39e anniversaire des massacres de Sabra et Chatila : réflexions

Une femme palestinienne passe devant un inscription murale marquant le massacre de Sabra et Chatila en 1982 à Beyrouth, au Liban - Photo : archives

Par Swee Chai Ang

La fermeté et le courage de Sabra et Chatila sont dans tous nos cœurs. Aujourd’hui, nous commémorons l’injustice cruelle infligée aux Palestiniens lors du massacre de 1982, tout en sachant qu’il ne s’agit là que de l’une des agressions continues contre les Palestiniens depuis 1948.

Notre décision est de continuer à être à vos côtés dans votre difficile parcours, dans la solidarité, l’espoir et l’amour, sachant qu’un jour, la liberté et la paix interdites au peuple palestinien pendant toutes ces années seront reconquises grâce à votre lutte. Nous commémorons [ces massacres] avec des larmes, mais nous nous engageons à poursuivre cette lutte de toutes nos forces et tout au long de notre vie.

Nous savons que le jour viendra où les rires de nos enfants seront la récompense d’années de sacrifice et d’endurance.

En juin 1982, Israël a envahi le Liban. Il a bombardé le Liban par terre, air et mer, et a assiégé Beyrouth. Israël a tué et blessé des milliers d’innocents et fait au moins 100 000 sans-abri en quelques semaines. La ville de Beyrouth a été privée d’électricité, de médicaments, de nourriture et d’eau.

J’ai démissionné de mon emploi dans un hôpital de Londres pour aider les victimes au Liban. À l’époque, mes sympathies allaient à Israël, et j’ignorais l’existence des Palestiniens. Mais je ne pouvais plus rester sans rien faire et assister aux blessures et aux meurtres de femmes, d’enfants et de civils non armés – ou les voir transformés en sans-abri alors que les bombes ne cessaient de tombaient sur le Liban.

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Je suis arrivée à Beyrouth en août 1982 et j’ai été détachée à l’hôpital de Gaza, dans le camp de réfugiés palestiniens de Sabra et Chatila, à Beyrouth. C’était l’un des neuf hôpitaux et des treize cliniques du Croissant-Rouge palestinien et le seul à ne pas avoir été rasé par les bombes.

Les habitants de Sabra et Chatila m’ont fait connaître leurs souffrances depuis qu’ils ont été chassés de Palestine et sont devenus des réfugiés en 1948.

De nombreux habitants de Sabra et Chatila étaient des réfugiés pour la troisième et la quatrième fois, conduits de camp en camp lorsque leurs familles étaient tuées et leurs maisons détruites par les avions israéliens. C’est la première fois que j’entendais parler de leur terrible souffrance. C’est aussi la première fois que je rencontrais des Palestiniens.

Après avoir résisté aux bombardements continus pendant dix semaines, l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) à évacué les lieux en échange d’une fin des combats.

Les États-Unis ont promis qu’ils protégeraient les 300 000 réfugiés palestiniens restés au Liban. Ils les ont encouragés à quitter les abris pour retourner dans les camps de réfugiés afin de reconstruire leurs maisons et leurs vies. Mais ce n’est pas ce qui s’est produit.

Trois semaines plus tard, le 15 septembre 1982, les chars israéliens ont été autorisés à envahir Beyrouth. Un grand nombre d’entre eux ont encerclé et fermé le camp de réfugiés de Sabra et Chatila, de sorte que personne ne pouvait sortir ni entrer dans le camp.

Les tirs isolés ont commencé dès que le camp a été fermé. Au début, les blessés et les morts amenés à l’hôpital étaient principalement des femmes qui allaient chercher de l’eau et de la nourriture pour leurs familles.

Dans l’après-midi du jour suivant, des hommes, des femmes, des enfants et des bébés ont été abattus dans leurs maisons. Beaucoup ont été amenés morts et ont rempli la morgue.

Plus de 2000 personnes terrorisées se sont réfugiées dans notre hôpital en racontant que les milices Haddad, les Kataebs et les Israéliens tuaient des familles sans défense dans le camp. Ils craignaient pour leur vie.

Ils ne pouvaient pas s’échapper, et personne ne les protégeait.

L’hôpital manquait de sang, de médicaments et de nourriture. Notre équipe médicale et chirurgicale a travaillé sans relâche. Je voulais que les infirmières donnent le dernier paquet de sang à une mère blessée, mais elle a supplié qu’on le donne à son enfant, et elle est morte peu après.

La nuit, le ciel de Sabra et Chatila était éclairé par les fusées éclairantes de l’armée israélienne. Nous avons entendu des explosions et des bruits de mitrailleuses partout, et les blessés ont continué à être amenés à l’hôpital.

Il a été particulièrement douloureux d’opérer un petit garçon qui avait été abattu avec 27 membres de sa famille. Lorsque les corps sont tombés sur lui, il s’est évanoui et a été laissé pour mort par les meurtriers. Lorsqu’il s’est réveillé, il souffrait énormément. Des années plus tard, il a raconté qu’il avait entendu des femmes être rassemblées et violées.

Ses blessures physiques ont peut-être guéri, mais ses cicatrices émotionnelles sont encore présentes aujourd’hui. Il a fallu quatre ans à mes collègues américains pour le faire sortir de la maison où sa famille a été assassinée. Il n’est pas le seul enfant à avoir souffert de cette façon.

À l’aube du 18 septembre 1982, des soldats armés de mitrailleuses ont forcé toute l’équipe internationale de volontaires médicaux à quitter l’hôpital.

Lorsque nous avons été conduits dans la rue Sabra, nous avons vu des groupes de vieillards, de femmes et d’enfants rassemblés par la milice. Une jeune mère effrayée et désespérée a essayé de me donner son bébé, mais elle a été obligée de le reprendre. Elle a suppliés les miliciens d’épargner son bébé. Ils ont tous été abattus par la suite, y compris la mère et le bébé.

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Il y avait des cadavres empilés dans les allées du camp et des bulldozers qui détruisaient les maisons. Nous avions lutté pendant 72 heures sans interruption, sans nourriture ni sommeil, pour sauver des dizaines de vies. Mais dans ces mêmes 72 heures, au moins 3000 personnes ont été assassinées.

J’avais 33 ans à l’époque. J’ai grandi dans une famille chrétienne sioniste et je n’ai jamais su que les Palestiniens existaient jusqu’à ce que je mette les pieds à Sabra et Chatila.

J’ai alors su qu’il était de ma responsabilité humaine de ne jamais tourner le dos à cette horrible injustice. J’ai également compris que je devais parler au nom des victimes. Les morts ne pouvaient pas s’exprimer, et les survivants avaient besoin de ma voix.

Après avoir témoigné devant cinq commissions d’enquête sur Sabra et Chatila, et notamment m’être rendu en Israël avec Ellen Siegel pour témoigner devant la commission d’enquête israélienne Kahan sur la conduite de l’armée israélienne à Sabra et Chatila, je suis rentré au Royaume-Uni.

Les Palestiniens du Liban continuaient à être démunis, sans abri et affamés. La justice ne semblait pas être en vue. La situation était désastreuse pour eux, et en effet, ils continuaient à souffrir et à être de plus en plus désespérés. Des enfants sont nés et ont grandi dans la longue et sombre ombre du massacre, et il n’y avait aucun espoir de retour en Palestine.

Pouvons-nous rendre leur vie un tout petit peu plus facile ?

L’organisation Medical Aid for Palestinians (MAP) a été fondée au lendemain du massacre de Sabra et Chatila, dans ces circonstances. Nous voulions soutenir les Palestiniens par tous les moyens possibles.

Les fondateurs de la MAP ont mis en place l’organisation afin que les horreurs du massacre puissent être transformées en un pont – un canal positif d’amitié et de solidarité entre les Britanniques et les Palestiniens – non seulement au Liban, mais aussi dans les territoires palestiniens occupés et dans la diaspora.

Depuis lors, la MAP n’a pas seulement travaillé avec les Palestiniens au Liban, mais aussi à Gaza et en Cisjordanie. L’existence de la MAP est aussi notre façon de leur faire savoir que nous ne les abandonnerons jamais ni ne les oublierons.

Ce que fait la MAP est minuscule, une goutte dans l’océan, mais nous faisons partie de la marée qui se dirige vers la justice pour les Palestiniens.

Quant à moi, je me considère privilégiée et honorée de pouvoir voyager aux côtés des Palestiniens, d’être acceptée comme étant de leur famille. Que ce soit à Chatila, à Gaza, à bord de la flottille de la liberté Al-Awda vers Gaza, dans une prison israélienne ou en déportation, je veux que ma vie soit un hommage acceptable pour les Palestiniens.

Ils m’ont accueillie dans leurs vies et leurs foyers brisés et ont fait de moi l’une des leurs, m’offrant leur café au milieu des décombres qu’ils appellent leur maison. Pour cela, je remercierai Dieu chaque jour de ma vie, jusqu’à ce que la mort nous sépare.

18 septembre 2021 – Middle East Monitor – Traduction : Chronique de Palestine – MJB