La Palestine face à un avenir de dépossession, de racisme, de ségrégation et d’apartheid

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Abdel Bari Atwan - Photo : Quantara.de

Par Abdel Bari Atwan

Si le dernier vol de terres entraîne la réponse qu’il mérite, un bien pourrait encore sortir d’un mal.

Cela rabaisse et dévalorise la cause palestinienne que de la réduire à la question des 30% de la Cisjordanie et de la vallée du Jourdain que Binyamin Netanyahu veut annexer à Israël. Le territoire visé par l’annexion est déjà sous occupation, tout comme la Palestine dans sa totalité.

Pourtant, pendant de nombreuses années, le monde a gardé le silence sur cette occupation, bercé par les tromperies d’Israël et la collusion de ses partenaires internationaux, se laissant bercer par l’illusion que les accords d’Oslo et leurs fausses promesses y mettraient fin d’une manière ou d’une autre.

Ce n’était pas seulement une erreur. C’était un crime.

La “zone A”, qui est sous le “contrôle” totalement fictif de l’Autorité palestinienne (AP), ne représente que 18% de la Cisjordanie. Les zones B et C constituent les 82% restants. C’est là que l’annexion doit se produire conformément à l’ “accord du siècle” de Donald Trump, afin de rendre permanent sous la loi israélienne le statu quo actuel.

L’ONU et les gouvernements européens ont condamné les plans d’annexion d’Israël. Mais ces condamnations ont été formulées principalement par souci pour Israël et son avenir à long terme en tant qu’État juif, et non pour le peuple palestinien et ses droits légitimes dans sa patrie.

Aucun État européen n’a même fait allusion à l’imposition de sanctions à la suite de ces condamnations. Ils ont simplement lancé des avertissements et des appels pour qu’Israël reconsidère sa position. Deux d’entre eux – la Hongrie et l’Autriche – se sont même opposés à l’utilisation du terme “condamner”.

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Ce qui convient le mieux aux Européens et aux Américains, c’est de laisser ce statu quo dans les Territoires occupés perdurer indéfiniment dans le calme, avec le moins de résistance palestinienne possible.

Il en va de même pour les gouvernements arabes qui suivent leur exemple et sont engagés dans leurs projets de “normalisation”.

Tous craignent que l’échec du projet de l’Autorité palestinienne et la fin de sa coopération avec les Israéliens en matière de répression ne déclenchent une nouvelle Intifada ou une recrudescence de la résistance en Cisjordanie. Cela ramènerait la cause palestinienne à la case départ – avant l’ère d’Oslo et sa croyance infondée en un “ordre international fondé sur des règles” – et déclencherait une nouvelle lutte de libération sous une nouvelle direction, plus jeune et plus engagée.

C’est ce qui inquiète le plus les Israéliens et leurs partisans occidentaux.

Le péché capital commis par l’AP, héritière de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), a été de nier l’occupation et de devenir son facilitateur. Au cours des 27 dernières années, l’AP a été transformée en un instrument répressif pour protéger les colons israéliens. Tout ce qu’elle a obtenu en retour, c’est une poignée de pots-de-vin et d’incitations financières qui sont allés à ses dirigeants et à leurs clients et parents.

Le peuple palestinien n’a rien obtenu : seulement plus de revers et d’humiliation, plus de vols de ses terres et de ses sites sacrés, la disparition de sa cause des écrans internationaux et des insultes sur les médias sociaux de la part de certains régimes arabes.

Les autorités israéliennes racistes prévoient de s’approprier l’ensemble du territoire palestinien et de transformer les Palestiniens en esclaves qui servent leurs colons, balayent leurs rues et nettoient leurs toilettes – comme leurs homologues noirs sud-africains des “bantoustans” devaient le faire sous le régime de l’apartheid.

La première phase de la stratégie d’annexion consiste à s’emparer des terres agricoles les plus fertiles et des principales ressources en eau dans les zones à faible densité de population. Les grands centres de population tels que Naplouse, Hébron et Tulkarem sont laissés pour une deuxième étape dont la principale composante est le “transfert”. Il s’agit de transférer les habitants en Jordanie, une répétition directe des “déracinements” appliqués par les sionistes fondateurs en 1947 et 1948, en particulier sur la côte palestinienne et dans certaines parties de la Galilée.

C’est pourquoi les autorités jordaniennes sont si alarmées par le plan d’annexion et s’y opposent. Elles savent parfaitement que si ce plan réussit, la prochaine étape consistera à faire de la Jordanie la “patrie alternative” des Palestiniens.

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Le gouvernement israélien veut annexer la vallée du Jourdain non seulement en raison de la fertilité de son sol et de ses ressources en eau, mais aussi parce qu’elle pourrait constituer la frontière orientale d’une éventuelle entité palestinienne qui aurait alors accès à l’arrière-pays arabe, ce qu’Israël ne permettra pas.

Les Israéliens regrettent aujourd’hui de ne pas avoir bloqué l’accès de la bande de Gaza à l’arrière-pays égyptien. Malgré les sévères contrôles et restrictions, la frontière entre Gaza et l’Égypte a permis au Hamas et au Jihad islamique de se procurer des armes et des missiles.

Certains ont fait valoir que l’annexion de tout ou partie de la Cisjordanie pourrait avoir des conséquences positives sur le long terme, car elle pourrait ouvrir la voie à une solution à un seul État fait de deux nations ou peuples. Les partisans de cette théorie, y compris des Arabes et des Palestiniens, soutiennent que les Palestiniens constitueraient en fin de compte une majorité démographique dans un tel État et obtiendraient des droits égaux en tant que citoyens.

C’est totalement illusoire.

Les Palestiniens des zones annexées vivront dans des ghettos ou des réserves en tant qu’étrangers, privés de citoyenneté ou de tout autre droit associé. Les Israéliens sont bien conscients de cette perspective et ont mis en place toutes les contre-mesures nécessaires pour décevoir les espoirs de ces doux rêveurs – y compris la loi sur l’ “État-nation juif” de l’année dernière.

Le problème ne réside pas tant dans le plan d’annexion lui-même, que dans la manière dont l’AP et les factions qui la composent – ainsi que les groupes islamiques et autres qui s’y opposent – y répondent. Disposent-ils réellement des stratégies nécessaires pour relancer une résistance active à l’occupation de manière durable ? Il n’y a eu guère de signe jusqu’à présent.

L’AP a annoncé l’arrêt de toute collaboration avec les autorités israéliennes d’occupation. Mais l’un de ses responsables de sécurité a récemment déclaré au New York Times que ses forces continueraient néanmoins à lutter contre le “terrorisme” et à prévenir les attaques contre les colons israéliens.

Cela revient à se porter volontaire pour protéger l’occupant, et en plus gratuitement.

Nétanyahu pourrait décider de laisser de côté ou de reporter son projet. Personne ne devrait considérer cela comme une concession ou un succès, et encore moins comme quelque chose qui mérite d’être loué. Certains gouvernements arabes ont précisément fait allusion à cela en faisant savoir qu’ils pourraient accélérer la normalisation si Israël différait ses plans d’annexion.

C’est le contraire qui devrait être fait. Toutes les mesures possibles doivent être prises pour faire pression afin de mettre fin à l’occupation, et ceci par tous les moyens disponibles. Si le plan d’annexion déclenche une telle réaction – en Palestine, dans le monde arabe et au niveau international – un bien pourrait alors sortir d’un mal.

A1 * Abdel Bari Atwan est le rédacteur en chef du journal numérique Rai al-Yaoum. Il est l’auteur de L’histoire secrète d’al-Qaïda, de ses mémoires, A Country of Words, et d’Al-Qaida : la nouvelle génération. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @abdelbariatwan

1e juillet2020 – Raï al-Yaoum – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah