causes profondes de problèmes aussi complexes et persistants. Seule une compréhension honnête et allant jusqu’aux racines peut servir de point de départ à un débat sérieux et, espérons-le, à des actions significatives.

19 juin 2023 – Middle East Monitor – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah