Occupation et pandémie : Israël doit être tenu responsable de la santé des Palestiniens

Photo : Sharona Weiss & Haidi Motol a/ Activestills
Des Palestiniens organisent une manifestation hebdomadaire contre l'occupation et la colonisation israéliennes dans le village de Hares en Cisjordanie. L'armée israélienne a fermé la porte du village, empêchant les manifestants d'atteindre leurs terres - Photo : Sharona Weiss & Haidi Motola/ Activestills

Par Yara Asi

En mars et avril 2020, alors qu’une grande partie du monde s’adaptait à une nouvelle situation d’enfermement et de couvre-feu, de nombreux Palestiniens ont retrouvé des circonstances familières.

Lorsque les premiers cas COVID-19 en Cisjordanie ont été identifiés près de Bethléem, l’Autorité palestinienne (AP) a placé le gouvernorat en quarantaine. Les déplacements à l’intérieur de la Cisjordanie ont été réduits d’une manière qui rappelle les pires périodes de restriction des déplacements sous l’occupation israélienne.

De plus, la Jordanie a fermé le poste frontière du roi Hussein, principal point d’entrée et de sortie pour les Palestiniens de Cisjordanie. Les Palestiniens qui travaillaient en Israël ont été renvoyés chez eux ou se sont vus dire de rester en Israël, et les Gazaouis, vivant sous blocus avec seulement deux points d’entrée et de sortie, ont été soumis à des quarantaines obligatoires pour toute personne rentrant chez elle à Gaza depuis l’étranger.

En fait, au début de la période de verrouillage COVID-19, le blocus de Gaza a été présenté comme un avantage potentiel, car on pensait que la restriction des mouvements d’entrée et de sortie du territoire réduirait le risque d’épidémie.

Cette note d’orientation traite trois manières dont le cadre juridique de l’occupation tel que défini par le droit international humanitaire (DIH) a été incapable d’assurer la santé publique des Palestiniens en ce temps de COVID-19. Tout d’abord, il explore le “dé-développement” actif et passif du système de santé palestinien avant la pandémie. En second, il examine les façons dont Israël n’a pas respecté ses obligations légales envers les Palestiniens concernant la pandémie. Et troisièmement, il analyse les façons dont l’occupation a aggravé la situation sanitaire en limitant les initiatives palestiniennes.

Bien que le DIH soit sans doute limité dans la protection des droits des populations opprimées, ce dossier reprend les formulations du DIH lui-même pour tenir Israël responsable de la santé publique palestinienne. Ce faisant, il soutient que même en regard des normes imparfaites convenues par la communauté internationale, Israël ne remplit pas ses obligations légales minimales en tant que puissance occupante en cette période de crise de santé publique. En ne remplissant pas ces obligations, Israël a activement contribué à la détérioration de la santé et du bien-être des Palestiniens.

Le dossier propose plusieurs recommandations politiques pour faire face à la crise de la santé des Palestiniens pendant la pandémie COVID-19.

Le cadre juridique de l’occupation et ses limites

Lors de la guerre des six jours de 1967, l’État d’Israël s’est emparé de la péninsule du Sinaï, de la bande de Gaza, de la Cisjordanie, de Jérusalem-Est et du plateau du Golan. Depuis lors, presque tous les gouvernements et organismes internationaux, y compris le Conseil de sécurité des Nations unies, la Cour internationale de justice, l’Assemblée générale des Nations unies et le Comité international de la Croix-Rouge, ont reconnu Israël comme puissance occupante dans ces territoires.

Pourtant, l’État d’Israël ne reconnaît pas sa présence dans le territoire palestinien occupé (TPO) comme une occupation et, en fait, il l’a activement contestée. Israël et ses partisans ont fait valoir que la nature du statut ou des devoirs d’Israël en tant que puissance occupante a changé dans les accords d’Oslo, et que, à tout le moins, Gaza n’est pas occupée en raison du “désengagement” de 2005.

En dépit de ces arguments, presque toutes les entités internationales ont continué à reconnaître ces territoires, y compris la bande de Gaza, comme étant occupés. En réponse, Israël et ses alliés se sont battus pour délégitimer l’ONU et changer le cadre de l’ “occupation” en une question d’intransigeance palestinienne, en s’appuyant sur un discours selon lequel tous les Palestiniens sont des menaces potentielles pour la sécurité d’Israël, justifiant ainsi leur punition collective.

Le DIH fournit un cadre solide pour les responsabilités des parties impliquées dans un conflit armé, et pour les responsabilités d’une puissance occupante envers les populations civiles sous son contrôle. Le règlement de La Haye de 1907 sur les guerres terrestres reflète les conventions de la fin du XIXe siècle relatives aux déclarations régissant les actes de guerre et, à ce jour, il est essentiel pour les enquêtes du DIH sur les violations des droits de l’homme.

L’article 42 du Règlement définit un territoire comme étant occupé “lorsqu’il est effectivement placé sous l’autorité de l’armée hostile”, et d’autres articles donnent à l’occupant un éventail de responsabilités, notamment celle d’assurer la sécurité publique et d’empêcher la saisie de biens privés. Corollaires du règlement de La Haye de 1907, les quatre conventions de Genève ont été codifiées en 1949, consacrant davantage les protections et les droits dans la conduite de la guerre, et sont considérées comme le cœur du droit international humanitaire.

La 4e Convention de Genève, qui protège les civils, a été adoptée après les atrocités de la Seconde Guerre mondiale. La section III décrit les protections dues aux civils dans les territoires occupés, qui sont très étendues.

Plusieurs articles sont pertinents pour décrire le devoir légal d’Israël envers la population palestinienne, en particulier pendant cette pandémie. L’article 53, par exemple, interdit la destruction de biens privés ou publics. L’article 55 stipule que la puissance occupante doit assurer l’approvisionnement en nourriture et en médicaments de la population, en particulier lorsque “les ressources du territoire occupé sont insuffisantes”. L’article 56 demande spécifiquement à la puissance occupante d’assurer et de maintenir la santé et l’hygiène publiques, tandis que l’article 59 demande à la puissance occupante de faciliter les efforts de secours humanitaire.

Il est important de noter que l’article 60 stipule explicitement que l’aide humanitaire “ne dégage en aucune façon la Puissance occupante de ses responsabilités au titre des articles 55, 56 et 59”. En d’autres termes, la présence d’aide d’organisations tiers pour répondre aux besoins humanitaires dans les Territoires Palestiniens sous Occupation [TPO] ne dispense pas l’État israélien de son devoir de répondre à ces besoins au mieux de ses capacités.

Les Nations unies ont réitéré cette responsabilité en mars, lorsque le rapporteur spécial des Nations unies pour les droits de l’homme en Palestine, Michael Lynk, a déclaré que “l’obligation juridique, ancrée dans l’article 56 de la quatrième Convention de Genève, exige qu’Israël, la puissance occupante, veille à ce que tous les moyens préventifs nécessaires dont il dispose soient utilisés pour ‘lutter contre la propagation des maladies contagieuses et des épidémies’ “.

Photo : Hosny Salah via Pixabay
Des Palestiniennes dans la bande de Gaza brandissent le drapeau palestinien – Photo : Hosny Salah via Pixabay

Au début de la pandémie, l’ONU a salué l’ “excellente” coopération entre les autorités israéliennes et palestiniennes pour gérer la pandémie”. Mais l’interprétation erronée de ces efforts comme étant de nature coopérative ne fait qu’enraciner la perception du quasi-État de Palestine et de l’État d’Israël comme des entités comparables. En outre, il est important de replacer cette coopération dans son contexte. Michael Lynk “a déjà noté qu’Israël est en ‘profonde violation’ de ses obligations internationales en ce qui concerne le droit à la santé des Palestiniens vivant sous occupation”.

Cette prétendue coopération autour de COVID-19 est plus susceptible d’être liée à une compréhension pragmatique de la propagation des maladies infectieuses, compte tenu de la présence de centaines de milliers de colons en Cisjordanie et du trafic transfrontalier constant de travailleurs palestiniens en Israël et de soldats israéliens en Cisjordanie. Comme cela a été si souvent répété ces derniers mois, COVID-19 “ne fait pas de distinction entre les personnes, et ne s’arrête pas aux frontières“.

Le dé-développement du secteur palestinien de la santé

Aucune analyse du secteur palestinien de la santé, très fragmenté, n’est aujourd’hui complète sans une compréhension des facteurs qui l’ont amené à son état actuel. Les déterminants sociaux et politiques de la santé sont profondément ancrés dans la manière dont l’occupation et ses restrictions s’imposent dans tous les aspects de la vie quotidienne des Palestiniens.

En effet, le blocus et les attaques continues sur la bande de Gaza ont conduit à des pénuries de nourriture, d’électricité et de fournitures médicales dans un environnement où les infrastructures ont été détruites. La Cisjordanie a de son côté également connu une perte et un morcellement continus des terres, associés à un sous-financement constant du secteur social sous une AP paralysée.

Les ressources en matière de santé sont insuffisantes, en particulier pour les besoins de santé mentale, les femmes et les jeunes. Des décennies de dépendance à l’égard de l’aide extérieure ont diminué le développement sur le long terme et ont aggravé la dépendance à l’égard de cette aide.

La dépendance de l’AP à l’égard de l’aide et des emprunts s’est avérée particulièrement désastreuse en cette période de COVID-19, car les organismes de financement sont confrontés à un besoin mondial sans précédent qui a limité leur capacité à remplir leurs engagements en matière d’aide. Qui plus est, Israël contrôle toutes les importations et exportations des TPO et interdit ou restreint depuis longtemps les importations de matériaux considérés comme “à double usage”, c’est-à-dire perçus comme une menace pour la sécurité.

Cela inclut des articles comme le ciment pour construire des installations pour soins de santé, les produits chimiques, y compris le carburant pour les générateurs des hôpitaux, les produits pharmaceutiques et la plupart des équipements médicaux. Cela continue à poser des obstacles importants au système de soins de santé palestinien et à sa capacité à répondre à la COVID-19.

Lors de son assaut de 2014 sur la seule bande de Gaza, Israël a détruit des milliers de maisons et environ 73 installations médicales, dont la plupart ne peuvent être reconstruites en raison des restrictions à l’importation. Les observateurs des Nations unies ont constamment critiqué Israël pour avoir fait obstruction à l’aide humanitaire aux Palestiniens et démoli les structures financées par les donateurs.

Ce dé-développement économique et infra-structurel de la Palestine a conduit à un mauvais état de santé pour de nombreux Palestiniens, augmentant ainsi la probabilité qu’ils développent les symptômes graves de COVID-19. Les TPO font état d’un taux d’obésité élevé tout en signalant des taux de malnutrition, d’anémie et de diabète de type 2 plus élevés que la normale.

Les TPO ont également été confrontés à une pénurie de personnel de santé pendant les années qui ont précédé la pandémie. À Gaza en particulier, une partie du personnel médical a été tuée lors d’attaques militaires israéliennes.

Ces menaces, la pauvreté et la détérioration de l’économie, ainsi que le manque de ressources encouragent certains de ceux qui étudient la médecine à s’expatrier pour travailler ailleurs.

En allant au-delà de l’occupation, l’AP a largement échoué à répondre de manière adéquate à la pandémie. C’était prévisible, même avant mars 2020. En effet, juste avant l’apparition de l’épidémie, des médecins et des spécialistes de toute la Palestine se sont mis en grève pendant un mois en raison du paiement de prestations qui aurait dû être effectué depuis longtemps.

Les effets destructeurs de l’échec à long terme de l’AP à investir dans le secteur de la santé sont aggravés par l’infrastructure de l’apartheid israélien sous la forme de points de contrôle, de passages de frontières, du mur de séparation et du système de permis qui restreint la circulation des personnes et des fournitures nécessaires.

Le mauvais état du système de santé palestinien oblige de nombreux Palestiniens qui ont besoin de soins de santé particuliers, à demander des permis médicaux délivrés par Israël qui leur permettent d’accéder à des hôpitaux en Israël [Palestine de 48] ou à Jérusalem-Est. En 2019, cependant, seuls 64 % des permis médicaux ont été approuvés à Gaza et 81 % en Cisjordanie.

De plus, après que l’AP ait arrêté la coordination civile avec Israël en réponse au plan d’annexion de 2020, et que le plan des Nations Unies pour faciliter les permis ait été bloqué, Israël n’a approuvé que la moitié des demandes urgentes de permis médicaux de Gaza à la fin du printemps. Ainsi, de nombreux Palestiniens qui ont contracté le COVID-19 et qui souffraient de maladies pré-existantes ont été empêchés de recevoir des soins médicaux adéquats, y compris l’accès à des respirateurs.

Politisation de la santé des Palestiniens pendant la COVID-19

Alors qu’Israël a fourni à l’AP une formation et du matériel, y compris des kits de test, pour contrôler la propagation du virus, la directrice adjointe de la division de l’économie au ministère des Affaires étrangères, Yael Ravia-Zadok, a également indiqué clairement, au début de la pandémie, que « les besoins des Palestiniens en la matière sont plus importants que ce que l’État d’Israël est en mesure de fournir ». Dans le même temps, Danny Danon, l’ambassadeur israélien auprès des Nations unies, a répondu aux critiques de l’AP concernant la gestion par Israël de COVID-19 dans le TPO :

« Les Palestiniens reviennent à leurs comportements naturels – antisémitisme, anti-israélisme, et accusations infondées – et essaient d’utiliser la situation pour gagner des points politiques […] Mon message était très clair : les Palestiniens doivent choisir. S’ils veulent continuer à recevoir l’aide au coronavirus, ils doivent cesser les incitations. »

Photo : via www.workers.org
Vérification de la température d’un enfant dans le cadre des précautions prises contre le COVID-19 dans la ville de Gaza – Photo : via www.workers.org

Ainsi, les Palestiniens doivent prouver qu’ils méritent une aide, sans critiquer les comportements du gouvernement israélien, sous peine d’être accusés d’incitation et d’antisémitisme. Cela fait écho aux efforts déployés pour punir les Palestiniens d’avoir cherché à obtenir le statut d’État à l’ONU en 2012, lorsque les États-Unis ont suspendu 147 millions de dollars d’aide, ou lorsque Netanyahu a qualifié d'”édits antisémites” les enquêtes de la Cour pénale internationale sur les crimes de guerre potentiels commis dans les colonies, l’année dernière.

Dès janvier 2020, des groupes comme l’Office de secours et de travaux des Nations unies (UNRWA) se sont mobilisés pour protéger de la pandémie les réfugiés palestiniens vivant dans les camps. De plus, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA) a préparé un plan d’intervention COVID-19 pour le TPO fin mars, et le Comité de liaison ad hoc a demandé des millions de dollars d’aide aux donateurs.

Des pays comme la Turquie et l’Arabie Saoudite ont apporté des fonds et des fournitures médicales. La Banque mondiale a approuvé une subvention de 30 millions de dollars pour aider à améliore les revenus des familles. Même les États-Unis, qui ont coupé la plupart des aides aux Palestiniens, y compris l’aide à l’UNRWA et l’aide aux hôpitaux de Jérusalem-Est, ont annoncé une modeste contribution pour les aider à répondre à la COVID-19.

Israël a également mis de côté 800 millions de NIS (236 millions de dollars) pour aider les Palestiniens à faire face à la pandémie en mai, mais sous la forme de prêts financés par les futures recettes fiscales palestiniennes, qu’Israël perçoit.

On peut donc considérer qu’une partie de ce qui est présenté comme de la coopération est un assouplissement par Israël de certaines de ses restrictions sur les Palestiniens pour permettre à d’autres entités de fournir de l’aide. Pourtant, la prétendue aide d’Israël aux Palestiniens est stratégique. En avril 2020, le ministre de la Défense Naftali Bennett a indiqué qu’Israël conditionnerait l’aide à Gaza à la récupération des restes de deux de ses soldats perdus lors de la guerre de 2014.

Bennett a même comparé la crise humanitaire à Gaza à la récupération par Israël de ses soldats : « En ce moment, on parle de la situation humanitaire à Gaza – Israël a aussi des besoins humanitaires, qui sont principalement la récupération des soldats tombés au combat ». Et puis, en août, en réponse aux attaques de ballons enflammés de Gaza qui ont provoqué des dizaines d’incendies, Israël a lancé des frappes aériennes, empêché les importations de carburant, restreint l’accès à la pêche et bloqué 30 millions de dollars d’aide du Qatar à Gaza.

Bloquer les efforts palestiniens pour combattre le COVID-19

Si l’Autorité palestinienne a été critiquée pour sa mauvaise gestion de la pandémie après sa réponse initiale efficace, instituant des mesures de confinement et de fermeture rapides, il faut reconnaître que l’Autorité palestinienne n’avait pas les ressources et le pouvoir suffisants pour aller beaucoup plus loin. Outre le manque d’autonomie nécessaire à la mise en place d’un système de santé publique opérationnel, les Palestiniens n’ont pas non plus l’autonomie nécessaire pour répondre aux crises sanitaires en temps réel.

À Jérusalem-Est, où Israël limite fortement les opérations de l’AP, les autorités israéliennes ont négligé de construire et de promouvoir des installations de test suffisantes ou de fournir des données précises, et les ONG ont dû intervenir pour garantir que des informations COVID-19 actualisées soient disponibles en arabe.

En outre, l’armée israélienne a constamment empêché les initiatives palestiniennes en matière de santé. Israël a non seulement fait une descente dans un centre de test COVID-19 à Silwan, mais il a également arrêté ses organisateurs pour empêcher « toute activité de l’Autorité palestinienne à Jérusalem ». Autre exemple, les autorités israéliennes ne desservent pas des zones comme Kufr Aqab qui se trouvent techniquement à l’intérieur des limites tracées par Israël, mais à l’extérieur du mur de séparation. En conséquence, et puisque Israël interdit toute activité de l’AP dans ces zones, les Palestiniens qui s’y trouvent sont privés de tout service gouvernemental.

Ce n’est que lorsque l’ONG palestinienne Adalah a déposé une requête auprès de la Cour suprême israélienne que les autorités sanitaires israéliennes se sont engagées à ouvrir des cliniques et des centres de dépistage dans ces secteurs. Qui plus est, Israël a contrecarré les initiatives volontaires des Palestiniens pour restreindre la circulation ou fermer des entreprises, même si certains résidents palestiniens de ces zones ont des autorisations de voyage, ce qui risque de propager l’infection dans tout Israël et la Cisjordanie.

La propagation de l’infection est une préoccupation majeure dans les prisons israéliennes. En juin 2020, il y avait plus de 4.000 prisonniers et détenus palestiniens dans les prisons israéliennes. Des centaines de ces prisonniers sont maintenus en détention administrative pour une durée indéterminée, sans procès ni accusation. Alors que les experts des droits de l’homme des Nations unies ont demandé des libérations massives de prisonniers au début de la pandémie, et que des centaines de prisonniers israéliens ont bénéficié de libérations anticipées, aucune mesure de ce type n’a été prise pour les Palestiniens.

Malgré les multiples témoignages de prisonniers et de gardiens de prison israéliens dont le test de dépistage du virus s’est révélé positif, la Cour suprême israélienne a décidé en juillet que les prisonniers palestiniens n’avaient pas droit à la distanciation sociale.

Tandis que les politiques israéliennes ont entravé la capacité des Palestiniens à développer leur économie, en particulier dans l’industrie agricole vitale, de nombreux Palestiniens de Cisjordanie sont obligés de travailler en Israël comme main-d’œuvre peu qualifiée, alors que ceux de Gaza ne reçoivent généralement pas de permis de travail. En effet, jusqu’à 70 % de la main-d’œuvre du secteur de la construction d’Israël est palestinienne.

Ces travailleurs ne peuvent pas travailler chez eux, et le taux de chômage élevé signifie que ceux qui ont un emploi doivent le conserver. Une grande partie de cette main-d’œuvre a continué à travailler et, en fait, le ministre israélien des Transports a prévu une accélération des projets pendant le confinement. Cela favorise le développement continu de l’économie israélienne, alors que l’économie palestinienne est globalement fermée, mis à part les salaires limités de ces travailleurs.

Outre le déséquilibre économique, cette situation augmente le risque sanitaire des habitants de Cisjordanie, car de nombreux travailleurs ont été renvoyés chez eux sans avoir subi de test COVID-19. Certains des premiers décès en Cisjordanie dus au COVID-19 ont été imputés à des Palestiniens qui travaillent en Israël.

Outre le refus de tester les travailleurs, le gouvernement israélien a totalement ignoré les conditions de logement et de travail des milliers d’ouvriers qui restent en Israël pendant le blocus, y compris des ouvriers qui ne disposaient pas de logements pour la nuit et qui ont été contraints de dormir dans une décharge à Jérusalem.

Comme nous l’avons vu plus haut, le blocus israélien sur la bande de Gaza et les restrictions en Cisjordanie ont entraîné une pénurie de gros équipements nécessaires aux soins spécialisés, tels que les ventilateurs. Début avril 2020, 80 à 90 % des 256 ventilateurs de Cisjordanie et des 87 de la bande de Gaza étaient déjà utilisés. Alors qu’Israël craignait que ses 40 ventilateurs pour 100.000 personnes soit insuffisants, la bande de Gaza ne disposait que de 3 ventilateurs pour 100.000 personnes.

Même après le début de la pandémie, les fournisseurs d’équipements médicaux qui avaient travaillé directement avec le ministère palestinien de la Santé pour importer des marchandises avaient des difficultés à obtenir l’approbation du coordinateur des activités gouvernementales dans les territoires (COGAT) d’Israël. L’un d’entre eux essayait depuis trois ans de faire entrer du matériel médical à Gaza, sans succès.

Pour contourner ces problèmes, les Palestiniens ont trouvé des moyens de créer des ventilateurs avec les matériaux disponibles, et après une demande d’aide du ministre palestinien des Affaires étrangères, une ONG australienne a fait don de ventilateurs et d’autres équipements à l’AP. Cependant, même ce don, dont le besoin est urgent, a dû être approuvé et avalisé par le gouvernement israélien et sera expédié en Israël avant d’être remis à Ramallah.

Photo: via globalgiving.org
Gaza – Quand la tendresse et l’attention suppléent à des services rendus défaillants par l’occupation israélienne – Photo: via globalgiving.org

Les autorités israéliennes ont également confisqué des matériaux essentiels aux cliniques de terrain et aux hébergements d’urgence dans la vallée du Jourdain, notamment des matériaux pour construire des tentes et un générateur électrique. Après avoir suspendu temporairement les démolitions au début du mois d’avril 2020 en raison de la pandémie, les forces israéliennes ont démoli 65 structures à Jéricho et al-Khalil (Hébron) à la fin de ce mois, laissant des dizaines de Palestiniens, dont au moins 25 enfants, sans abri.

Malgré le nombre croissant de cas positifs en Israël et en Cisjordanie, les démolitions se sont poursuivies tout au long du printemps et de l’été, notamment d’un centre de dépistage du coronavirus indispensable en zone C près d’al-Khalil, l’épicentre de la pandémie en Cisjordanie. En outre, les démolitions à Jérusalem-Est sont en passe de battre les records annuels précédents, avec environ 90 unités résidentielles détruites à septembre 2020.

Si la violence structurelle de l’occupation est particulièrement apparente en cette période de crise mondiale, la violence directe n’a pas cessé. Gaza a été engagée dans un conflit actif pendant la majeure partie de l’été, l’aviation et l’artillerie israéliennes ayant frappé des zones de la bande en réponse à des ballons enflammés et des roquettes.

En Cisjordanie, les incursions et les raids de l’armée israélienne se sont poursuivis, ce qui a fait craindre à la population palestinienne que les soldats israéliens entrant dans leurs maisons ou occupant les postes de contrôle puissent être contagieux.

Recommandations

Comme l’a déclaré l’ONU à l’occasion du 50e anniversaire de l’occupation israélienne , « l’occupation empêche les flux d’aide antérieurs de se traduire par des gains tangibles en matière de développement. La majeure partie de l’aide des donateurs a été utilisée pour limiter les dégâts, les interventions humanitaires et le soutien budgétaire ».

Qu’il s’agisse du débat sans fin et abstrait sur un ou deux États, ou de l’énorme industrie de l’aide qui privilégie le maintien de l’ordre et la gouvernance par rapport aux soins de santé et à l’agriculture, une grande partie de ce qui est fait “pour” les Palestiniens ne change que très peu la réalité morbide. Cela ne fait qu’occulter la crise humanitaire existante, aujourd’hui aggravée par une crise sanitaire mondiale qui met à l’épreuve même les États les plus stables et les plus riches. Qualifier de “calme” toute période sans guerre active est un mensonge lorsqu’une crise comme celle de COVID-19 éclate et qu’aucune entité n’a la volonté et la capacité de protéger la vie des Palestiniens.

Voici ce dont nous avons désespérément besoin pour faire face à la crise de santé publique en Palestine pendant la pandémie COVID-19 :

* Les dirigeants palestiniens, qui jusqu’à présent et pour diverses raisons n’ont pas réussi à subvenir aux besoins des Palestiniens pendant la pandémie, doivent dépasser le statu quo et adopter une “approche de collaboration sociale et d’autonomisation” qui réponde aux besoins des Palestiniens.

* Israël doit libérer les prisonniers politiques palestiniens et, plus urgent encore, les prisonniers âgés et les malades chroniques, ainsi qu’améliorer les conditions de vie des personnes qui purgent des peines.

* Une résolution juste sur le statut des réfugiés palestiniens dans tout le Moyen-Orient, y compris le retour, ainsi que la mise en œuvre des droits dans les pays d’accueil, est nécessaire pour protéger cette population marginalisée qui est touchée de manière disproportionnée par la pandémie. En attendant cette mise en œuvre, la communauté internationale doit rétablir la capacité de l’UNRWA à fournir des services de santé et d’éducation aux communautés de réfugiés palestiniens plutôt que de devoir compter sur des appels d’urgence et autres efforts de collecte de fonds ad hoc.

* Israël doit lever son siège de Gaza, en particulier pour permettre l’entrée de biens et de matériaux médicaux pour la construction d’installations sanitaires, et pour permettre l’entrée de personnel médical pour soutenir les prestataires de soins de santé terriblement en sous-effectif à Gaza. L’assouplissement des restrictions à l’importation en Cisjordanie permettrait également d’alléger le fardeau des installations médicales.

* La communauté internationale, y compris l’Union européenne, la Ligue arabe et le Conseil de sécurité des Nations unies, doit faire pression sur Israël pour qu’il prenne toutes les initiatives visant à respecter ses obligations en tant que puissance occupante en vertu de la 4e Convention de Genève. Ils doivent exiger qu’Israël cesse toutes les incursions en Cisjordanie, arrête toutes les démolitions, et promulgue des protections spéciales pour les travailleurs palestiniens en Israël.

15 novembre 2020 – Al Shabaka – Traduction : Chronique de Palestine & ISM France