L’étoile de la Palestine toujours brillera

21 mai 2021 - Des Palestiniens manifestent au checkpoint de Beit El DCO (dans la ville palestinienne d'Al Bireh). La manifestation faisait partie des soulèvements quotidiens par les Palestiniens à travers la Cisjordanie, Jérusalem et la Palestine de 48 au cours des deux dernières semaines, dans une exigence sans précédent et unifiée pour la liberté face à la violence structurelle de la domination coloniale israélienne et en réponse aux attaques de l'occupant sur Gaza et en Jérusalem. Au cours de cette période, plus de 250 Palestiniens à Gaza ont été tués, dont 66 enfants, et 27 autres Palestiniens de Cisjordanie ont été tués, dont un certain nombre de mineurs - Photo : Oren ZivActivestills.org

Par Ilan Pappe

فلسطين لا تفزعي، نجمك في السما درة « N’aie crainte, Palestine, ton étoile dans le ciel est une perle » écrivait Nuh Ibrahim (1913-1938), faisant référence aussi à Abu Dura, le légendaire commandant de la révolte de 1936.

Avril, dans le calendrier historique de la Palestine, est un mois très chargé. En tant qu’historien, je me souviens, en particulier, des deux derniers mois d’avril dans l’histoire de la Palestine. En ce mois de 1936, le premier soulèvement palestinien du XXe siècle a éclaté et, en avril 1948, les forces sionistes ont ravagé la plupart des villes et des quartiers palestiniens, y compris dans ma ville natale, Haïfa.

En effet, Haïfa était un lieu important dans ces deux périodes dramatiques. Cette année, en particulier, je veux évoquer la mémoire d’un Haïfawi, Nuh Ibrahim, un fils de Haïfa, dont l’œuvre est aussi pertinente aujourd’hui qu’elle l’était il y a de nombreuses années. En fait, ce mois-ci, je suis allé visiter sa tombe dans la ville de Tamrah en Galilée.

Ibrahim est né à Haïfa en 1913, à Wadi Nisnas, le seul quartier palestinien laissé intact par les forces sionistes qui ont pris d’assaut la ville en avril 1948 et démoli la plupart de ses autres quartiers palestiniens. Les Palestiniens qui avaient réussi à rester à Haïfa ont été relégués dans ce quartier lors d’une rapide opération de nettoyage ethnique au début de juin 1948.

Ibrahim était un fils du clan Abu al-Hijja, maintenant représenté dans des lieux tels que Tamra, Kawkab al-Hijja et d’autres petites communautés, et qui se répartissait autrefois dans les villages détruits de Ruwais, Damun et, le plus remarquable de tous, le village panoramique d’Ayn Hawd, dont les élégantes maisons ont été épargnées parce que les bobos sionistes libéraux de l’époque, de Tel-Aviv, ont voulu en faire leurs nouvelles demeures et ont persuadé l’armée de ne pas les raser.

Ibrahim, connaissant bien l’imprimerie et ses outils – un artisanat qui l’a amené d’abord à Bagdad puis à Manama, Bahreïn – y a ouvert la toute première imprimerie. Mais avril 1936 le rappelle en Palestine. Il était déjà conquis par l’enseignement d’Izz al-Din al-Qassam, qu’il connaissait personnellement, et trouvait dans la poésie le meilleur moyen d’exprimer son amour pour sa patrie et sa détermination à lutter pour sa libération.

Il a pris une part active à la révolte sur le terrain et à travers sa poésie. Un de ces poèmes, « Plan it, Mr Dill » lui a coûté une peine de prison dans la tristement célèbre prison britannique d’Acre (un lieu de détention, de torture et d’exécutions).

Le général Dill était le commandant en chef des troupes britanniques en Palestine et l’architecte des mesures barbares que l’armée britannique a employées pour réprimer la révolte : démolitions de maisons (parfois avec les gens à l’intérieur), promenades sur des champs de mines, bouclages et couvre-feux. Le tout dans un système judiciaire dépourvu de tout droit pour les détenus ou les prisonniers. En résumé, un livre servant de manuel d’occupation oppressive, entièrement mis en œuvre avec la technologie de pointe du 20e et du 21e siècle par Israël depuis 1948.

« Plan it, Mr Dill » a en fait impressionné le général, malgré le fait qu’il l’accusait d’oppression des Palestiniens, et il a libéré le prisonnier. Cependant, d’autres poètes et écrivains sont restés en prison:

« Les meilleurs hommes du pays qui travaillaient et étaient des érudits reconnus. Les accusations portées contre nous étaient fabriquées et très étranges, il suffit d’en prouver l’une pour nous pousser à la potence, selon les nouvelles lois. »

Ainsi écrit Ibrahim dans son journal. Les « nouvelles lois » ont maintenant 76 ans et sont toujours intactes en ce Ramadan, largement employées dans une tentative israélienne désespérée d’empêcher une troisième Intifada.

Le premier jour du Ramadan 1938, Ibrahim et deux volontaires syriens, qui faisaient partie d’un mouvement de jeunes Syriens venant en aide à la Palestine dans la révolte, ont été traqués, pris en embuscade et tués avec l’aide d’un escadron de la RAF [Royal Air Force]. Une autre leçon historique que l’armée israélienne a adoptée – l’utilisation de forces massives pour capturer un combattant de la liberté palestinien équipé de vieux pistolets ou fusils.

Ibrahim avait 25 ans lorsqu’il a été tué et il a pourtant réussi à nous laisser un énorme héritage culturel. Dans un de ses célèbres poèmes de Mawal (la poésie familière folklorique), “N’aie crainte, Palestine”, il a rendu hommage à Abu Dura, l’un des chefs de la révolte palestinienne.

Il louait son commandement sur les chrétiens comme sur les musulmans, un message si important pour notre époque, qu’il a répété dans d’autres poèmes tels que “Une patrie pour tous”, écrit comme un antidote à la tentative britannique de semer la division entre chrétiens et musulmans dans le mouvement de libération nationale :

Chrétiens et musulmans, leur unité forte et résiliente
La croyance ou la religion est pour Dieu, alors qu’une patrie est pour nous tous
Ne dites pas chrétien et musulman,
Nous sommes tous frères de sang
Quoi que vous disiez ou fassiez, Adam est notre père et Eve notre mère
Chacun de nous le comprend, notre unité est forte et résiliente

En ce Ramadan, Pâques et Pessah, en ce mois d’avril 2022, l’unité n’est pas un vain mot. En ce mois d’avril, Haïfa est toujours une ville palestinienne autant qu’elle peut l’être à l’intérieur d’Israël et les Haïfawis sont partout, n’oubliant pas et n’abandonnant pas leur lutte pour la justice et la libération. Ce qui ne sera gagné que parce que nous serons unis.

Que nous soyons chrétiens, juifs ou musulmans, nous vivons dans un siècle où un État démocratique pour tous, dans toute la Palestine historique, est la seule solution, où les révolutions et les révolutionnaires sont commémorés, les Nakbas sont commémorées et des visions de libération sont encore imaginées.

Ces visions se transformeront un jour – pour notre bien à tous, colonisateurs et colonisés – en une nouvelle réalité sur le terrain. N’aie crainte, Palestine, ton étoile dans le ciel brillera et ton heure viendra.

5 avril 2022 – The Palestine Chronicle – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah