Pour cet Eid al-Adha, c’est Gaza que le monde musulman offre en sacrifice

31 mai 2025 - Mais Abdel Aal, âgée de 10 ans, est soignée à l'hôpital Al-Nasser après avoir été grièvement blessée par les forces coloniales israéliennes, à Khan Yunis, le 31 mai 2025. Mais a subi une fracture du crâne après avoir été touchée par une balle tirée depuis un quadricoptère israélien alors qu'elle se trouvait dans sa tente dans la zone d'al-Mawasi à Khan Yunis, une prétendue « zone sûre » qui est régulièrement attaquée par les Israéliens. Elle souffre désormais d'hémiplégie, ce qui limite considérablement sa mobilité. Mais doit être transférée d'urgence à l'étranger pour y être soignée, son état s'étant détérioré, notamment avec l'apparition de vers dans son crâne, le complexe médical Al-Nasser n'étant pas en mesure de lui fournir les soins médicaux adéquats en raison du blocus israélien sur les fournitures médicales. Sa tante lance un appel à l'aide pour que Mais puisse retrouver sa mère, qui s'est déjà rendue en République arabe d'Égypte pour y être soignée - Photo : Doaa Albaz / Activestills

Par Saleema Gul

Le sacrifice animal de l’Aïd al-Adha nous rappelle la disposition du prophète Ibrahim à renoncer à ce qu’il aimait le plus pour l’amour de Dieu. Aujourd’hui, le monde musulman refuse de sacrifier son confort ou sa stabilité, et nous offrons donc en lieu et place Gaza en sacrifice.

Alors que les musulmans du monde entier se préparent à l’Aïd al-Adha, au cours duquel des millions d’entre eux sacrifieront un ovin pour se nourrir et nourrir leur entourage, nous devons prendre le temps de la réflexion et nous demander ce que nous commémorons vraiment cette année.

Alors que les familles musulmanes du monde entier divisent la viande en trois parts – une pour les pauvres, une pour les proches, une pour elles-mêmes – Gaza meurt de faim.

À Gaza aujourd’hui, la famine n’est pas accidentelle. C’est une réalité créée par Israël et la complicité des États-Unis.

Selon Oxfam, les habitants du nord de Gaza survivent avec seulement 245 calories par jour, soit moins que ce que contient une simple boîte de haricots. Une fraction minuscule des 2100 calories quotidiennes nécessaires pour éviter la malnutrition…

Les Nations unies ont déclaré que Gaza était « l’endroit le plus affamé de la planète ».

Le qurbani ou udhiya (sacrifice) de l’Aïd al-Adha a pour but de nous rappeler la foi inébranlable du prophète Ibrahim (AS) — sa disposition à sacrifier son fils et à renoncer à ce qu’il aimait le plus pour l’amour de Dieu.

Le qurbani n’est pas seulement symbolique ; il est le reflet de notre conviction morale — une mesure de ce que nous sommes vraiment prêts à sacrifier pour une cause supérieure.

Et que nous demande réellement Dieu ? Le Coran est clair : « Ce n’est ni leur chair ni leur sang qui parviennent à Allah, mais c’est votre piété qui parvient à Lui. » (22:37) Ce qui importe, c’est l’intention derrière le rituel, la conscience de Dieu avec laquelle nous faisons le sacrifice. C’est cela qui parvient à Lui.

Dans l’islam, la piété (taqwa) n’est pas passive : elle est censée être un bouclier, une boussole morale vivante. Et si nos sacrifices ne forgent pas ce bouclier, s’ils ne nous poussent pas à défendre les opprimés, alors à quoi servent-ils ?

Si la taqwa incite à l’action, alors nous devons nous demander : que voyons-nous dans le miroir cette année ?

Nous voyons un monde musulman baignant dans l’aisance ou la richesse. Des dirigeants qui font des déclarations inquiètes mais préservent leurs alliances avec les oppresseurs. Des populations qui prient mais n’agissent pas concrètement, qui ne réclament pas l’ouverture des frontières entre la Jordanie et Gaza ou entre l’Égypte et Gaza.

Des dirigeants qui « modernisent » des sociétés traditionnellement conservatrices, remplissant les stades de concerts et de feux d’artifice, mais ne montrant aucune urgence à contraindre les États-Unis à autoriser l’aide grâce à leurs investissements de milliards de dollars et leurs offres d’un trillion de dollars.

Les souffrances de Gaza sont le résultat de politiques délibérées et protégées par des intérêts financiers.

Le test d’Ibrahim et le nôtre : quand le rituel prend le pas sur le sens des responsabilités

Il n’y a aucune vertu dans la foi d’un peuple qui s’accroche aux rituels tout en ignorant le massacre de ses frères. Il n’y a aucune barakah (bénédiction) dans la viande sacrificielle offerte au nom de Dieu alors que son peuple meurt de faim sous le siège.

« Labaik, Allahumma Labaik ! » ont crié plus de 1,8 million de pèlerins lors de ce Hajj. « Me voici, ô Dieu, à ton service ! » Mais que signifie proclamer son service à Dieu dans le lieu le plus sacré de la Terre, La Mecque, si nous restons silencieux face à l’injustice qui règne juste à ses portes ?

Peut-être que la crise la plus profonde réside dans notre compréhension toute superficielle du sacrifice lui-même.

Ibrahim a reçu l’ordre de renoncer à ce qu’il avait de plus précieux dans sa vie : son fils Ismaël. C’était un défi direct à son attachement, à son ego, à son monde émotionnel.

À ce moment-là, le sacrifice n’était pas une question de mort, mais de détachement. Et il n’a pas hésité. Il a obéi. Son fils aussi s’est soumis, malgré la gravité de l’appel. Ce n’était pas l’acte de sacrifice qui importait. C’était la volonté, la confiance, la soumission à un commandement moral supérieur à l’instinct de survie.

Finalement, Ibrahim et Ismael ont tous deux été épargnés. Dieu a remplacé le garçon par un bélier, mais seulement après que l’épreuve ait été réussie et qu’Ibrahim ait prouvé qu’il était prêt à renoncer à ce qu’il aimait le plus.

Et si Ibrahim avait proposé quelque chose de plus facile à la place ? Un geste symbolique au lieu de son fils ? Et s’il avait dit : « Dieu ne veut sûrement pas cela », ou « C’est trop difficile », ou « Laisse-moi offrir autre chose ».

Cette hésitation est celle de la communauté musulmane aujourd’hui, qui propose des campagnes de charité au lieu de forces de protection, qui envoie de l’aide au lieu d’arrêter les bombes, et qui sensibilise au lieu de faire pression. Nous choisissons le confort plutôt que l’obéissance, la commodité plutôt que le courage.

Partout dans le monde musulman, les communautés continuent de donner généreusement, collectant des centaines de millions de dollars pour Gaza. Les organisations à but non lucratif lancent campagne après campagne. Les collectes de fonds deviennent virales.

La zakat, la sadaqah (charité) et le qurbani sont offerts en abondance, destinés à ceux qui meurent de faim dans Gaza assiégée.

Pourtant, une grande partie de cette aide ne leur parvient jamais. Elle reste stockée dans des entrepôts en Jordanie ou bloquée dans des camions en Égypte, en partie financée par la générosité des musulmans, mais bloquée par des barrières politiques.

« Une partie de la nourriture dont nous disposons arrive à expiration en juillet », a déclaré Jonathan Fowler, porte-parole de l’UNRWA, selon un reportage de Jane Arraf pour NPR le 30 mai 2025.

Cette aide comprend 200 000 tonnes de farine. Si une partie pourra être redirigée vers les réfugiés en Jordanie, M. Fowler a admis qu’« une partie devra être jetée ».

Ce sont là les dons gaspillés d’une oumma généreuse mais immobilisée, une aide collectée de bonne foi, pour être ensuite enfermée derrière les frontières des nations musulmanes et sacrifiée à la politique.

La communauté musulmane a également reçu un ordre. Aussi clair que la vision d’Ibrahim : défendez la justice, même contre vous-mêmes. Protégez les opprimés. Dépensez ce que vous aimez. Dites la vérité, même si elle est amère.

Mais nous nous aimons trop pour écouter. Trop pour obéir à ce qui nous a déjà été ordonné.

Nous ne renoncerons pas à ce que nous aimons le plus : notre confort, notre statut, notre sécurité ou notre stabilité. Alors nous offrons Gaza à la place. Nous sacrifions leurs enfants comme prix de notre indifférence.

C’est l’inversion du Qurbani et la corruption du sacrifice. Nous réécrivons l’histoire d’Ibrahim, non pas comme un récit de courage moral, mais comme un récit de lâcheté morale.

Le véritable Qurbani n’est pas une question de meurtre. Il s’agit de donner et de se soumettre, d’obéir à un appel supérieur même lorsque tout en vous veut dire non. Cet appel résonne dans les cris des affamés, dans les sanglots des enfants, dans le sol ensanglanté de Gaza.

Le véritable Qurbani ne réside pas dans la chair des animaux. Il réside dans ce pour quoi vous êtes prêt à vivre, en renonçant à quelque chose de précieux pour la justice et le caractère sacré de la vie humaine.

En ce jour de l’Aïd, Gaza a besoin de volonté politique. Elle a besoin d’un monde musulman qui se souvienne que la foi sans justice n’est qu’hypocrisie.

Que cet Aïd soit plus qu’un rituel ou une tradition. Qu’il soit un tournant, non seulement pour Gaza, mais pour le bien de l’humanité et du Dieu que la ummah prétend servir.

6 juin 2025 – Mondoweiss – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah

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