Pousser Gaza au suicide

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Les bombardements israéliens sur Gaza durant l'été 2014 ont provoqué des destructions massives dans les zones d'habitation. Le territoire assiégé n'a jamais pu s'en remettre. Photo : ActiveStills
Ramzy BaroudEn 2015, l’ONU avait prévenu que Gaza serait inhabitable d’ici 2020. À ce moment-là, tous les aspects de la vie dans Gaza abondaient dans ce sens, et la situation depuis n’a fait que s’aggraver, écrit Ramzy Baroud.

Mohammed Abed est un chauffeur de taxi de 28 ans du village de Qarara, près de la ville de Khan Younis dans la bande de Gaza. Il est édenté…

Le manque de soins médicaux et le mauvais travail du dentiste lui ont coûté toutes ses dents, qui se sont gâtés et sont tombés à un très jeune âge. Sa situation financière désastreuse l’a empêché de bénéficier de prothèses dentaires. Sa communauté a finalement lancé une souscription, recueillant les quelques centaines de dollars nécessaires pour que Mohammed puisse enfin manger.

Mohammed n’est pas au chômage. Il travaille dix heures, parfois plus, tous les jours. Le vieux taxi qu’il conduit entre Khan Younis et la ville de Gaza appartient à quelqu’un d’autre. Le salaire journalier de Mohammed varie de 20 à 25 shekels, soit environ 6 dollars.

Élever une famille avec quatre enfants avec un revenu si mince rendait impossible à Mohammed de penser à des dépenses apparemment accessoires, comme la réparation de ses dents ou l’acquisition de prothèses dentaires.

Aussi étrange que cela puisse paraître, Mohammed a malgré tout plutôt de la chance.

Le chômage à Gaza est parmi les plus élevés au monde, et il est actuellement estimé à 44%. Ceux qui sont “employés”, comme Mohammed, ont toujours du mal à survivre. L’aide humanitaire est vitale pour 80% des Gazaouis.

En 2015, l’ONU avait tiré la sonnette d’alarme, disant que Gaza serait inhabitable à l’horizon 2020. À ce moment-là, tous les aspects de la vie dans Gaza abondaient dans ce sens : le manque d’approvisionnement en électricité, l’eau polluée, la saisie par l’armée israélienne d’une grande partie des terres arables de la bande de Gaza, les fortes restrictions dans la mobilité des pêcheurs, pour ne citer que ces points.

Le siège militaire israélien sur Gaza dure maintenant depuis plus de 10 ans et la situation continue de se détériorer.

Un rapport de la Croix-Rouge en mai dernier a mis en garde contre une autre “crise imminente” dans le secteur de la santé publique, en raison du manque d’électricité.

La crise de l’énergie s’est étendue de l’approvisionnement en électricité jusqu’au gaz utilisé pour la cuisson des aliments.

En février dernier, Israël a réduit la moitié de la fourniture de gaz de cuisson au territoire assiégé.

“Les stations-service distributrices de gaz ont cessé d’accepter les bouteilles de gaz vides en retour parce que leurs réservoirs sont vides”, a déclaré Mahmoud Shawa, président de l’Association des propriétaires de pétrole et de gaz de la bande de Gaza. Il a qualifié la situation de “très critique”.

Il y a trois mois, l’Autorité palestinienne contrôlée par Mahmoud Abbas à Ramallah a décidé de réduire les salaires de dizaines de milliers de ses employés dans la bande de Gaza.

L’argent fourni par l’AP jouait un rôle essentiel dans le maintien à flot de l’économie de Gaza en difficulté. Avec la plupart des employés recevant une moitié ou moins de leurs salaires, l’économie de Gaza qui fonctionnait déjà sous perfusion est tout simplement en train de mourir.

“H” est un professeur d’université et son épouse, “S”, est médecin. Ce couple de classe moyenne qui a cinq enfants a vécu une vie assez confortable dans le territoire assiégé, même pendant les premières années du blocus. Maintenant, ils me disent compter leur argent très attentivement afin d’éviter le sort de la plupart des Gazaouis.

Le salaire de “S” provient de Ramallah. Elle ne reçoit aujourd’hui que 350 de dollars sur ce qui était autrefois une rémunération beaucoup plus élevée. “H” ne dépend pas pour son salaire de l’autorité de Cisjordanie, mais son salaire a de toute façon été réduit de moitié, puisque la plupart des étudiants sont maintenant trop pauvres pour assurer leurs frais de scolarité.

Mu’in, qui vit dans le camp de réfugiés de Nuseirat, est dans une situation bien pire. Enseignant à la retraite, avec une pension qui atteint à peine 200 dollars par mois, Mu’in essaie d’assurer la nourriture sur la table. Avec ses quatre fils adultes sans emploi et une femme se remettant d’un accident vasculaire cérébral et pouvant à peine marcher, Mu’in vit principalement de la charité.

Sans accès à la Cisjordanie en raison du siège israélien, et avec de sévères restrictions sur les déplacements à travers la frontière de Rafah vers l’Égypte, Gaza vit ses jours les plus sombres. Littéralement… À partir du 11 juin, Israël a commencé à réduire l’approvisionnement en électricité de la bande appauvrie, conformément à la demande de l’Autorité palestinienne d’Abbas.


Gaza: la crise de l’énergie s’aggrave alors que l’AP demande à l’occupant israélien de réduire la livraison d’électricité

Les résultats sont dévastateurs. Les ménages de Gaza reçoivent maintenant 2 à 3 heures d’électricité par jour, et même pas à heures fixes.

“S” m’a dit que sa famille est constamment en alerte. “Lorsque l’électricité arrive à n’importe quel moment du jour ou de la nuit, nous sommes tous à nous activer”, a-t-elle déclaré. “Toutes les batteries doivent être chargées aussi rapidement que possible et le linge doit être lavé, même à 3 heures du matin”.

Mais les Gazaouis sont des survivants. Ils ont surmonté tant de difficultés depuis des années que, d’une certaine façon, ils ont survécu. Mais les patients atteints de cancer ne peuvent pas rester en vie par leur simple force de caractère.

Rania, qui vit dans la ville de Gaza, est une mère de trois enfants. Elle se bat contre le cancer du sein depuis un an. Sans chimiothérapie disponible dans les hôpitaux de Gaza qui ne fonctionnent plus guère, elle a entrepris le dur voyage de Gaza jusqu’à Jérusalem chaque fois qu’elle avait besoin de suivre cette procédure vitale.

Cela était encore possible jusqu’à ce que Israël ait décidé de ne plus délivrer de nouveaux permis aux patients de Gaza en phase terminale. Certains d’entre eux sont morts alors qu’ils étaient en attente d’un permis et d’autres – comme Rania – qui espèrent encore un miracle avant que le cancer ne se propage dans le reste de leur corps.

Mais Israël et l’Égypte ne sont pas les seuls coupables. L’Autorité palestinienne à Ramallah utilise le siège comme d’un moyen de pression sur ses rivaux du Hamas, qui depuis dix ans gèrent du mieux qu’ils peuvent la bande assiégée.

D’autre part, le Hamas aurait cherché un partenariat avec son ancien ennemi, Mohammed Dahlan, pour soulager le siège de Gaza par l’intermédiaire de l’Égypte et en échange de sa nomination comme responsable d’un comité chargé des affaires extérieures de Gaza.

Dahlan est un ennemi juré d’Abbas, les deux se battant depuis des années pour la direction du Fatah.

Les demandes faites à Israël par Abbas de faire pression sur Gaza par la réduction de l’électricité, ainsi que ses réductions de salaire antérieures, sont destinées à dissuader le Hamas de faire alliance avec Dahlan.

Les Palestiniens de Gaza souffrent. En réalité, ils sont en train de mourir.

Il est consternant d’imaginer que les “leaders” palestiniens soient réellement impliqués dans le resserrement ou la manipulation du blocus pour obtenir des concessions politiques les uns des autres.

Alors qu’Israël a tout intérêt à maintenir la division palestinienne, celle-ci lui permettant de poursuivre sans entraves sa propre politique de colonisation illégale en Cisjordanie et à Jérusalem. Les Palestiniens sont aveuglés par des intérêts personnels pitoyables et un “contrôle” sans signification réelle sur des terres occupées.

Dans cette lutte politique, les gens comme Mohammed, “H”, “S” et Rania malade du cancer, ainsi que leurs deux millions de concitoyens semblent sans importance.

Magdalena Mughrabi, directrice régionale adjointe pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnesty International, a sonné l’alarme le 14 juin quand elle a prévenu que “le dernier coup de force risque de transformer une situation déjà désastreuse en catastrophe humanitaire”.

“Depuis 10 ans, le siège a privé illégalement les Palestiniens à Gaza de leurs droits et de leurs nécessités les plus élémentaires. Sous le fardeau du blocus illégal et de trois conflits armés, l’économie a fortement régressé et les conditions humanitaires se sont considérablement détériorées “, a-t-elle déclaré. ***

Omar Shakir, directeur de Human Rights Watch pour la région, a rejeté l’idée que la réduction des approvisionnements en électricité des Israéliens à Gaza est faite conformément à la demande de l’Autorité palestinienne.

“Israël contrôle les frontières, l’espace aérien, les eaux de Gaza. Donc Israël a une obligation qui va au-delà de la simple réponse aux demandes des autorités palestiniennes”, a déclaré Shakir.

Entre le rejet israélien des appels internationaux pour mettre fin au siège et les jeux de pouvoir pathétiques entre Palestiniens, les Gazaouis sont laissés seuls, incapables de se déplacer librement ou de vivre même selon les normes de vie les plus élémentaires.

Fatima, une mère de 52 ans de Rafah, m’a assuré qu’elle avait essayé de se tuer il y a quelques jours, et que ce sont ses enfants qui l’ont empêchée de se servir de son couteau.

Quand j’ai dit à Fatima qu’elle avait encore tant d’années à vivre, elle a eu un rire nerveux et n’a rien répondu.

Le taux de suicide dans la bande assiégée est à tout moment élevé, et le désespoir est considéré comme la principale raison à l’origine de ce phénomène alarmant.

Ramzy Baroud * Dr Ramzy Baroud écrit sur le Moyen-Orient depuis plus de 20 ans. Il est chroniqueur international, consultant en médias, auteur de plusieurs livres et le fondateur de PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Résistant en Palestine – Une histoire vraie de Gaza (version française), peut être commandé à Demi-Lune. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Scribest. Visitez son site personnel.

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28 juin 2017 – Transmis par l’auteur – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah

1 Commentaire

  1. “Dahlan ennemi d’Abbas”: l’ennemi de mon ennemi n’est pas forcément mon ami; Dahlan est un bandit !

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