La Flottille pour Gaza a quitté Barcelone le 31 août 2025, en présence d'une foule très nombreuse - Photo : réseaux sociaux
Par Mahmoud Senadji
En résistant, les dissidents et les volontés populaires créent la politique de demain.
C’est avec ces mots que le résistant Stéphane Hessel clôt son interview au lendemain du cessez-le feu à Gaza le 19 janvier 2009 [1]. Ces paroles, tenues au lendemain de l’opération « Plomb durci » qui a fait 1400 victimes gazaouies témoignent de l’engagement de l’homme pour les causes justes.
Et en 2010, il rédigea un essai retentissant « Indignez-vous » qui reste, plus que jamais source d’inspiration et de mobilisation.
Imaginons, un instant qu’il ait été vivant lors de ce génocide !
Comment se fait-il que les voix condamnant Israël peinent à se faire entendre en France ? Comment se fait-il qu’on se soit bousculé au Trocadéro le lendemain du 7 octobre et qu’on ait fait de ce jour-là la date fondatrice du drame palestinien ? Des honnêtes et braves gens vivaient paisiblement chez eux en Israël et des hordes sauvages venant de Gaza ont surgi pour les déranger dans leur quiétude et les violenter !
Il était Impossible d’inclure cette journée meurtrière dans la trame historique depuis la Nakba (Catastrophe) de 1948. Comment expliquer cette cécité dans une société qui vit encore au présent, les séquelles de son passé colonial ?
Cette société qui se dit héritière du Gaullisme qui en novembre 67, fort de son expérience algérienne, nous avertissait qu’Israël en occupant les nouveaux territoires palestiniens va nommer la résistance qui en découlerait logiquement, de terroriste.
Malgré cet avertissement, le monde occidental a souscrit totalement au mépris du Droit international, assimilant le droit de résister à l’occupation comme acte relevant du terrorisme.
Avant de mourir, Hessel le résistant, n’a pas cessé de comparer la résistance palestinienne à la résistance de la France libre au Nazisme et d’interpeller la communauté internationale à exiger et contraindre Israël à respecter et se conformer au Droit international.
Comment expliquer alors que deux grandes figures, l’une politique et l’autre civile n’ont pas réussi à infléchir la doxa française dans son allégeance à Israël ? Comment cela se fait-il que nous ayons entendu la même musique dans la bouche des officiels européens qui ont apporté leur soutien inconditionnel et leur aide logistique à Israël ?
Ils sont allés jusqu’à intimider et incriminer celles et ceux qui exprimaient leur solidarité avec les Gazaouis !
La réponse est dans l’image que l’Occident a et diffuse actuellement du Palestinien et d’Israël.
Le Palestinien – assimilé au Hamas – est principalement arabe et musulman. Quelle est l’image de l’Arabe et du musulman en Europe et en France en particulier ?
En France, l’image du musulman a remplacé celle de l’Arabe des années 50 : il est devenu l’ennemi par excellence à neutraliser. La loi du séparatisme musulman et le rapport sur l’entrisme des musulmans font du musulman une entité à part, une image dont il faut se méfier car en marge de la République et menaçant son existence.
L’image du musulman dans le cinéma hollywoodien a remplacé celle du méchant indien, une image faussée et déshumanisante où le cinéma et la réalité se complètent et redeviennent la monnaie de la même pièce : la chasse au musulman est intériorisée dans les esprits pour être actée dans la rue.
Les dernières manifestations de l’extrême droit en Europe sont des exemples édifiants.
Ce n’est pas seulement le sentiment de culpabilité de l’Europe qui explique son soutien inconditionnel à Israël mais toute cette propagande dirigée contre les musulmans perçus comme une menace réelle et un corps étranger déstabilisateur de la vieille Europe.
La vieille Europe et l’Amérique ont épousé la propagande sioniste qui présente l’Islam comme l’antithèse de la civilisation et la barbarie du siècle. Toute la propagande autour du concept de civilisation judéo-chrétienne, voulant marier Athènes et Jérusalem conçu à partir des années 80 contre laquelle l’historienne Sophie Bessis s’est soulevée et a démontré sa fausseté car le propre de ce postulat est de de désigner l’Islam comme la figure de l’étranger qu’il faut exclure, portant le visage de l’anti-culture contre lequel il faut lutter.
Israël se définit comme le bastion de la civilisation dans un Orient moyenâgeux. Dans l’Israël de Netanyahou se dévoile le vrai visage du sionisme et la guerre qu’il mène est théologico-politique.
Selon sa lecture, Israël est dans son plein droit car elle est investie d’une mission messianique : celle d’instaurer le royaume du Grand Israël au prix de piétiner le Droit international et déporter tout un peuple [2].
Cette lecture est partagée par l’Amérique de Trump avec un Ministre de la défense Pete Hegseth, pour qui, l’Etat d’Israël est l’âme de l’Occident.
Ils épousent le langage théologique en se définissant comme des Croisés américains où Israël incarne l’âme de leur croisade américaine. Il exhorte les Américains en leur rappelant que s’ils aiment la foi, la famille, la liberté et la libre entreprise, ils doivent apprendre à aimer l’Etat d’Israël qui les incarnent.
En s’alignant sur l’Amérique, la vieille Europe est en train de perdre son âme. Le Sionisme du couple Trump-Netanyahou a atteint son apogée : le paroxysme du cynisme et de la barbarie.
Athènes voulait être l’éducatrice du monde. L’humanisme, en ressuscitant Athènes, fut la philosophie sur laquelle l’Occident a construit sa renaissance et qu’il voulait propager dans le monde. Force est de constater que l’esclavage et le colonialisme ont déjà terni cette image.
« Au coeur des ténèbres » de Joseph Conrad (1889) décrivait l’horreur occidentale en Afrique et « Les Chiens de garde » de Paul Nizan (1932), en colère contre les philosophes bourgeois qui dissertaient sur l’âme humaine mais restaient insensibles à la souffrance des hommes et exhortait les nouveaux philosophes à critiquer le système capitaliste qui dénature notre humanité.
Les « Nouveaux chiens de garde » de Serge Halimi (1997) critiquait la presse aux ordres et au service de l’oligarchie dominante au détriment des peuples. En 1963 Karl Jaspers, dans un appel historique s’insurgeait contre l’information qui voile la vérité « Sommes- nous correctement informés » ?
A cette presse au service de l’ordre des puissants en France qui terrorisait toute personne solidaire de la cause palestinienne et avant toute prise de parole la sommait d’incriminer le Hamas, nous leur rappelons la phrase du résistant Larbi Ben M’hidi en 1957 quand on lui demandait pourquoi il recourait aux attentats qui tuaient des civils à Alger, avec tout son calme et toute sa certitude, il leur répondit « donnez-nous vos chars et vos avions et nous vous donnerons nos couffins ».
Une presse alternative populaire est plus que nécessaire et s’impose à nous comme la tâche urgente à faire triompher. Gaza, à son corps défendant, nous libère de ce monde où la puissance tient lieu de droit pour jeter les bases d’un nouveau monde où la justice et la paix régneront en maître.
Logiquement, la mondialisation qui était synonyme d’occidentalisation est moralement finie. Aux peuples d’Occident qui se sont soulevés contre cet ordre injuste et inhumain de développer des foyers de résistance [4] et de nouer un pacte de solidarité avec les peuples du Sud, principalement ceux des pays arabes soumis au despotisme politique de leurs dirigeants pour fonder ensemble une nouvelle politique mondiale à visage humain.
La leçon civilisationnelle que nous livre Gaza rejoint celle de Hessel : en résistant, les volontés populaires écriront la politique de demain : celle du printemps des peuples.
Notes :
[1] « L’humanitaire dans tous ses états », rencontre avec Stéphane Hessel, Paris, le 19 janvier 2009
[2] Dans un sondage à Israël où la question posée à la population « si elle considérait l’expulsion des palestiniens de Gaza comme un crime moral ? ». 3% seulement ont répondu oui. Cela nous donne l’état d’esprit d’une société où le sentiment de compassion pour le peuple palestinien l’a complétement déserté. Cité par Sylvain Cypel dans Blast, « Ce qui se joue vraiment derrière le cessez-le-feu à Gaza », 17 octobre 2025.
[3] Je ne manquerai pas de souligner la rencontre organisée à la Librairie « La Tâche noire » à Strasbourg le 9 octobre où fut présentée une lecture des récits palestiniens de lutte et de résistance dans les prisons israéliennes par Claude Zurbach et Aline Martin ; ce fut un moment d’échange intense, poignant et plein d’humanité : un foyer de résistance.
Auteur : Mahmoud Senadji
* Mahmoud Senadji est ancien professeur à l’Ecole supérieure des Beaux-Arts d’Alger.
21 octobre 2025 – Transmis par l’auteur

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