Comment le « Russiagate » profite au lobby israélien

Photo : D. Myles Cullen/Department of Defense
Michael Flynn, au centre, ancien conseiller à la sécurité nationale de Trump, a plaidé coupable le 1er décembre pour avoir menti sur les efforts déployés pour aider Israël à échapper à la censure des Nations Unies pour ses colonies illégales sur les terres palestiniennes - Photo : D. Myles Cullen/Department of Defense

Par Ali Abunimah

Depuis qu’Hillary Clinton a perdu l’élection présidentielle états-unienne de 2016, l’establishment du parti Démocrate s’accroche fermement à la croyance que ses insuffisances ou les leurs ne sont pas à blâmer pour sa défaite surprise, mais que celle-ci est plutôt le fruit d’un infâme complot russe de « pirater » l’élection en « collusion » avec le vainqueur.

Au lieu d‘examiner pourquoi Donald Trump a pu rencontrer un écho chez les électeurs de régions économiquement sinistrées du pays, ce que les Démocrates n’ont pas réussi à faire, les adeptes de la fable du Russiagate espéraient que des preuves irréfutables seraient rapidement mises au jour menant à la mise en accusation de Donald Trump et à l’annulation du résultat d’une élection qu’ils considèrent injuste et aberrante.

Vendredi dernier, j’ai pris la parole lors d’une conférence à Washington, DC, intitulée The Israel Lobby and American Policy, (le lobby israélien et la politique américaine), parrainée par The Washington Report on Middle East Affairs and IRmep, groupe de recherches sur l’influence du lobby.

Comme je l’ai fait remarquer dans mon intervention, une poignée de journalistes – en particulier Max Blumenthal et Aaron Maté de The Real News – ont constamment démystifié les affirmations farfelues, exagérées et parfois fabriquées d’ingérence russe faites par les membres de la prétendue mais lamentablement inefficace « résistance » à Trump.

Voir la vidéo ci-dessous.

Certes, au cours de l’année écoulée, le conseiller spécial Robert Mueller a procédé à un certain nombre d’inculpations, mais aucune de ces affaires – y compris l’inculpation récente de 13 Russes liés à une entreprise de production de logiciels de St. Petersbourg – ne corrobore l’affirmation fortement médiatisée que la Russie aurait contribué à faire élire Donald Trump à la Maison Blanche.

L’inculpation la plus en vue, peut-être, d’une personne de l’entourage immédiat de Donald Trump, le premier conseiller à la sécurité nationale Michael Flynn, montre effectivement qu’au lieu d’être de connivence avec la Russie, de hauts responsables de l’équipe de Trump coopéraient réellement avec Israël pour promouvoir ses objectifs.

Et tandis que personne n’a fourni de preuves que Trump ait marchandé sa politique étrangère avec des oligarques russes, il a assurément adapté sa politique envers Israël aux exigences du milliardaire des casinos Sheldon Adelson, son plus gros donateur de campagne.

La priorité immédiate de Sheldon Adelson était de faire reconnaitre Jérusalem comme capitale d’Israël par les Etats-Unis et d’y faire emménager l’ambassade états-unienne – et Trump s’est exécuté comme convenu.

La nouvelle censure profite à Israël

Dans mon intervention j’examine comment la fable du Russiagate, de façon particulière, profite de fait à Israël et à son lobby.

Je fais remarquer que l’adoption par de nombreux progressistes de l’hystérie du Russiagate légitime la censure qui permet à Israël de bâillonner une presse libre et de réprimer la liberté d’expression.

L’an dernier, le réseau RT financé par la Russie fut contraint de se faire enregistrer en vertu de la loi sur l’enregistrement des agents étrangers (FARA).

Comme Aaron Maté l’a remarqué, la grande majorité des partisans de la liberté d’expression et des journalistes ne dirent mot sur la question, pensant peut-être que cet outil de contrôle gouvernemental des médias ne serait jamais utilisé contre eux.

Mais maintenant, les partisans d’Israël au Congrès – y compris le sénateur Ted Cruz– exigent qu’Al Jazeera fasse l’objet d’une enquête du Ministère de la Justice et soit contraint de se faire enregistrer en tant qu’agent du Qatar. Ils citent explicitement comme précédent la mesure répressive prise par le gouvernement contre RT.

Al Jazeera est considéré coupable de transgression parce qu’il a produit un documentaire tourné en toute discrétion sur le fonctionnement du lobby israélien aux États-Unis.

Le Qatar subit d’intenses pressions de la part de ce lobby pour faire en sorte que ce documentaire ne sera jamais diffusé. Cinq mois après que Clayton Swisher, chef de la section enquêtes de la chaîne déclara qu’il sortirait « très bientôt, » le film n’a toujours pas été diffusé.

Lundi, The Electronic Intifada a publié en exclusivité des détails du contenu du film.

Selon une source qui l’a vu, le film répertorie un certain nombre de groupes de pression qui coopèrent avec Israël dans l’espionnage de citoyens américains en utilisant des techniques sophistiquées de collecte de données. Il révélerait également des initiatives secrètes visant à diffamer et intimider des Américains considérés comme trop critiques à l’égard d’Israël.

Certes, FARA n’est utilisé que contre des réseaux d‘information étrangers, mais le fait est que ces organes – quels que soient leurs défauts – procurent un espace de débat et de contestation que les médias grand-public états-uniens dociles n’offrent pas.

Il est tout simplement impossible d’imaginer CNN, ABC – voire même la BBC – faire preuve de réelle indépendance et affronter le puissant lobby israélien.

Bien que les organisateurs aient diligemment informé les médias de la tenue de la conférence à Washington, les seuls organes de presse qui m’ont invité à prendre la parole sur le lobby israélien ont été Real News et RT. Je sais que d’autres intervenants ont également été exclus par les médias grand-public.

En outre, il existe d’autres formes de censure high-tech qui sont utilisées pour étouffer ou stigmatiser la contestation dans les médias nationaux : conséquence, en partie, du Russiagate les géants de la Silicon Valley Google et Facebook ont succombé aux pressions politiques et ont de fait limité la couverture médiatique d’organes indépendants au nom de la lutte contre l’extrémisme, les « fausses nouvelles » et la supposée ingérence étrangère.

L’effet pervers, c’est la réaffirmation du contrôle de l’État et de l’élite sur les médias et l’érosion de la liberté dont dépendent ceux d’entre nous qui ont été exclus des organes de presse grand-public. Rien ne pourrait mieux convenir à Israël et à son lobby.

Sérieux avertissement

Il y avait au programme de la conférence à Washington de nombreuses présentations intéressantes que l’on peut voir sur la chaîne YouTube du Washington Report.

Le colonel Lawrence Wilkerson, qui occupait le poste de chef d’état-major de Colin Powell lorsque ce dernier était secrétaire d’État à la veille de l’invasion américaine de l’Irak en 2003, a lancé un grave avertissement selon lequel l’intensification de la présence militaire des États-Unis en Syrie pourrait être un prélude au déclenchement d’une guerre contre l’Iran pour le compte d’Israël.

Le colonel Wilkerson a déclaré qu’Israël et son allié l’Arabie Saoudite poussaient les États-Unis à mener une guerre contre l’Iran, qu’ils seraient incapables de mener seuls, pour y changer le régime.

« Nous l’avons déjà fait en Irak, en Libye, en Syrie, en Afghanistan, » a ajouté M. Wilkerson, « ainsi on nous verrait continuer sur notre lancée, ni plus ni moins. »

Il a prévenu qu’une confrontation et guerre israélienne avec le Liban – officiellement peut-être pour des questions de gisements gaziers contestés en Méditerranée – pourrait servir de prétexte.

Il a fait un parallèle inquiétant entre la situation actuelle et celle de 1914, à la veille de la première guerre mondiale – n’importe quelle étincelle pourrait déclencher un vaste conflit régional, voire mondial.

M. Wilkerson a pointé du doigt le rôle joué par le groupe de réflexion néoconservateur Foundation for Defense of Democracies (Fondation pour la défense des démocraties) menant la campagne pour la guerre au nom du premier ministre israélien Benjamin Netanyaou et de son ministre de la défense Avigdor Lieberman.

La source qui a parlé à The Electronic Intifada du film interdit d’Al Jazeera sur le lobby israélien a dit que, notamment, le documentaire révélait que le même groupe de réflexion agirait en tant qu’agent d’Israël dans son entreprise clandestine de sape aux États-Unis du soutien aux droits des Palestiniens.

Malgré la thèse inquiétante de M. Wilkerson, force est de constater que, aussi puissant soit-il, le lobby israélien ne peut à lui seul contraindre les États-Unis à entreprendre une guerre de conquête de territoires étrangers. D’abord, les élites états-uniennes n’ont jamais eu besoin que quiconque les encourage à mener des guerres dévastatrices partout dans le monde.

Lorsque l’establishment états-unien constate qu’un intérêt crucial est en jeu, il le poursuit quels que soient les désidérata du lobby. C’est pourquoi les États-Unis ont signé l’accord sur le nucléaire avec l’Iran en 2015 en dépit de tous les efforts déployés par Israël pour le saboter. L’accord survivra-t-il à l’administration Trump ? C’est, bien sûr, une autre histoire.

Dans son discours d’ouverture, le journaliste d’Haaretz Gideon Levy a déclaré que la domination militaire d’Israël sur les Palestiniens « est aujourd’hui l’une des plus brutales, et plus cruelles tyrannies sur terre. »

Il a réaffirmé que le mouvement boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) pour les droits des Palestiniens est un « outil légitime » et « l’unique possibilité » de contraindre Israël à mettre fin à cette injustice.

A4 * Ali Abunimah est un journaliste palestino-américain, auteur de The Battle for Justice in Palestine. Il a contribué à The Goldstone Report : The Legacy of the Landmark Investigation of the Gaza Conflict. Il est le cofondateur de la publication en ligne The Electronic Intifada et consultant politique auprès de Al-Shabaka.

6 mars 2018 – The Electronic Intifada – Traduction : Chronique de Palestine – MJB