Comment mon père a survécu à une grève de la faim dans les prisons israéliennes

Photo : Shahd Absusalama
Ismail Abusalama, aux côtés de son épouse - Photo : Shahd Absusalama

Par Shahd Abusalama

Une militante palestinienne évoque la grève de la faim de 33 jours suivie par son père il y a 37 ans.

Environ 1 500 prisonniers politiques palestiniens sont entrés dans leur 39e journée en grève de la faim dans les prisons israéliennes. Les prisonniers réclament certains des droits les plus fondamentaux, comme les visites bimestrielles familiales.
Les prisonniers palestiniens se sont engagés dans des grèves de la faim comme méthode de protestation non violente depuis 1968, après qu’Israël ait occupé les territoires palestiniens de Cisjordanie, de Jérusalem-Est et de la bande de Gaza. Certaines grèves ont été des succès tandis que d’autres ont été considérées comme n’ayant pas atteint leurs objectifs.
Ici, la militante et écrivain palestinien Shahd Abusalama revient sur l’expérience de son père qui avait participé à une grève massive de la faim dans une prison israélienne il y a bientôt quatre décennies.
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“Si nous n’avions pas résisté par nos grèves massives de la faim, nous serions comme les esclaves du Moyen Âge”, m’a dit mon père Ismail lors d’un appel sur Skype, après que je l’ai forcé à retourner à ses souvenirs de la grève légendaire de 33 jours qu’il a suivie il y a maintenant 37 ans dans la prison de Nafha.

Ses souvenirs m’ont paru émouvants, vivants et limpides compte tenu de la distance dans le temps. Ses yeux étaient fixés au plafond de sa chambre à la maison à Gaza, alors qu’il ne cessait de se gratter le menton comme s’il se représentait très bien tout ce qu’il évoquait. Toute sa gestuelle évoquait l’anxiété qu’il avait refoulée.

En 1980, mon père âgé alors de 27 ans était dans les prisons israéliennes depuis 10 ans, ce qui semblait dérisoire par rapport aux sept peines de prison à vie dont il avait écopé pour son affiliation au groupe du Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP).

Il aurait fini sa vie dans les prisons israéliennes, s’il n’avait pas bénéficié de l’échange de prisonniers de 1985.

Il était l’un des 80 prisonniers politiques palestiniens qui avaient été transférés à la prison de Nafha, récemment ouverte, dans le Naqab (Negev). Les conditions d’incarcération étaient extrêmement difficiles.

La prison était située dans le désert – un kilomètre au-dessus du niveau de la mer – “ce qui signifiait qu’il faisait chaud en été et qu’il faisait froid en hiver”, a rappelé mon père.

“Nous avions des cellules étroites qui ne voyaient guère le soleil. Chacune avait une fenêtre rectangulaire étroite et partiellement recouverte juste au-dessous du plafond, et une porte métallique avec une petite ouverture contrôlée de l’extérieur par les gardiens de la prison.”

“Chaque cellule, normalement prévue pour deux personnes, comprenait huit prisonniers, et nous n’avions qu’une promenade d’une demi-heure par jour en dehors de ces cellules dans une cour de moins de 400 mètres carrés et recouverte de barbelée. Nous n’étions pas autorisés à marcher en groupes, seulement individuellement ou au plus par deux, et nous ne pouvions que marcher en rond sous l’œil sévère des soldats israéliens”.

Les autorités israéliennes d’occupation ont choisi ces 80 détenus pour les transférer à Nafha parmi les milliers de prisonniers palestiniens. Ces quatre-vingt-là étaient réputés être les détenus les plus tenaces.

Le Service pénitentiaire israélien (IPS) avait supposé que le déplacement des prisonniers pour des raisons “disciplinaires” pourrait briser leur résistance. Les prisonniers eux-mêmes craignaient que la réussite de cette mesure “disciplinaire” ne signifie que “les conquêtes de tous les détenus avant 1980 seraient effacées” et créerait un précédent pour être appliquée à d’autres Palestiniens emprisonnés.

“Alors, dès le premier jour dans la prison de Nafha nous nous sommes rendus compte que nous devions nous préparer à contrecarrer cette mesure oppressive”, raconte mon père. “L’alternative était la mort”.

À la veille de la grève, les détenus ont rédigé une liste de revendications et l’ont soumise à l’administration pénitentiaire. La plupart de ces demandes ont été rejetées. “À ce moment-là, nous avons constaté qu’une grève de la faim était notre seul recours”, dit-il.

Les prisonniers ont lancé leur grève de la faim le 14 juillet, date à laquelle la prison de la Bastille a été prise d’assaut au début de la révolution française de 1789. C’était l’idée d’Omar al-Qassem, un membre de premier plan du Front démocratique pour la libération de la Palestine (DFLP). Qassem est mort en prison en 1989. Il a été emprisonné par Israël pendant 21 ans.

Les exigences de mon père et de ses camarades étaient très semblables à celles de la grève de la faim ouverte que plus d’un millier de prisonniers palestiniens ont lancé le 17 avril. Ces revendications sont toutes liés aux droits fondamentaux de l’homme qu’Israël a constamment violés.

Les revendications étaient la fin des punitions collectives et individuelles, en particulier l’utilisation de l’isolement cellulaire, le remplacement des matelas en éponge pour dormir par des lits appropriés, des couvertures, des vêtements d’hiver et d’été, des visites familiales deux fois par mois, l’accès à des produits alimentaires dans la cantine de la prison sur un pied d’égalité avec les prisonniers juifs, l’accès aux journaux et aux livres, l’agrandissement des fenêtres des cellules et l’extension à une heure de la promenade quotidienne dans la cour.

Bien que les demandes soient très élémentaires, mon père a souligné combien elles étaient vitales pour quelqu’un enfermé pour toujours dans une cellule et survivant par des moyens rudimentaires.

Photo : Sahad Abusalama
“J’écris cette lettre alors que notre fils Majed dort à côté de moi. L’unique chose qui nous manque est ta présence…”, dit une lettre écrite par la femme d’Ismail Abusalama alors que celui-ci était emprisonné – Photo : Sahad Abusalama

Chaque fois que les prisonniers palestiniens ont été en grève de la faim, les autorités israéliennes ont répondu en les punissant collectivement. La grève de la faim de Nafha n’a pas fait exception.

“Après neuf jours de grève, 26 de nos camarades ont été embarqués de force dans une cellule d’acier sur un camion, aspergés de gaz et emmenés dans ce qui semblait être un voyage vers la mort dans un endroit inconnu”, a déclaré mon père. Ce lieu a ensuite été identifié comme une prison à Ramla, une ville dans l’Israël actuel [Palestine de 1948].

Le gaz a fait toussé les prisonniers – menottés et les jambes garrottées – tout au long du voyage. Dans Ramla, les Palestiniens “ont été” accueillis “par les gardes de prison israéliens rangés en file des deux côtés et qui les ont tabassés avec des matraques alors qu’ils traversaient [la prison]”, a déclaré mon père. Les coups ont continué même lorsque les prisonniers se sont retrouvés avec des uniformes qu’ils ont été obligés d’endosser.

Parmi ces 26 prisonniers, Rasem Halawa, Ali al-Jafari et Isaac Maragha, sont décédés quelques jours plus tard après qu’ils aient été alimentés de force dans la clinique de la prison.

Il y a eu plusieurs tentatives de forcer les 26 prisonniers à “cesser la grève de la faim”, a déclaré mon père. “Mais ils [les autorités pénitentiaires israéliennes] n’ont pas réussi avec ces 26 prisonniers ni avec le reste d’entre nous. Nous avons répondu avec plus d’entêtement, jusqu’à ce que nous arrivions à la victoire tant attendue, 33 jours plus tard.”

L’IPS a depuis systématiquement voulu soumettre à l’alimentation forcée les grévistes de la faim palestiniens bien que cette pratique soit interdite par la Haute Cour de justice israélienne. Le ministre israélien de la Sécurité publique, Gilad Erdan, a lancé une campagne pour révoquer lever l’interdiction de l’alimentation forcée pour prévenir de futures grèves de la faim, qu’il a présentées comme “une nouvelle sorte d’attentat-suicide pour menacer l’État d’Israël”.

Certains médecins israéliens ont refusé de se livrer au gavage au motif que ce n’est pas conformes à leur éthique. Israël envisage par conséquent d’embaucher des médecins étrangers pour pratiquer le gavage sur les grévistes de la faim sous prétexte de “protéger” leur vie.

Après 18 jours de refus de nourriture, mon père avait été forcé de choisir entre manger de lui-même ou subir un appareil connu sous le nom de “zonda”, un dispositif composé d’un récipient et d’un long tube qui descend du nez ou de la bouche jusqu’à l’estomac.

La “zonda” était sale et “toute erreur amenait un risque de mort”, a déclaré mon père. “Il semblait qu’il s’agissait d’un tuyau d’égout pour les eaux usées. Elle a été utilisée successivement sur plusieurs des prisonniers sans être nettoyée. Les gardiens de prison pensaient que c’était un moyen efficace de suffisamment dégoûter les prisonniers pour qu’ils acceptent la nourriture”.

Mon père a résisté à la guerre psychologique, et une infirmière israélienne a été jusqu’à vouloir le nourrir de force pendant que ses mains et ses pieds étaient enchaînés sur une chaise.

Comment mon père et ses camarades ont-ils survécu à leur épreuve ? Ils ont résisté parce qu’ils étaient convaincus que leur “cause est juste” et parce que le soutien qu’ils recevaient du dehors de la prison “a nourri notre détermination”, raconte-t-il.

Mon père se tient à présent aux côtés des Palestiniens qui sont en grève de la faim. Chaque jour, il se rend dans une tente à Gaza qui a été érigée en solidarité avec les grévistes de la faim.

La campagne internationale est essentielle pour “donner encore plus de force à la bataille des détenus pour plus de dignité”, estime mon père. “La fréquence des grèves de la faim dans les prisons israéliennes est un témoignage de leur désespoir”.

26 mai 2017 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah