Pas en mon nom

6 janvier 2024 - Des manifestants participent à une veillée et à une manifestation à Paris en solidarité avec le peuple palestinien et pour exiger un cessez-le-feu immédiat à Gaza. La solidarité internationale avec le peuple palestinien s'est accrue après trois mois de bombardements incessants par les forces coloniales israéliennes, menés avec le soutien de la plupart des gouvernements occidentaux. Selon une enquête du média français Europe 1, plus de 4000 soldats franco-israéliens combattent actuellement à Gaza. En moyenne, la France vend chaque année pour environ 20 millions d'euros d'armes et de composants militaires au régime colonial israélien - Photo : Anne Paq/ Activestills

Par Yasmine Ghallab

Depuis le 9 octobre 2023, nous assistons à un génocide dans la bande de Gaza, tel que reconnu par les organisations et instances internationales et les plus grands experts en la matière (juristes et historiens).

Cet évènement n’est pas un acte de terrorisme, limité dans le temps, le lieu et par rapport aux victimes impliquées. C’est un G.E.N.O.C.I.D.E sur lequel la Cour Internationale de Justice (CIJ) a déjà prévenu et aura malheureusement tous les moyens de le prouver lorsque le temps lui sera accordé. Ce sont aussi des crimes de guerre et crimes d’humanité qu’aucune liste exhaustive ne pourra décrire.

Quotidiennement nous avons, avec effroi, assisté au massacre de milliers d’hommes, femmes, enfants et vieillards, bombardés, brûlés vifs, assassinés, affamés, violés, écrasés sous les décombres de leurs maisons, écoles, universités, hôpitaux, lieux de culte et institutions ravagés.

Depuis l’annonce officielle du cessez-le-feu, le 19 janvier 2025, les exactions -assassinats et bombardements indiscriminés-, à Gaza mais également en Cisjordanie et Jérusalem Est, avec coupure d’électricité et arrêt de l’aide alimentaire ont été perpétrés quotidiennement par Israël qui avait depuis aussi emprisonné autant de Palestiniens qu’elle n’en avait relâchés.

Plus de 70% de ces victimes -estimés en janvier à plus de 186 000 par The Lancet- sont des femmes et des enfants. « Un bilan apocalyptique » prenant en compte les morts indirects, de la faim ou de la maladie dont le décès peut être imputé aux conséquences de l’offensive, et les milliers de corps qui gisent sous les décombres. Un bilan terrifiant où les chiens sont mieux portants que les humains.

Depuis le 17 mars 2025, le cessez-le-feu n’est plus respecté par le gouvernement israélien – coloniale, suprémaciste, raciste et génocidaire- et une des plus grande boucherie jamais imaginée de tous les temps a été perpétrée, avec l’assentiment des États-Unis, causant plus de 1000 victimes (plus de 500 tués et plus de 600 blessés) dans la nuit même, nuit du mois sacré de Ramadan. Dix jours plus tard, un bilan de plus de 800 tués avec plus de 85% de la population à Gaza sans abri, sans eau et sans
nourriture est estimé.

Le jour même de l’Aïd, dimanche 30 mars, fête de fin du mois de Ramadan, les bombardements et tueries n’avaient pas cessé.

En tant que citoyenne marocaine, je voudrais clamer « Pas en mon nom ».

L’oubli de l’histoire – Pas en mon nom

Comment comprendre et agir sur le présent, voire se projeter dans le futur, sans interroger l’histoire, en oubliant le passé ?

Le génocide de ces 18 derniers mois n’est que l’aboutissement du processus de colonisation, d’occupation et d’apartheid qui a commencé dès 1948 et de nettoyage ethnique, dont parlent depuis longtemps des historiens, arabes et non arabes, dont l’historien Ilan Pappé.

Une telle politique coloniale de peuplement – planifiées et orchestrée par les mêmes types de sociétés européennes- n’a abouti que 2 fois dans l’histoire, suite aux génocides des populations indigènes aux États-Unis et en Australie. Peut-on encore croire à pareil aboutissement au 21ieme siècle ?

On ne peut prétendre à chercher une paix juste et durable en retirant le passé de l’équation. Ceux qui pensaient que le statu quo en Palestine d’avant le 7 octobre 2023 allait prévaloir pensent aussi que le passé est un obstacle (à l’image des États-Unis, de l’Australie et d’Israël « sans » Histoire, avec un grand H, et créés par les armes) et qu’ils peuvent continuer d’agir comme ils l’ont fait depuis presque un siècle, en tant que puissants.

Reconnaissance d’un État palestinien

La juriste internationale Monique Chemillier-Gendreau, qui a brillamment plaidé -le 26 février 2024- devant la CIJ au nom de l’Organisation de la Coopération Islamique, avait précisé au sujet de la résolution 181 de l’Assemblée générale des Nations Unis, du 29 novembre 1947, qui prévoit ou recommande l’amputation du territoire de la Palestine et la création de deux états, dont un état arabe palestinien : « Si contestable que soit cette résolution par de multiples aspects et s’il est légitime de se demander si l’ONU avait compétence pour disposer d’un territoire jusqu’à la sous mandat, autrement que pour en constater l’indépendance, on peut et on doit admettre que sur le principe de la création d’un état arabe palestinien, ce texte est décisif. Il confirme déjà aux yeux de la société internationale l’existence d’un peuple identifié. »

Comment ne pas s’interroger sur tous les pays, dont la France et la plupart des puissances occidentales (États-Unis, Canada, Japon, Corée du Sud, Australie, Nouvelle-Zélande et la plupart des pays d’Europe de l’Ouest -à l’exception de la Suède, l’Islande, le Vatican, l’Irlande, l’Espagne, et la Norvège-), qui ne reconnaissent pas encore l’État de Palestine, ne seraient-ils en violation du droit international ?

Même « Israël qui était déjà engagé dans la dépossession des terres des Palestiniens et dans l’extension considérable du territoire qui lui avait été alloué par la résolution de 1947 », s’était prononcé solennellement, par son représentant, sur cette résolution en mai 1949 pour autoriser son admission à l’ONU.

Si cette recommandation des Nations Unis a été interprétée par certains pays comme une création explicite d’Israël, il n’en reste pas moins que cet état a été créé par une auto-proclamation, par la prise d’armes de groupes terroristes sionistes (Haganah, Irgoun, Lehi et Palmah qui formèrent les partis et gouvernements qui suivirent) et par la Nakba, expulsion et assassinats de près de 800 000 palestiniens et destructions de près de 800 villes et villages.

La loi du plus fort – Pas en mon nom

La date du 7 octobre 2023 marque une scission entre ceux qui se rattachent au droit et à la justice internationale, pour tous, et ceux qui appliquent le deux poids deux mesures et prônent la loi du plus fort.

Il est constaté que la complicité de la plupart des gouvernements occidentaux, et certains arabes, à ce génocide en soutien matériel, moral, militaire, politique, diplomatique et journalistique à Israël semble encore peu ébranlée (ce qui stimule d’ailleurs la curiosité pour la période, certainement insuffisamment fouillée et divulguée, de collaboration de la guerre 39-45).

Par opposition, le soutien à la cause et au peuple palestinien a cru de manière significative et est quasi-unanime au niveau des populations du monde entier, déployé sur les réseaux sociaux.

Ce que disait justement Edward Saïd semble généralisé à bien d’autres peuples : « Le ressentiment et la haine que les gens nourrissent dans le monde arabe et islamique à l’égards des juifs ne découlent pas de l’antisémitisme classique européen, mais directement des actes barbares commis par Israël » et de « l’excessive violence du sentiment raciste chez les juifs », chez ce soi-disant peuple élu.

Il est force de constater que dans sa fureur actuelle et son incitation à inclure tous les juifs -même anti ou non sionistes-, l’idéologie sioniste nuit à tous les juifs et nourrit dangereusement l’antisémitisme.

L’ignorance du droit international -afin de prévenir, agir et sanctionner- face à cette tragédie palestinienne est une réelle volonté politique. Le véto américain a toujours immobilisé le Conseil des Nations Unis. Aucune de ses résolutions n’a jamais été appliquée par Israël qui a toujours été dans un processus d’annexion constante et n’a jamais même arrêté de frontière

En conséquence de cette impunité assurée par les puissances occidentales, « l’autorité que l’on croyait accorder aux Nations unies, s’est effritée jusqu’à disparaître » et la légitimité du droit international en est aujourd’hui questionnée.

Par analogie, ne devrait-on craindre de voir, dans le futur, d’autres états s’accorder les mêmes droits de colonisation et d’expropriation des terres, ainsi que se permettre le même traitement sur leurs opposants, arrestation, détention et assassinats sans foi ni loi ?

Décider en place des palestiniens – Pas en mon nom

Monique Chemillier-Gendreau avait rappelé aussi (Monde Diplomatique, avril 1999), que les seules personnes à pouvoir reconnaître l’état d’Israël créé sur leur terre -par les armes et la Nakba- étaient les autochtones de cette terre, les Palestiniens.

« Généralisée par Israël avec l’appui du gouvernement des États-Unis et des médias, l’idée que les Palestiniens n’auront de titre sur leur terre que par la volonté d’Israël a conduit à l’enlisement des négociations. La paix dépend désormais d’un renversement de la problématique.

En effet, aucune procédure n’a jusqu’ici ôté légalement aux Palestiniens le titre inaliénable qu’ils détenaient sur leur territoire. Non seulement l’occupation militaire et la colonisation juives de la Palestine sont illégales, mais Israël même n’aura de légitimité que si les Palestiniens opèrent solennellement la transmission d’un titre dont eux seuls continuent à disposer bien que la violence les ait jusqu’ici empêchés de l’exercer. »

C’est cette même légitimité que les Canadiens et les Australiens essaient maintenant de considérer auprès de leurs population autochtones.

C’est aussi ce qui est scandé et écrit sur les banderoles dans les manifestations -au Maroc- et sur les réseaux sociaux. Le peuple marocain qui manifeste ne reconnait pas cet état qui commet un génocide et dont « la création était un crime » (cf. Ghada Karmi).

La Normalisation – Pas en mon nom

Comme l’a qualifié notamment le cinéaste Eyal Levy, la normalisation des états arabes avec cet état coloniale a donné un blanc-seing à l’occupation et permis d’étendre un tapis rouge au génocide perpétué durant les 18 derniers mois.

Au Maroc, cette normalisation, concrétisée par la signature des accords d’Abraham, en décembre 2020, avait été rejetée (selon des sondages diffusés sur les réseaux) par l’écrasante majorité du peuple marocain dès sa proclamation et depuis ce massacre génocidaire, par la quasi-totalité du peuple marocain.

Lors des manifestations de soutien au peuple palestinien, tenues de manière hebdomadaire depuis le mois d’octobre 2023 dans presque toutes les villes marocaines, la demande de rupture de ces accords est constamment déclamée.

La signature de ces accords en 2020, par le gouvernement en place, semblait vouloir « normaliser » le nettoyage ethnique des Palestiniens, le faire oublier, le passer sous le tapis de ses intérêts nationaux et le « déclasser » sous la priorité avancée du Sahara marocain.

Si personne n’est exempt de commettre des erreurs, celle de mettre dans une même équation la cause palestinienne et le Sahara marocain en est une grave à mes yeux.

Un des grands militants de l’indépendance du Maroc avait alors qualifié cette choquante décision d’insulte ou humiliation à la mémoire de tous les militants et soldats qui avaient donné leur vie pour la cause du Sahara marocain et pour ceux qui se battent encore.

A la tête du gouvernement israélien, en 2020, siégeait le même premier ministre israélien qui est maintenant frappé d’un mandat d’arrêt par la Cour Pénale Internationale pour des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre commis à Gaza.

En mars 2023, une pétition citoyenne avait été adressée au gouvernement marocain dénonçant la normalisation avec le gouvernement le plus extrémiste, ethnocentriste et fasciste qui avait alors été constitué avec les partis d’extrême droite.

La persistance de ces accords par le gouvernement marocain actuel et le développement des relations dans de nombreux domaines (militaire, technologique, agriculture, pêche, industriel et éducatif notamment) avec Israël semble vouloir « normaliser » le génocide de ce peuple, le faire accepter comme inéluctable, contre lequel il n’est pas possible d’agir.

S’il était connu que des accords secrets, et principalement militaires, avait été établi entre la monarchie précédente et l’état d’Israël, ces accords sont maintenant non seulement dévoilés, mais amplifiés et priorisés dans de nombreux domaines sans considération aucune de l’avis et de la sensibilité populaire sur la question.

Jusqu’à présent, après 18 mois de génocide, tel que dévoilé dans les articles de presse, aucun accord d’échange dans le domaine de l’industrie militaire (production de drones ou de véhicules militaires) ou technologique ou encore concernant la commande de satellites n’aurait été révisé, pas plus que dans le domaine universitaire (principalement avec les universités privées).

Notamment il avait été relevé que par trois fois, le navire transportant du matériel militaire des États-Unis destiné à l’armée génocidaire avait été autorisé d’accoster dans le port marocain de Tanger Med pour approvisionnement, suite au refus de la même opération par le pays voisin espagnol ; la ministre de transport israélienne était conviée et présente à la conférence internationale sur la sécurité routière, en février dernier à Marrakech, alors que des avocats marocains avaient demandé son interdiction d’entrée sur le territoire national (mais leur requête avait été déboutée par un juge a priori incompétent sur la question); et le drapeau israélien flottait sur la ville d’Agadir lors d’une foire de l’halieutique, en février également, avec le consentement du ministère des affaires étrangères.

En parallèle, depuis octobre 2023, une dizaine de militants pro-palestiniens ont été arrêtés et inculpés par la justice marocaine. Sans oublier, les nombreux palestiniens d’origine ou nationalité marocaine tués à Gaza et en Cisjordanie dont personne ne parle.

Dans les manifestations pour la cause palestinienne d’avant 2020, il était coutume de retrouver parfois certains représentants du gouvernement (ministres ou autres). Ce n’est plus le cas. Devant ce « décrochage », quelle crédibilité attribuer à ces partis politiques et leurs représentants constituant un gouvernement qui agit dans un consentement actif et passif (comme le définit Didier Fassin) à un génocide ?

D’aucun n’a voulu voir les contradictions avec les idées de son parti, n’a souhaité consulter sa base électorale et n’a pensé se retirer de cette voie.

Devant l’horreur quotidienne du carnage à laquelle nous assistons à Gaza, comment interpréter la complicité dans laquelle se prévaut le gouvernement marocain, avec de simples paroles sans suivis d’actions suffisantes et encore moins de sanction ?

Comment qualifier son silence à la revendication populaire de cesser tout accord avec ces génocidaires autrement que par un profond mépris du peuple ?

Comment admettre que, quel que soit le traité passé, aucune clause ne puisse être dressée contre la légitimité et continuité d’un tel génocide ?

Quelle crédibilité accorder à tout enseignant ignorant le cours de l’histoire et du présent ? ignorant de mettre dans la balance de son enseignement, quelle que soit sa matière, la vie de l’autre ? ignorant que le crime du siècle se déroule sous nos yeux ?

Quelle crédibilité accorder à tout discours faisant fi des droits humanitaires, sous prétexte de rapport de forces, de marché capitaliste et de globalisation/américanisation ?

Comment penser que, sous prétexte d’aubaine technologique et militaire, il faille étouffer les valeurs humanistes ?

Comment ne pas examiner que dans l’intérêt national, ce n’est plus la supériorité de la civilisation occidentale qui s’étale sous nos yeux dans cette complicité génocidaire sur tous les plans mais son déclin ?

Déshumanisation – Pas en mon nom

Nous assistons à la décrédibilisation des discours et prises de position de l’Occident. Cette décrédibilisation était déjà manifeste dès le début de la guerre en Ukraine qui s’est vu allouer un soutien immédiat et sans limite par les Européens et les États-Unis, alors que la cause palestinienne était volontairement ignorée et pensait être oubliée, voire enterrée.

Nous confirmons aussi l’hypocrisie des valeurs démocratiques occidentales et l’effritement de ses principes avec l’affichage, toute honte bue, du deux poids deux mesures et de leurs mensonges.

Et si nous assistons à la déshumanisation la plus effroyable et inimaginable du peuple palestinien, en miroir à celle-ci il y est tout aussi dévoilé la bestialité et la barbarie et par conséquent l’inhumanité du gouvernement israélien, de son armée et de tous ceux qui les soutiennent.

Dans leur tragédie, on ne peut s’empêcher d’être en admiration devant les scènes quotidiennes de courage, résilience et dignité des palestiniens.

Les palestiniens qui prennent conscience de l’adhésion de plus en plus généralisée des populations mondiales à l’excellente initiative pacifique palestinienne, lancée en 2005, du mouvement BDS, appelant aux Boycott (niveau personnel), Désinvestissement (niveau professionnel) et Sanctions (niveau étatique).

En parallèle, il est non seulement du droit mais du devoir de chacune et chacun d’exiger le plein respect des termes des accords conclus (qui prévoient dans ces cas des sanctions ou cessation), ainsi que des traités internationaux qui garantissent les droits fondamentaux et libertés de l’ensemble des citoyens.

« Ya (Oh) Gaza, pardonne nous ! » est l’un des chants lors des marches et rassemblements populaires.

Mars 2025 – Communiqué par l’auteure.

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