Palestine : Moscou investit sur le retrait américain

Mars 2020 - Le responsable du bureau politique du Hamas, Ismail Haniyeh, ainsi que de hauts responsables du Hamas à Moscou, en présence du ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov - Photo : via Hamas.ps

Par Ramzy Baroud

Le souci israélien était palpable lorsqu’il a été rapporté que le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, n’avait pas été contacté par le nouveau président américain Joe Biden depuis l’investiture de ce dernier.

Beaucoup d’éléments peuvent être déduits de l’attitude de Biden, dont un manque d’enthousiasme de Washington pour revenir au prétendu “processus de paix”, et Moscou suscite beaucoup d’attention en tant qu’alternative possible aux États-Unis en accueillant un dialogue intra-palestinien et en s’entretenant avec les dirigeants des différents groupes politiques.

En effet, un changement politique est en cours sur les deux fronts : les États-Unis prennent leurs distances de la région et la Russie y revient. Si cette tendance se confirme, ce ne pourrait être qu’une question de temps avant qu’un changement majeur de contexte ne se produise.

Les Israéliens s’inquiètent à juste titre de la possible disparition du soutien inconditionnel de leurs bienfaiteurs américains. “Il y a 195 pays dans le monde, et… Biden n’en a pas contacté 188”, a écrit Herb Keinon dans le Jerusalem Post le 2 février, ajoutant : “mais il n’y a qu’en Israël que les gens s’inquiètent de l’importance de ce retard”.

Cette inquiétude est justifiée car Israël se considérait depuis de nombreuses années comme le premier allié de Washington, tant au Moyen-Orient que dans le reste du monde.

Le maintien à l’écart de Netanyahu au début du mandat de Biden est soit un indicateur qu’Israël – en fait, toute la région – n’est plus une priorité américaine, soit un message d’avertissement adressé à l’un des plus fervents soutiens de l’administration Trump.

Lire également : Pourparlers de Moscou : où en est-on de la réconciliation palestinienne ?

Grâce à cette erreur de calcul de Netanyahu en politique étrangère, le soutien à Israël est devenu, ces dernières années, une question très controversée dans la politique américaine. Alors que l’écrasante majorité des républicains soutiennent Israël, seule une minorité de démocrates sympathise avec l’État sioniste, comme l’ont révélé de récents sondages d’opinion.

S’il est vrai que le comportement de Netanyahu ces dernières années lui a valu un statut spécial au sein des rangs républicains, le faisant ainsi persona non grata parmi les démocrates, il est tout aussi vrai que les États-Unis semblent se désengager complètement du Moyen-Orient.

Selon Politico, à propos des premiers jours de l’administration Biden, une restructuration majeure a déjà eu lieu au sein du personnel du Conseil de sécurité nationale des États-Unis, bousculant la structure précédente “où la part du Moyen-Orient était beaucoup plus grande qu’elle ne l’est maintenant et où le portefeuille de l’Asie était géré par une poignée d’employés plus jeunes”.

Mais ce n’est pas seulement Washington qui déplace son centre de gravité géostratégique. La Russie, elle aussi, subit une restructuration majeure de ses priorités en politique étrangère.

Alors que Washington se retire du Moyen-Orient, Moscou y consolide sa présence, ce qui s’est affirmé progressivement dans son implication calculée dans le conflit syrien depuis 2015. Moscou se présente désormais comme un partenaire politique et un médiateur à la position plus équilibrée entre Israël et les Palestiniens.

Comme les États-Unis, la Russie ne verra peut-être pas nécessairement son engagement politique comme un signe qu’il sera mis fin au ainsi-nommé conflit israélo-palestinien, même si Moscou insiste, contrairement à Washington, sur la centralité du droit international et des résolutions des Nations Unies dans la recherche d’une paix juste.

S’exprimant à l’Institut polonais des affaires internationales, Michał Wojnarowicz soutient que l’implication de la Russie en Palestine et en Israël est cohérente avec sa stratégie globale au Moyen-Orient, laquelle vise à construire “un réseau d’influence parmi les acteurs régionaux et à renforcer son image de partenaire politique attractif”.

Lire également : Les Palestiniens ont besoin d’une vision alternative

Une opinion assez similaire a été exposée dans le New York Times en 2016 lorsque Moscou a commencé à vouloir traduire ses gains stratégiques en Syrie en capital politique dans toute la région.

C’est à cette époque que le prétendu “processus de paix” parrainé par les États-Unis était arrivé à une impasse, donnant à la Russie l’occasion de lancer l’idée d’un échange parrainé par Moscou entre Israël et les Palestiniens.

“La nouvelle initiative de la Russie pour la paix au Moyen-Orient – qui s’inscrit dans la volonté d’ancrage de Moscou dans la région par le président Vladimir V. Poutine après des années de retrait – semble concerner tout sauf la recherche de la paix au Moyen-Orient”, expliquait un éditorial. “En réalité, ce dont il est question, c’est des ambitions et de la concurrence de Moscou avec Washington.”

À l’époque, Netanyahu avait repoussé la proposition russe, dans l’espoir qu’une administration républicaine accorderait à Israël toutes ses demandes sans avoir à faire la moindre concession.

Les Palestiniens quant à eux, y compris des mouvements relativement isolés comme le Hamas et le Jihad islamique, avaient répondu positivement à Moscou, y voyant un cadre accueillant et une puissance internationale capable d’équilibrer le soutien aveugle de Washington à Israël.

Malgré le refus israélien de s’engager dans des pourparlers avec les Palestiniens sous les auspices de la Russie, de nombreuses délégations palestiniennes se sont rendues à Moscou, aboutissant en janvier 2017, à une percée politique importante lorsque les organisations palestiniennes rivales – le Fatah, le Hamas et d’autres – ont eu des discussions très sérieuses dans l’espoir de surmonter leurs différends.

Bien que la série de pourparlers n’ait pas abouti à l’unité palestinienne, elle a marqué les débuts de la politique russe dans un conflit qui était clairement inscrit dans l’espace géopolitique américain.

Depuis lors, la Russie est restée très impliquée avec à un travail constant et déterminé de l’envoyé spécial de Poutine, Mikhail Bogdanov. Ces efforts sont orientés dans trois domaines différents : le dialogue intérieur palestinien, le dialogue israélo-palestinien et, plus récemment, le dialogue au sein du mouvement Fatah lui-même.

Ce dernier point en particulier, est révélateur de la nature de l’implication de Moscou dans les conflits à plusieurs niveaux qui sont à l’œuvre dans la région.

Bien que les groupes palestiniens aient finalisé leurs accords précédents au Caire, les hauts responsables palestiniens continuent de coordonner leurs actions avec Moscou et avec Bogdanov lui-même.

La crédibilité de la Russie parmi les organisations palestiniennes est renforcée par un sentiment similaire auprès des Palestiniens en général, d’autant plus qu’il a été annoncé en janvier qu’ils recevraient le vaccin russe Spoutnik V COVID-19, lequel devrait être rapidement disponible dans les territoires occupés.

De plus, alors que Washington a déclaré publiquement qu’il ne reviendrait sur aucune des actions de Trump en faveur d’Israël, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, fait pression pour qu’une conférence internationale sur la Palestine se tienne dans les mois à venir.

Les États-Unis n’ont plus d’autre choix que de se retirer lentement de leurs engagements antérieurs en faveur d’un processus de paix, et en fait, de la région dans son ensemble.

Comme c’est souvent le cas, toute retraite américaine signifie une ouverture potentielle pour la Russie, qui revendique désormais le rôle de médiateur pour la paix, un changement des plus importants que de nombreux Palestiniens saluent déjà.

Ramzy Baroud * Ramzy Baroud est journaliste, auteur et rédacteur en chef de Palestine Chronicle. Son dernier livre est «These Chains Will Be Broken: Palestinian Stories of Struggle and Defiance in Israeli Prisons» (Pluto Press). Baroud a un doctorat en études de la Palestine de l’Université d’Exeter et est chercheur associé au Centre Orfalea d’études mondiales et internationales, Université de Californie. Visitez son site web: www.ramzybaroud.net.

10 février 2021 – RamzyBaroud.net – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah

1 Commentaire

Les commentaires sont fermés.