
13 octobre 2025 - Un Palestinien qui était détenu dans une prison israélienne est accueilli par les membres de sa famille après sa libération, à Khan Yunis, dans la bande de Gaza. Des milliers de personnes se sont rassemblées dans la ville pour accueillir les prisonniers libérés, qui avaient été kidnappés par l'armée israélienne pendant le génocide et ont été libérés dans le cadre d'un échange de prisonniers entre le Hamas et Israël. Environ 2000 prisonniers palestiniens ont été libérés, dont beaucoup dans la bande de Gaza - Photo : Doaa Albaz / Activestills
Par Ali Anouzla
Deux ans se sont écoulés depuis le déclenchement du Grand Incendie, le 7 octobre 2023, et la même question absurde se pose toujours : qui a vaincu ? Comme si les guerres modernes se mesurent à l’aune de chiffres et de cartes, ou comme si le nombre de morts et de maisons détruites suffisait à l’Histoire pour consigner ses froides conclusions.
Pourtant, dans les guerres asymétriques, la victoire ne se mesure pas au nombre de chars détruits, ni la défaite à l’étendue des décombres, mais à ce qui reste de sens, et à la dignité qu’une personne peut conserver au cœur de l’enfer.
À Gaza, tous les sens ont émergé des décombres, et le monde a découvert que ce qui se joue là-bas n’est pas une guerre d’autodéfense, comme le prétend Israël, mais une guerre contre l’idée même d’existence, contre l’humanité dans ses formes les plus fragiles et les plus déterminées, mais aussi dans ses manifestations les plus puissantes des résistants pour la défense de leur honneur, de leur terre et de leur humanité.
La résistance palestinienne a mené une bataille pour l’existence, et non une bataille des armes. Elle a payé un lourd tribut en sang, en mémoire, en infrastructures militaires et en soutien social, mais elle n’a pas capitulé.
Israël, au contraire, qui promettait à son peuple et au monde une « victoire absolue », a découvert que la force, aussi grande soit-elle, ne peut pas soumettre une âme collective ancrée dans la terre, l’histoire et la mémoire.
La bande de Gaza, autrefois grouillante de vie, est devenue un champ de ruines. Des villes ont été rayées de la surface de la terre, des hôpitaux incendiés, des écoles transformées en abris et en fosses communes, et une génération entière est née au milieu des décombres, sans école, sans toit, sans électricité ni eau.
La Nakba, que le monde pensait n’être qu’un chapitre oublié d’un livre ancien, est revenue sous une nouvelle forme, rouvrant une blessure qui n’a pas cicatrisé depuis 78 ans et rappelant à l’humanité entière que l’injustice, lorsqu’elle n’est pas maîtrisée, revient sous des formes plus brutales.
Du fond de la tragédie est née la Palestine, non seulement comme terre, mais comme conscience universelle. La résistance palestinienne, malgré ses lourdes pertes, a acquis une arme incommensurable : la légitimité morale d’une cause qui continue de vibrer dans la conscience mondiale.
Dans les capitales lointaines, des voix se sont élevées pour évoquer Gaza, et dans les universités occidentales, le mur du silence a été brisé, et la question interdite a enfin été posée : qui est le meurtrier et qui est la victime ?
Les organisations internationales de défense des Droits Humains ont redéfini les normes morales de la justice, et la Cour pénale internationale a rouvert des dossiers que le monde pensait clos à jamais. La tragédie de Gaza a sorti la conscience humaine de son coma et contraint le monde à se regarder dans un miroir.
Pour la première fois depuis des décennies, la Palestine a transcendé les limites du symbolisme pour devenir une entité politique reconnue.
Des dizaines de pays occidentaux ont officiellement reconnu l’État palestinien, de la France à la Grande-Bretagne, en passant par le Canada, l’Espagne, l’Irlande, la Norvège, la Slovénie et l’Australie, et une majorité à l’Assemblée générale des Nations Unies a voté en faveur de l’élargissement de sa représentation internationale.
Parler de Palestine n’est plus seulement un langage émotionnel dans les couloirs des Nations Unies ; c’est devenu un acte politique qui rétablit l’équilibre moral du monde.
À l’inverse, le voile est tombé sur Israël, qui se trouve confronté à un précédent historique : des mandats d’arrêt internationaux émis par la Cour pénale internationale de La Haye contre Benjamin Netanyahu et son ancien ministre de la Défense pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, et des plaintes déposées contre ses généraux, officiers et soldats devant les tribunaux européens sur la base du principe de compétence universelle.
Les tueurs craignent maintenant de voyager, et « l’armée la plus morale du monde » est devenue un symbole de moquerie et de mépris dans la conscience humaine.
Mais la perte la plus grave d’Israël ne s’est pas produite sur le champ de bataille, mais dans la conscience collective. L’État qui avait bâti son projet sur les cendres de l’Holocauste a perdu son arme morale. Les images du génocide à Gaza l’ont dépouillé de la victimisation qu’il portait depuis 78 ans, et son ancien outil de propagande a été abandonné.
Le mythe de l’« antisémitisme » s’est effondré comme un fouet utilisé pour museler la conscience occidentale, et une nouvelle porte s’est ouverte vers la vérité : critiquer l’occupation n’est pas une haine des juifs, et défendre la Palestine n’est pas nier l’Holocauste.
De fait, de nombreux juifs progressistes eux-mêmes déclarent aujourd’hui qu’Israël a trahi la mémoire de l’Holocauste en transformant les souffrances d’hier en permis de tuer aujourd’hui.
Ainsi, des décennies de chantage moral se sont effondrées, et l’Europe et l’Occident ont été libérés du complexe de culpabilité qui avait longtemps paralysé leurs consciences.
Au niveau de l’équilibre des significations, chacun en est ressorti accablé. La résistance palestinienne a perdu des terres, du pouvoir et sa société, mais a gagné en conscience et en symbolisme. Israël a gagné la bataille du feu, mais a perdu la bataille de la signification.
La cause palestinienne a saigné abondamment, mais elle a retrouvé sa place dans le débat mondial et a redonné sens à la justice dans la conscience humaine.
Gaza est devenue un miroir pour le monde : là, les masques de la civilisation se sont effondrés.
Les deux poids, deux mesures a été révélé, le mythe de la seule démocratie du Moyen-Orient a volé en éclats et l’humanité a retrouvé, ne serait-ce qu’un instant, son sens moral, perdu par les accords et les cartes, et déformé par la propagande sioniste.
Lorsque nous cherchons le sens de ce qui s’est passé, nous trouvons des exemples non seulement sur les champs de bataille, mais aussi dans l’Histoire humaine, qui raconte comment une idée peut triompher des balles et comment la justice peut vaincre l’épée.
Le mouvement de libération en Afrique du Sud a triomphé du régime d’apartheid lorsque Nelson Mandela s’est présenté devant son geôlier et a déclaré : « Nous nous battons pour redevenir humains. »
Mandela n’a pas gagné par les armes, mais par la dignité. Le régime d’apartheid n’a pas été vaincu par la bataille, mais par le sens. Lorsque le prisonnier est sorti de sa cellule et est devenu président, ce n’était pas seulement une victoire politique, mais le triomphe de la conscience humaine sur la barbarie.
Ce qui se passe aujourd’hui en Palestine fait écho à ce moment : lorsque la force est vaincue par une idée, la barbarie est brisée par la dignité, et l’occupation est vaincue à long terme, car il lui manque ce qui ne s’achète pas : la justice.
Deux ans se sont écoulés depuis le début de la guerre d’extermination, et tout a changé, sauf le sens. Le sang ne crée pas la sécurité, la destruction n’instaure pas la paix, et la victoire bâtie sur les cadavres d’enfants n’est pas une victoire, mais une chute dans l’abîme.
La véritable défaite ne survient pas lorsque des villes sont détruites, mais lorsque la voix s’éteint. Et Gaza, malgré tout, n’a pas perdu sa voix. Elle continue de dire au monde chaque jour, d’une voix fatiguée mais obstinée, que la défaite n’est pas une fin, mais le début d’une autre forme d’existence.
En fin de compte, celui qui possède un sens n’est pas vaincu, celui qui possède une mémoire n’est pas effacé, et celui qui survit malgré l’extermination écrit une page d’histoire que les vainqueurs ne pourront jamais effacer.
Auteur : Ali Anouzla
* Ali Anouzla est un journaliste et écrivain marocain, directeur et rédacteur en chef du site d'information Lakome.com. Il est le fondateur et l'ancien rédacteur en chef de plusieurs journaux marocains. Ali Anouzla est un défenseur des droits de l'homme, qui dénonce les violations des droits perpétrées au Maroc et au Sahara Occidental. Cela lui vaut de nombreux démélés avec le pouvoir et donc la justice, au Maroc.
8 octobre 2025 – Al-Araby – Traduction de l’arabe : Ahmed Benseddik
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