Qu’attend la Chine du monde arabe ?

Le président Xi lors de sa visite en Arabie Saoudite - Selon le ministre saoudien des communications et des technologies de l'information, « la visite du président Xi Jinping en Arabie saoudite est historique pour le pays, et les liens bilatéraux entre les deux nations sont à leur meilleur niveau » - Photo : via chinadaily.com.cn

Par Ramzy Baroud

Le problème avec la plupart des analyses politiques des médias occidentaux est qu’elles sont généralement à courte vue et se concentrent principalement sur ce qui présente un intérêt direct pour les gouvernements occidentaux.

C’est ce type d’analyse réductrice qui est utilisé pour interpréter la position officielle des Arabes à l’égard de la Russie, de la Chine, de la politique mondiale et des conflits.

Alors que le président chinois Xi Jinping s’apprête à emmener une importante délégation rencontrer les dirigeants arabes en Arabie saoudite le 9 décembre, les médias occidentaux s’efforcent de susciter la peur.

La visite du dirigeant chinois « a pour toile de fond » les « liens tendus » de l’administration Biden avec Pékin et Riyad en raison de divergences, censées concerner « les droits de l’homme et l’invasion de l’Ukraine par la Russie », rapporte Reuters.

Le même raisonnement a été repris, sans être remis en question, par de nombreuses autres grandes sources médiatiques occidentales, suggérant à tort que les « droits de l’homme », ainsi que d’autres valeurs, constituent la principale priorité de l’agenda de la politique étrangère américaine et occidentale.

Et, comme ces analyses sont souvent façonnées par les intérêts occidentaux, elles ont tendance à être sélectives et à ignorer le contexte plus large. Si l’on se fie exclusivement ou principalement à la compréhension occidentale des grands changements géopolitiques qui affectent le monde, on est sûr d’être induit en erreur.

Les médias occidentaux veulent nous faire croire que les positions politiques fermes adoptées par les pays arabes – neutralité en cas de guerre, rapprochement avec la Chine et la Russie, réduction de la production de pétrole, etc. – ont pour seul but d’ « envoyer un message » à Washington ou de punir l’Occident pour son intervention dans les affaires arabes.

Toutefois, si l’on regarde les choses de plus près, ces hypothèses sont soit des demi-vérités, soit entièrement inventées. Par exemple, la décision de l’OPEP+ de réduire la production de pétrole le 5 octobre est la seule stratégie raisonnable lorsque la demande d’énergie du marché mondial est faible. Tout aussi raisonnable est la neutralité arabe, car Washington et ses alliés occidentaux ne sont pas les seules forces mondiales qui comptent pour les Arabes.

Il est également faux de dire que l’affinité croissante du Moyen-Orient avec l’Asie est le fruit d’événements dramatiques récents, c’est au contraire un processus qui a commencé il y a près de deux décennies, plus précisément un an après l’invasion américaine de l’Irak.

En 2004, la Chine et la Ligue arabe ont créé le Forum de coopération Chine-États arabes.

Le CASCF représente officiellement le gouvernement chinois et les 22 membres de la Ligue arabe, et sert de principale plateforme de coordination entre la Chine et les Arabes.

Cela a permis à la Chine de développer une stratégie collective pour améliorer ses liens commerciaux, économiques et politiques avec l’ensemble du monde arabe. De même, cela a permis aux Arabes de négocier avec la Chine des accords économiques majeurs qui pouvaient bénéficier à plusieurs États arabes simultanément.

Une mise en garde extrêmement importante s’impose : le CASCF était basé sur ce que l’on appelle les « cinq principes de coexistence pacifique ».

Fondés sur les normes westphaliennes de la souveraineté des États, ces cinq principes semblent reposer sur une vision des relations étrangères avec le Moyen-Orient et le Sud en général entièrement différente de celle de l’Occident, depuis les périodes coloniales jusqu’au néocolonialisme de l’après-Seconde Guerre mondiale : respect mutuel de « l’intégrité territoriale et de la souveraineté », « non-agression », « non-ingérence », etc.

Les relations sino-arabes continuent de suivre ce modèle jusqu’à aujourd’hui, avec très peu d’écarts. Cela prouve bien que la politique collective arabe vis à vis de la Chine et la visite de Xi au Moyen-Orient ne sont nullement un soudain changement de politiques résultant de la guerre Russie-Ukraine de ces derniers mois.

Cela ne veut pas dire que les relations arabes et chinoises avec les États-Unis et l’Occident n’ont eu aucun impact sur la nature et la rapidité des liens sino-arabes. En effet, le modèle chinois de « coexistence pacifique » semble remettre en cause le modus operandi qui prévalait au Moyen-Orient.

En 2021, la Chine a annoncé la construction de mille écoles en Irak, une nouvelle qui a occupé une place importante dans la couverture médiatique arabe.

On peut en dire autant de l’influence économique – et pas seulement commerciale – croissante de la Chine dans les pays arabes.

La lucrative initiative chinoise « Belt and Road », présentée en 2013, s’intègre parfaitement à l’infrastructure politique des liens arabo-chinois construits au cours des années précédentes. Selon le journal Asharq Al-Awsat, Riyad a été le plus grand bénéficiaire des investissements chinois dans le cadre de la BRI au cours du premier semestre 2022.

À partir de mars, l’Arabie saoudite a accepté le principe de vendre son pétrole à la Chine en utilisant le yuan chinois au lieu du dollar américain. Une fois mise en œuvre, cette décision aura des répercussions irréversibles sur le marché mondial mais aussi sur le statut futur du dollar.

Le fait de supposer que des changements aussi considérables dans la géopolitique mondiale s’enracinent dans le besoin ponctuel des Arabes d’ « envoyer un message », continuera d’empêcher l’Occident de prendre la réelle mesure de changements, qui, non seulement au Moyen-Orient mais dans le monde entier, modifieront de façon durable la carte politique mondiale. Plus vite l’Occident en prendra conscience, mieux ce sera.

Compte tenu de tout cela, il paraît injustifié et malavisé de laisser penser que de grandes entités politiques comme la Chine et les pays arabes fondent leur politique étrangère, et donc jouent leur avenir, sur des réactions impulsives au comportement d’un seul président ou d’une seule administration.

7 décembre 2022 – Middle East Monitor – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet