Recrudescence de la violence faite aux femmes à Gaza

Juillet 2018 - Des centaines de femmes et de jeunes filles palestiniennes se sont rassemblées face à la clôture orientale séparant l'enclave côtière d'Israël [Palestine de 48], dans le cadre de ce que les organisateurs ont appelé la manifestation "Femmes palestiniennes pour le retour et la rupture du siège" - Photo : MEE/Mohammed Asad

Par Mai Abu Hasaneen

Des femmes se font tuer à un rythme alarmant dans la Bande de Gaza, où un système politique traditionnel privilégie toujours les questions politiques à la justice et à la protection de la vie des femmes.

«Ça fait si longtemps que Je pleure, me sentant seule et désespérée, me demandant pourquoi je n’ai pas de frère qui me prendrait dans ses bras et qui me ferait me sentir en sécurité ; un frère à qui je raconterais l’injustice, l’oppression et les coups prolongés de matraque et de bâton que j’endure, comme si je n’étais pas un être humain. Je lui dirais comment je suis devenue une âme vieille dans un corps jeune, » a écrit Istabrak Baraka, 17 ans, ses derniers mots avant d’être battue à mort par son mari le 16 juin dans la Bande de Gaza.

Mme Baraka, qui était enceinte de trois mois, se préparait à passer ses examens de fin d’études secondaires quand son mari l’a tuée.

Le jour de sa mort, la police a aussi annoncé qu’une femme d’une quarantaine d’année avait été tuée par ses frères dans un différend sur l’héritage.

Le 23 mai, des agents de police ont trouvé le corps d’une jeune fille de 16 ans enfoui dans une rue latérale de Jabalia, 15 jours après qu’elle avait été portée disparue. Une enquête a révélé qu’elle avait été tuée par son père.

Vingt-deux femmes en moyenne ont perdu la vie à cause de violences familiales en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza chaque année entre 2012 et 2019, d’après le Palestinian Center for Policy Research and Strategic Studies [Centre palestinien de recherches sur les politiques et d’études stratégiques].

Le nombre a atteint les 38 en 2020, lorsque la pandémie de COVID-19 a contraint les gens à rester chez eux, d’après le Women’s Center for Legal Aid and Counseling [Centre d’aide juridique et de conseil pour les femmes].

Six femmes sont mortes de violences familiales depuis le début de l’année, dont une en Cisjordanie et cinq dans la Bande de Gaza, d’après le Palestinian Center for Human Rights.

Les données montrent que les victimes étaient d’origines sociales diverses et ont été tuées de manières très différentes. Le dénominateur commun est qu’elles ont toutes subies des maltraitances physiques et psychologiques.

Les femmes palestiniennes vivent sous des lois archaïques qui datent des époques ottomane, britannique, jordanienne et égyptienne que beaucoup considèrent ne plus être pertinentes en 2021.

La Palestine a adhéré à plusieurs accords internationaux sur les droits des femmes au cours de la dernière décennie, y compris la Convention de l’ONU pour l’Élimination de Toutes Formes de Discrimination contre les Femmes en 2014.

La loi jordanienne sur le Statut personnel est en vigueur en Cisjordanie, et la loi de protection de la famille dans la Bande de Gaza. Leurs détracteurs disent que certaines dispositions sont discriminatoires envers les femmes malgré des amendements en faveur de l’égalité.

Toutefois, le système judiciaire de Gaza continue de prononcer des peines plus légères ou atténuées à l’encontre des agresseurs.

Nadia Abu Nahla, directrice de la branche du Comité technique des affaires féminines à Gaza, s’est entretenue avec Al-Monitor sur les principales raisons de la recrudescence des meurtres de femmes dans les territoires palestiniens.

Elle a expliqué que la mentalité sexiste qui règne dans le foyer, dans la communauté et dans le système politique est l’une des principales raisons derrière les formes multiples de violence envers les femmes.

Elle a ajouté que les meurtres de femmes au cours des dernières années n’ont rien à voir avec des « crimes d’honneur, » mais qu’ils sont plutôt liés à des différends concernant l’héritage, les libertés individuelles des femmes, ou des conflits familiaux dus aux dures conditions d’existence.

Mme Abu Nahla a ajouté que le système politique palestinien, qui est dominé par des forces rétrogrades comme les tribus, les groupes religieux et les factions radicales, n’a pas réussi à adopter des lois ni à mettre en place des politiques visant à combattre la violence faite aux femmes.

Elle a expliqué, « En tant que mouvement féministe, nous faisons pression depuis des années pour l’adoption d’une loi pour la protection des familles contre la violence. Nous avons préparé à cet effet un projet de loi qui a été soumis au Conseil des Ministres [en 2012]. Ce dernier y a ajouté des amendements qui ne garantissaient pas la protection des femmes contre la violence sexiste malgré nos réserves et a approuvé le projet en 2018. Mais le président, confronté à l’opposition des chefs tribaux, ne l’a pas approuvé. »

« Nous menons des campagnes de sensibilisation à la violence faite aux femmes par le biais de bureaux juridiques à Gaza, qui procurent un soutien psychologique et social, une représentation judiciaire et un soutien juridique. »

Elle a ajouté que son organisation a reçu 750 plaintes pendant le confinement en 2020 et environ 400 plaintes par mois ont été soumises via la ligne d’assistance téléphonique depuis le début de cette année.

Tahani Qasem, coordinatrice du Projet Hayat pour la Protection et autonomisation des Femmes et des Familles affilié au Centre pour la Recherche juridique, le Conseil et la Protection des Femmes à Gaza a déclaré à Al-Monitor que le centre avait reçu 500 plaintes concernant la violence à l’égard des femmes l’an dernier et qu’il y avait répondu en fournissant un soutien psychologique, social, et économique.

Soutien et mise à l’abri ont été procurés dans 52 cas à des femmes dont les pauvres conditions économiques les forçaient à endurer la violence, a-t-elle précisé.

Mme Qasem a expliqué que parmi les services que le groupe procure il y a le soutien économique, social et psychologique aux femmes battues afin qu’elles puissent s’extraire de situations violentes.

L’auteure féministe basée à Gaza, Hedaya Chamoun a dit dans une interview à Al-Monitor que les victimes ne devaient pas être réduites à des chiffres. Chaque femme tuée à une histoire et sa vie comptait.

Elle a dit, par ailleurs, que les meurtres de femmes devraient devenir une cause morale et sociale qui ne se limite pas aux institutions de défense des droits des femmes, car ils menacent le tissu social palestinien déjà mis à mal par les crises sociales, politiques et économiques dévastatrices dues à l’occupation israélienne.

25 juin 2021 – Al-monitor – Traduction: Chronique de Palestine – MJB