Mise au point urgente et nécessaire sur la Syrie

Réfugiés syriens - Kos 2015
Des réfugiés syriens attendent de se faire enregistrer à l'extérieur du poste de police de Kos, le 9 septembre 2015 - Photo: Irene Nasser
Gary Leupp

1. La Syrie est un pays d’environ la taille de l’état de Washington. Il a une longue et glorieuse histoire bien documentée, et a joué un rôle central dans l’émergence du judaïsme, du christianisme et de l’islam. Avant la guerre actuelle, il avait une population d’environ 22 millions d’habitants. Il n’a jamais menacé les Etats-Unis et ne représente aucun danger pour eux.

C’est une république constitutionnelle laïque reconnue par les Nations Unies. Elle entretient des relations diplomatiques, et généralement cordiales, avec la Russie, l’Iran, la Chine, l’Inde, le Japon, le Brésil, l’Afrique du Sud, les Philippines, l’Argentine, la Tanzanie, Cuba, l’Egypte, L’Irak, l’Algérie, Oman, etc. Historiquement, elle fut un champ de bataille pour les peuples arabes, iraniens et turcs, à différentes époques elle fit partie de l’empire perse, des califats arabes Omeyyade et Abbaside, ou de l’empire ottoman. Elle tomba sous l’administration coloniale française après la défaite de l’empire ottoman (qui avait pour centre ce qui est maintenant la Turquie) au cours de la première guerre mondiale. Elle fut brièvement déclarée royaume avec pour souverain l’émir arabe Fayçal jusqu’à ce que les Français ne le chassent de Damas en 1920.

Par la suite La Société des Nations donna à la France un « mandat » pour gouverner la Syrie (qui comprenait le Liban, et dont la France a fait un état séparé). Cette administration coloniale se poursuivit jusqu’en 1946. Après que l’état eut obtenu son indépendance de la France, des partis politiques représentant les commerçants ou intellectuels de Damas ou d’Alep rivalisèrent pour le pouvoir, tandis que le parti communiste (au grand dam de Washington) était toléré. Le parti Baas laïque fondé par des chrétiens, des sunnites et alaouites en 1947 commença à s’organiser.

2. Les Etats-Unis ont un long passé d’intervention en faveur d’un « changement de régime » en Syrie. Après l’indépendance de la Syrie, les Etats-Unis intervinrent régulièrement dans le pays dans le cadre de leurs objectifs politiques de la Guerre Froide. Il est largement soupçonné que le coup d’état militaire de 1949 en Syrie fut soutenu par les Etats-Unis, qui considéraient que le régime précédent était trop indulgent avec le communisme. Et la CIA a ouvertement reconnu sa responsabilité dans les tentatives de coup d’état manquées, « Operation Straggle » de 1956 et « Operation Wappen » de 1957 menée par Kermit Roosevelt, Jr. visant à mettre en place un régime anticommunisme acceptable. Des tentatives de corruption ratées dans le cadre de la deuxième opération furent très embarrassantes pour les Etats-Unis lorsqu’elles furent mises à jour. (Après que le gouvernement syrien eut déjoué le complot, Washington commença à accuser la Syrie d’être un « client soviétique. »)

La Syrie et l’Egypte formèrent en 1958 une union de courte durée, la République arabe unie, que les Etats-Unis considéraient comme pro soviétique ; après son effondrement suite à un nouveau coup d’état en 1961, les Baasistes se hissèrent au pouvoir. Après le coup d’état baasiste en février 1963 dans le pays voisin, l’Irak, leurs camarades syriens prirent le pouvoir. Mais les partisans syriens se divisèrent en factions, et les relations entre les partis des deux pays tournèrent au vinaigre. Néanmoins, ils ont constitué le statu quo au pouvoir tant en Syrie qu’en Irak jusqu’en 2003 lorsque le parti Baas d’Irak fut dissous par l’occupation étatsunienne (Il comptait alors quelques 400 000 membres)

3. Jusqu’à la guerre de 1967, les Baasistes étaient l’option préférée de Washington – entre l’islamisme et le communisme. Prônant le laïcisme, le panarabisme, et le nationalisme économique ils semblaient relativement non hostiles aux Etats-Unis. Bien que, dans les premières années de la guerre froide en particulier, les Etats-Unis aient vilipendé les partis « neutres » en général, une alliance avec les Baasistes sur des objectifs communs était envisageable. (Saddam Hussein – comme vous le savez sûrement – après le coup d’état en Irak collabora avec la CIA pour regrouper, torturer et exécuter les communistes irakiens dans le Qasr al-Nehayat, le Palais de la Fin. Un ancien haut responsable du département d’état qui était sur les lieux a déclaré à UPI : « Nous étions franchement heureux d’en être débarrassés. Vous demandiez qu’ils aient un procès équitable ? Vous voulez rire. C’était une affaire sérieuse. »)

Mais après les victoires remportées par Israël en 1967, Washington décida de repenser ses relations au Moyen-Orient et de s’en remettre de plus en plus au lobby israélien – pour lequel les Baasistes étaient des nationalistes panarabes antisionistes (donc « antisémites ») dangereusement complexes (précisément parce qu’ils étaient laïques, anti islamistes, et attiraient les minorités religieuses), qui apportaient un soutien politique et matériel aux groupes palestiniens et libanais opposant résistance à l’occupation israélienne, et qui exigeaient la restitution des Hauteurs du Golan occupées, que le monde entier s’accordait à reconnaitre comme territoire syrien. Washington fut donc amené à inscrire la Syrie et l’Irak sur une liste de pays « sponsorisant le terrorisme ». Pendant ce temps, à partir de 1976 la Syrie intervenait à plusieurs reprises au Liban, ostensiblement à la demande de diverses parties engagées dans un conflit civil qui s’élargissait impliquant des Palestiniens et des envahisseurs israéliens après 1982.

4. Et pourtant, tout en voyant la Syrie à travers le prisme israélien, et la considérant comme « terroriste » les décideurs états-uniens ont généralement maintenu des relations diplomatiques avec la Syrie (rompues en 2011) et ont même parfois sollicité sa coopération. La Syrie, alors gouvernée par le père de l’actuel président, Hafez al-Assad, a participé à la coalition internationale constituée par George W. Bush contre l’Irak en 1991 (et oui, en dépit du fait que des franges du parti Baas gouvernaient à la fois la Syrie et l’Irak à l’époque). Une décennie plus tard, après le 11 septembre, les Etats-Unis ont à nouveau sollicité la coopération de la Syrie dans une autre guerre ; elle a – comment dire ? – contribué secrètement au programme extraordinaire d’extraditions suite aux entretiens cordiaux avec Colin Powell et d’autres responsables.

5. Depuis le début de ce siècle, les responsables états-uniens sont divisés entre ceux qui sont plus ou moins partisans d’utiliser la puissance états-unienne pour faire tomber le régime, et ceux qui ont la tête plus froide et craignent les conséquences. Les néoconservateurs majoritaires dans la première administration de George W. Bush avaient clairement exprimé en 1996 (au gouvernement israélien, dont ils conseillaient les membres en qualité de binationaux israélo-états-uniens) leur vision d’un changement de régime en Iran, en Syrie et en l’Irak à l’instigation des Etats-Unis pour rendre la région plus accueillante pour Israël.

Le 11 septembre a permis aux néoconservateurs changeurs de régime et leurs alliés d’avancer vite. Exploitant la peur et l’ignorance, ils se sont immédiatement mis à préparer la guerre à l’Irak, bien que l’Irak n’eût absolument rien à voir avec le 11 septembre. Des propos souvent cités du général Wesley Clark, échangés avec un général du Pentagone peu de temps après le 11 septembre, nous ont appris qu’il existait un plan préétabli de « liquider sept pays en 5 ans, à commencer par l’Irak, puis la Syrie, le Liban, la Libye, la Somalie, le Soudan, et pour finir l’Iran. » Des voix se faisaient entendre au sein de l’administration Bush (tout particulièrement celle du sous secrétaire d’état John Bolton, dont D. Trump a dit qu’il était l’un des spécialistes en politique étrangère qu’il respectait le plus) pour réclamer des frappes sur la Syrie (semblable à un « fruit mûr ») reprenant des allégations israéliennes infondées que les armes de destruction massive non trouvées en Irak avaient dû être envoyées de l’autre côté de la frontière en Syrie. Et bien sûr tout le monde applaudit en septembre 2007 lorsque les forces aériennes israéliennes bombardèrent un prétendu réacteur nucléaire en Syrie.

En 2005 l’homme politique libanais Rafik Hariri fut assassiné à Beyrouth. Les Etats-Unis accusèrent la Syrie et la forcèrent à retirer ses troupes du Liban. Pourtant leurs relations avec Damas ne furent pas rompues. Quand Bashar avait succédé à son père à la présidence en 2000, il avait été accueilli en réformateur. C’était dans ces termes qu’Hillary Clinton en parlait jusqu’en 2010. Mais des fuites de messages diplomatiques montrent que l’ambassade états-unienne à Damas cherchait activement à renverser le président même avant 2011.

6. Le « printemps arabe » de 2011 mit fin à la discussion sur le changement de régime. La faction néoconservatrice au département d’état passa à l’action. Hillary Clinton, puis rapidement Barak Obama ordonnèrent à Bashar al-Assad de démissionner, après que des affrontements mortels entre manifestants et la police leur eurent offert l’occasion de propager une accusation préétablie : « Il a attaqué son propre peuple ! » Les Etats-Unis fermèrent leur ambassade à Damas, prévoyant de la rouvrir une fois que l’opposition modérée serait au pouvoir comme prévu. Il est connu que la secrétaire d’état d’alors a ouvertement prôné d’apporter une aide militaire aux rebelles, malgré la réticence d’Obama. En fait, les Etats-Unis ont secrètement entraîné 53 militants syriens en Turquie qui dès qu’ils furent entrés en Syrie en septembre 2015 furent capturés ou s’enfuirent, abandonnant leurs armes. Les efforts pour transformer le « printemps arabe » syrien en un exercice de changement de régime pro états-unien ont lamentablement échoué ayant pour résultat un massacre généralisé.

7. En même temps, les forces d’al-Qaïda se regroupaient, pour rapidement devenir la colonne vertébrale du mouvement armé anti Assad. En 2013 apparut sur la scène l’EIIL (Etat islamique en Irak et au Levant ou Daech), dernière incarnation en date de la franchise d’al-Qaïda établie en Irak par Abu Musab al-Zarqawi (après que l’occupation états-unienne en 2003 eut pour la première fois fait du pays un terreau fertile pour al-Qaïda). Il se tailla son propre territoire au nord-est de la Syrie, avec pour siège Raqqa (220 000 habitants), capturée en mars 2013. Entre temps al-Nosra, émergeant d’un groupe de djihadistes davantage en lien avec la Centrale d’Al-Qaïda au Pakistan, prit la direction de l’opposition armée autour des grandes villes de Damas et d’Alep. Les deux groupes tinrent des pourparlers d’unité, mais al-Zawahiri d’Al-Qaïda rejeta l’idée d’une fusion et les deux organisations sont ennemies depuis lors.

Al-Nosra est le partenaire indispensable de la soi-disant « armée syrienne libre » depuis sa création, et a reçu des quantités énormes d’aide de la part de la Turquie, de l’Arabie Saoudite et du Qatar.

8. En septembre 2013, alors que les forces de l’état syrien gagnaient du terrain sur l’opposition armée et que de nombreux analystes en conclurent que le vent avait tourné dans le conflit, quelqu’un lâcha du gaz sarin dans un faubourg de Damas. Certains en accusèrent le régime Assad. John Kerry, successeur d’Hillary Clinton comme secrétaire d’état, était impatient d’attaquer la Syrie. Un an auparavant, Obama avait déclaré que les Etats-Unis attaqueraient s’ils voyaient « tout un tas d’armes chimiques se déplacer ou être utilisées. » Obama était sur le point de donner l’ordre d’attaquer lorsque la diplomatie russe prudente lui retint la main. Moscou contesta les accusations des Etats-Unis selon lesquelles le régime aurait fait usage du gaz pointant au contraire du doigt l’opposition, et de toute façon la Russie facilita le renoncement par le régime d’Assad à ses stocks d’armes chimiques remis à l’ONU. Ce fut un grand triomphe pour la diplomatie russe et un revers pour les projets des néoconservateurs de renverser le régime en Syrie

9. Les victoires éclair de Daech au début de 2014, tandis qu’il revenait en Irak conquérant Falloujah, Ramādī et Mossoul, furent un cauchemar en matière de relations publiques pour les Etats-Unis. Elles attestaient clairement que la destruction par les Etats-Unis de l’état irakien moderne et laïque avait ouvert la voie à des fous qui décapitent des enfants, asservissent les femmes, et détruisent les monuments. Les Etats-Unis ont dû bombarder Daech, à la fois en Irak (avec l’autorisation du gouvernement) et en Syrie (où les avions de guerre états-uniens, contrairement aux avions russes, opèrent illégalement). Depuis septembre 2014, les Etats-Unis et leur « coalition » bombardent Daech (mais pas al-Nosra, si imbriqué à d’autres groupes considérés comme « modérés » par les Etats-Unis qu’il est généralement épargné) tout en maintenant dans le même temps que le régime baasiste est le principal problème, responsable en quelque sorte du phénomène de ces gens qui en brûlent d’autres dans des cages, en enterrent vivant, et convertissent de force.

Il est difficile de soutenir cet argument parce que c’est insensé. Il n’y a pas ici de perception rationnelle de causalité historique. Même si le baasisme syrien constitue un système autoritaire, et même à certains égards fascisant (bien que de par sa tolérance religieuse, son inefficacité, sa corruption il semble tout à fait non fascisant), il n’a pas donné naissance à al-Qaïda ni à aucun de ses avatars. Ce sont les Etats-Unis, qui en soutenant les moujdahidins en Afghanistan dans les années 1980 (en liaison avec Osama ben Laden), en détruisant l’état laïque d’Irak, et en s’attaquant à l’état laïque de Syrie pour y changer le régime en portent la responsabilité. Daech est apparu parce que les Etats-Unis ont chassé Abu Musad al-Zarqawi d’Afghanistan en 2001 ; se sont aliénés les sunnites d’Irak en détruisant les institutions irakiennes, créant ainsi un vivier dans lequel Zarqawi a pu recruter ; et déstabilisèrent la Syrie, créant ainsi encore plus de possibilités pour l’expansion du califat.

Il est tout simplement stupide de prétendre qu’Assad est responsable de la présence de Daech dans son pays (pour avoir refusé de se soumettre au diktat états-unien, et de démissionner pour laisser le champ libre à la solution de rechange états-unienne). Que cette explication soit si souvent répétée par les experts dans la presse grand public devrait être une cause d’inquiétude généralisée sinon de désespoir. Des arguments de ce genre proférés par le Département d’Etat sont les roulements de tambour qui précèdent la guerre. Depuis 2014 il y a eu de nombreux articles de presse faisant état de la frustration qui règne tant au sein du département d’état qu’au sein du Ministère de la Défense quant à l’absence de clarté de la mission syrienne : s’agit-il de se débarrasser d’Assad (le « problème principal »), ou de « détruire » (comme l’a dit Obama) les bourreaux d’enfants que l’invasion criminelle de l’Irak a fait surgir ? L’opinion dominante au Département d’Etat semble avoir glissé vers une solution à cours terme, celle du changement de régime.

En Août 2015, il a été largement rapporté que le Général David Petraeus, alors directeur de la CIA, prônait « d’utiliser des membres soi-disant modérés du front al-Nosra, branche d’al-Qaïda pour combattre Daech en Syrie » Oui c’est bien ça – s’allier avec al-Qaïda, contre un dérivé plus terrible encore d’al-Qaïda, pour être mieux à même de renverser Assad qui se cramponne obstinément au pouvoir, défiant les ordres de Washington.

10. L’intervention de la Russie dans le conflit syrien, à partir de septembre 2015 (exactement un an après que les Etats-Unis commencèrent à bombarder des cibles de Daech dans le pays), avait pour objectif de consolider l’état syrien contre une opposition étroitement liée à ce que les Etats-Unis estiment être « l’opposition modérée, » a changé la donne. Cette intervention, répondant à la demande du gouvernement syrien (qui, rappelons le, est le gouvernement d’une république laïque, constitutionnelle reconnu au niveau diplomatique par les Nations Unies et entretient des relations cordiales avec la Russie, l’Iran, la Chine, l’Inde, le Brésil, l’Afrique du sud, les Philippines, l’Argentine, la Tanzanie, Cuba, l’Egypte, l’Irak, l’Algérie, Oman et bien d’autres pays malgré les efforts de Washington pour l’isoler et le renverser), est légale, alors que celle des Etats-Unis ne l’est pas.

La presse états-unienne a pratiquement passé sous silence les succès remportés par les Russes venus en aide à l’armée syrienne pour reprendre Palmyre à l’horrible Daech, qui avait démoli le temple de Bel, et pour détruire les convois de pétrole se déplaçant entre les territoires sous contrôle des terroristes et la Turquie pour du commerce illicite. Au lieu de cela, se faisant l’écho du Département d’Etat, elle a tout simplement accusé Moscou de soutenir le gouvernement reconnu internationalement contre des rebelles que les Etats-Unis veulent voir gagner.

11. Les actions russes, en renforçant d’autant plus la position du régime et en affaiblissant ceux qui sont officiellement reconnus tant par Washington que par Moscou comme étant des terroristes, ont obligé les États-Unis à répondre positivement aux sollicitations russes en vue d’une action commune contre ces derniers. Le 9 septembre Kerry et Lavrov ont convenu d’un plan prévoyant un cessez-le-feu d’une semaine (auquel le gouvernement syrien a donné son accord) entre les forces de l’état et l’opposition « légitime » (soutenue par les Etats-Unis). Pendant cette période, cette dernière se séparerait d’al-Nosra pour éviter d’être elle-même bombardée.

Une opération russo-américaine conjointe contre les terroristes devait suivre ces mesures tandis que les négociations de paix reprenaient à Genève. Malheureusement, les Etats-Unis n’ont pas pu, ou ont fait preuve de réticence à persuader leurs nombreux mandataires dans ce conflit de rompre avec al-Nosra. (C’est ce qui a vraiment condamné l’accord ; l’incapacité des Etats-Unis à tenir leur engagement.) Certains clients, en colère, ont refusé et se sont retournés contre leurs conseillers états-uniens. Le 16 septembre (soi-disant par erreur) les Etats-Unis et plusieurs de leurs alliés ont bombardé une base de l’armée syrienne tuant 62 soldats engagés dans un combat contre Daech. Furieuse, la Syrie a repris le bombardement d’Alep-Est, contrôlée par al-Nosra (Fatah al-Sham). Les Etats-Unis ont accusé la Syrie ou la Russie d’être l’auteur du bombardement, toujours inexpliqué, d’un convoi d’aide de l’ONU trois jours plus tard qui a fait 20 morts, et a suspendu les négociations avec la Russie sur la Syrie, point final.

En d’autres termes, après avoir temporairement admis la nécessité de coopérer avec l’allié de la Syrie, la Russie, pour résoudre un conflit que les Etats-Unis avaient volontairement exacerbé avec les conséquences épouvantables que l’on connaît, les Etats-Unis ont saboté les entretiens. Cela fait, ils sont soudain passés aux invectives, d’une virulence sans précédent ; pour preuve l’attitude de l’ambassadrice aux Nations Unies, Samantha Powers, le 18 septembre à l’ONU quand avec colère elle relégua la mort des soldats syriens au rang de détail mineur dans une guerre, et admonesta l’ambassadeur russe pour avoir qualifié de « d’opération de communication » une réunion du Conseil de Sécurité sur la Syrie. (De toute évidence, le refus obstiné de la Russie de laisser « la nation exceptionnelle » décider de l’avenir de son allié l’exaspère.)

12. Entre temps, pas plus tard que le 9 octobre Hillary Clinton a réitéré au cours du « débat » avec Trump qu’elle était (toujours) en faveur d’une zone d’exclusion aérienne. Bien que les hauts gradés lui aient dit que cela signifierait le déploiement de dizaines de milliers de soldats états-uniens dans une confrontation avec la Syrie et la Russie. Elle est soutenue par ce mémo dissident très inhabituel, signé en juin dernier par 51 responsables en poste au Département d’Etat hostiles à la focalisation actuelle sur Daech et qui demandent un changement de régime immédiat en Syrie. Elle sait que le Département d’Etat est plus belliciste que le Pentagone, mais que le Pentagone est aussi méfiant quand à une quelconque coopération avec la Russie, où que ce soit, comme Lavrov l’a proposée à plusieurs reprises. Elle sait que les médias d’information de ce pays sont totalement acquis à la line selon laquelle la Russie en raison de son soutien à un dictateur brutal est responsable du génocide à Alep-Est – alors que les Etats-Unis restent les bras croisés et ne font rien!

Elle est impatiente de nommer Michèle Flournoy (anciennement, troisième civile par ordre d’importance au Pentagone dans l’administration Obama) au poste de Ministre de la Défense. Flournoy s’est aussi prononcée pour une « zone d’exclusion aérienne » au-dessus de la Syrie et une « coercition militaire limitée » pour chasser Assad du pouvoir. Elle a effectivement proposé le déploiement de troupes terrestres états-Uniennes contre l’armée arabe syrienne.

Le 8 octobre la France a proposé une résolution au Conseil de Sécurité de l’ONU interdisant à la Syrie et à la Russie de bombarder Alep-Est sous contrôle d’al-Nosra, tout en ne disant mot du bombardement illégal de la Syrie par les Etats-Unis et leurs alliés. C’était une plaisanterie grotesque, qui a soulevé l’hostilité de la Chine et de la Russie qui a immédiatement opposé son véto. N’est-il pas évident que l’objectif était de diffamer le gouvernement syrien et la Russie ? On prépare l’opinion publique à une autre guerre de changement de régime. Celle qui à ce jour comporte les plus gros enjeux car elle pourrait conduire à la troisième guerre mondiale.

Et ceci n’est même pas un sujet de débat dans cette élection truquée, qui semble non seulement avoir pour but de porter au pouvoir une va-t’en guerre, mais en même temps d’exploiter au maximum une phobie antirusse primaire. Il ne s’agit pas seulement pour Hillary d’accéder au pouvoir – quel qu’en soit le coût – mais de préparer le peuple à d’autres Afghanistan, Irak, et Lybie par la même occasion. Il s’agit de plonger le peuple dans une amnésie historique, de le rendre aveugle au bilan d’un militarisme inconscient à la Goldwater d’Hillary, d’exploiter la mentalité de guerre froide qui persiste chez les plus ignorants et arriérés, et s’assurer que l’électorat qui, tout déplorant en général le résultat de cette élection truquée de novembre, va très rapidement se mobiliser derrière la Hillary corrompue dès qu’elle se saisira d’un prétexte quelconque pour faire la guerre.

Très, Très dangereux…

Gary Leupp * Gary Leupp est professeur d’histoire à l’Université Tufts et occupe un poste secondaire au Département de religion. Il est l’auteur de Servants, Shophands and Laborers in the Cities of Tokugawa Japan; Male Colors: The Construction of Homosexuality in Tokugawa Japan; and Interracial Intimacy in Japan: Western Men and Japanese Women, 1543-1900. Il a contribué à la rédaction de Hopeless: Barack Obama and the Politics of Illusion, (AK Press). On peut le contacter à: gleupp@tufts.edu

14 octobre 2016 – CounterPunch – Traduction : Chronique de Palestine – MJB