Misbah Abu Sbeih “avait atteint le point de rupture”, explique sa famille

Misbah Abu Sbeih
Misbah Abu Sbeih a été abattu après avoir attaqué des Israéliens à Jérusalem-Est - Photo : Al-JazeeraI
Zena Tahhan – Misbah Abu Sbeih, l’homme qui a tué deux Israéliens avait été systématiquement maltraité et pris pour cible par l’armée et la police israéliennes.

Plus tôt cette semaine, Misbah Abu Sbeih, âgé de 39 ans et le père de cinq enfants, est entré avec sa voiture à Jérusalem-Est sous occupation et a lancé une fusillade près d’une station de la police israélienne. Il a tué une femme israélienne et un officier des forces spéciales de l’unité “Yassam”, chargée de la répression principalement dans la partie palestinienne de la ville.

La police israélienne a littéralement arrosé la voiture d’Abu Sbeih avec des balles – selon témoins il y avait près de 50 impacts de balles – le tuant sur le coup. “Nous avons perdu l’un des frères de Jérusalem, un grand frère. C’est une grande perte pour nous tous,” a déclaré à Al Jazeera lundi, la voix tremblante, Taysser, le frère d’Abu Sbeih.

Ce matin, Abu Sbeih devait se livrer à la police d’occupation. Il était condamné à purger quatre mois de prison pour avoir tenté de frapper un soldat israélien en 2013. Une accusation niée par sa famille.

Selon la famille, au lieu de céder, Misbah Abu Sbeih a choisi de se battre.

“Ce genre de pression engendre des explosions. Misbah avait atteint un point de rupture”, a déclaré Tayseer. “L’occupation n’est pas un environnement normal ou naturel – ils devraient être considérés comme responsables pour ce que [Misbah] a fait.”

Peu après qu’Abu Sbeih ait mené l’attaque, sa fille Eiman, âgée de 17 ans Eiman, a été kidnappée par les forces israéliennes.

Abu Sbeih s’était vu interdire par le tribunal israélien de Jérusalem de voyager à l’étranger, d’entrer dans la vieille ville et dans le complexe de la mosquée al-Aqsa, le troisième lieu saint de l’Islam. “Il appelait sans cesse les Palestiniens à protéger al-Aqsa contre les incursions israéliennes, et les Israéliens n’aimaient pas cela”, a poursuivi Tayseer.

Protéger al-Aqsa

Pour les Palestiniens, le complexe, qui comprend aussi le Dôme du Rocher, a non seulement une signification religieuse mais aussi nationaliste. Le site est également sacré dans la religieux judaïque et est considéré par les Juifs comme le lieu où se trouvait prétendument autrefois un temple juif, bien que les juifs soient interdits en vertu de la tradition rabbinique de prier dans ce lieu.

Pourtant, les colons juifs israéliens, escortés et protégés par la police et les soldats israéliens, violent à présent régulièrement le complexe, tandis que de nombreux Palestiniens musulmans sont empêchés d’y entrer. Ceux-ci craignent avec raison que Israël tente de miner l’accès des Palestiniens au complexe.

Abu Sbeih avait été arrêté à plusieurs reprises par les forces israéliennes pour son militantisme, disent sa famille et ses amis. Il a été détenu quatre fois dans la semaine qui a précédé l’attaque, alors qu’il se rendait à la vieille ville et voulait prier à l’entrée du complexe.

La police israélienne a déclaré à Al Jazeera qu’ils ne pouvaient pas confirmer ou nier ces arrestations car “il y a un ordre d’interdiction” sur l’information.

“Ils l’ont arrêté même deux fois dans la même journée,” a déclaré à Al Jazeera le fils d’Abu Sbeih, âgé de 19 ans, ajoutant qu’ils le retenaient au poste de police entre quatre et 24 heures à chaque occasion. “Ils sont à blâmer pour cela.”

En 2015, Abu Sbeih a été emprisonné pendant 11 mois pour ce qu’Israël appelle de “l’incitation sur Facebook” – un prétexte qui est régulièrement exploité par Israël pour réprimer le militantisme palestinien contre l’occupation israélienne.

Les arrestations et les interdictions d’entrée à la mosquée al-Aqsa et dans la vieille ville ont été ce qui a poussé Misbah Abu Sbeih au point de rupture, pense sa famille. “Il était comme un poisson jeté hors de l’eau”, a ajouté son fils.

“Le lion d’al-Aqsa”

On dit qu’il était connu comme “le lion d’al-Aqsa”. Son ami de longue date, Amjad, explique que la mosquée était pour isbah Abu Sbeih comme une “ligne rouge”. “C’était un article de foi pour lui. Il était très protecteur d’al-Aqsa et il pleurait quand Israël lui a interdit d’y entrer. Il n’y avait aucun moyen qu’il y renonce”.

“Nous l’avertissions de faire attention parce que nous étions inquiets qu’il soit arrêté. Il disait: “si nous cédons, quel exemple donnons-nous aux jeunes générations ?… Nous paraîtrons faibles devant tout le monde”, raconte Amjad.

Abu Sbeih est le 232e palestinien à être assassiné par Israël en un an d’effusion de sang, dans ce que les Palestiniens considèrent comme une Intifada ou soulèvement populaire à Jérusalem. Sa mort intervient alors que les Palestiniens marquent la première année de l’Intifada qui a éclaté en octobre 2015.

Muhannad al-Azzeh, un avocat de l’association Addameer de défense des droits des prisonniers palestiniens, dit qu’Israël a sévèrement resserré l’étau autour de la ville lorsque le soulèvement a commencé en octobre dernier, produisant encore plus de violence.

Depuis l’année dernière, 8000 Palestiniens ont été arrêtés dans les territoires occupés. Parmi eux, 2355 sont originaires de Jérusalem, selon al-Azzeh, qui a ajouté que le nombre de personnes arrêtées à Jérusalem avait toujours été le double de celui de toutes les villes en Cisjordanie sous occupation israélienne.

“Et c’est sans parler des décisions de justice rendues pour interdire aux gens de se rendre dans certaines parties de la Vieille Ville et autour de Jérusalem. Certaines personnes ont même reçu des cartes venant des autorités israéliennes, détaillant où ils ne sont pas autorisés à se rendre dans la ville.”

Mais la famille et les amis de Abou Sbeih se souviendront de lui comme de quelqu’un qui a combattu pour leur patrie.

“Oui, nous voudrions qu’il soit toujours auprès de nous, mais en fin de compte il nous a donné une raison de garder la tête haute”, a déclaré son fils.

* Zena al-Tahhan est journaliste à Al Jazeera. Elle couvre principalement le monde arabe, avec une spécialisation sur les pays du Levant. Avant de rejoindre Al Jazeera, Zena était journaliste indépendante basée à Jérusalem
Suivez Zena Tahhan sur Twitter : @Zenatahhan

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11 octobre 2016 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine