L’occupant exploite l’accès à l’eau comme un moyen de pression et de chantage

Distribution d'eau à Kan Younès - Bande de Gaza - Photo : Basel Yazouri/Activestills.org

Camilla Corradin –Israël refuse délibérément aux Palestiniens le contrôle sur leurs ressources en eau et prépare le terrain pour une domination complète sur l’eau.

Alors qu’arrive la hausse des températures des mois d’été, encore une fois cette année des milliers de Palestiniens en Cisjordanie occupée seront privés du plus élémentaire de leurs besoins – l’accès à l’eau – puisque Mekorot, la compagnie nationale de l’eau israélienne, restreint l’approvisionnement en eau des villages et des villes au nord de la Cisjordanie.

Bien que très inquiétant pour l’impact sur les moyens de subsistance et la santé de dizaines de milliers de Palestiniens, ce n’est pas vraiment une surprise.

Après qu’il ait occupé la Cisjordanie en 1967, Israël a mis la main sur les ressources en eau palestiniennes, et grâce à sa politique discriminatoire et injuste basée sur l’attribution de permis, il empêche les Palestiniens de maintenir ou de développer leurs propres infrastructures de gestion de l’eau. En conséquence, des milliers de Palestiniens se voient refuser un approvisionnement suffisant et sont à cet égard devenus totalement dépendants d’Israël.

En élaborant sur le mythe d’une région pauvre en eau – alors que Ramallah bénéficie de plus de précipitations que Londres – Israël a délibérément refusé aux Palestiniens le contrôle de leurs ressources en eau et prépare sans retenue le terrain pour une domination complète sur cette ressource, s’octroyant un outil supplémentaire pour exercer son hégémonie sur la population et les territoires sous occupation.

Les ressources en eau palestiniennes en Cisjordanie ne sont pas rares – elles comprennent le fleuve Jourdain, qui court tout le long de la frontière orientale de la Cisjordanie, et la réserve aquifère de montagne qui domine la Cisjordanie et Israël. Les deux ressources en eau sont transfrontalières, ce qui signifie que, selon le droit international, elles devraient être partagées de manière équitable et raisonnable par Israël et la Palestine.

Pourtant, depuis qu’il a occupé la Cisjordanie en 1967, Israël a conservé un contrôle quasi total sur les ressources en eau palestiniennes en Cisjordanie.

Israël empêche totalement les Palestiniens d’accéder au fleuve Jourdain et à son eau. Quant à l’aquifère de montagne, l’accord intérimaire de 1995, Oslo II – qui a également défini les modalités de partage de l’eau entre la Palestine et Israël – est venu consolider le contrôle israélien qui avait été mis en place depuis 1967.

Israël avait alors obtenu l’accès à plus de 71% de l’eau de l’aquifère, alors que les Palestiniens se voyaient accordé seulement 17%. Alors que l’accord était censé se limiter à une période de cinq ans, 20 ans plus tard, il est toujours en place.

Les discussions sur un accord de partage de l’eau sont laissées aux négociations sur le statut final tant attendu.

Alors que la population palestinienne de la Cisjordanie a presque doublé, les attributions d’eau sont restées plafonnées aux niveaux de 1995. Aujourd’hui, les Palestiniens ont accès à moins d’eau que ce qui leur avait été accordé par les accords déjà inéquitables d’Oslo : 13%, avec Israël s’octroyant les 87% restants.

En effet, comme le souligne la Banque mondiale dans son rapport de 2009 sur le secteur de l’eau en Palestine, en raison du régime de double permis israélien, les Palestiniens ont été dans l’incapacité de maintenir et de développer leurs infrastructures de gestion de l’eau.

Pour exemple, concernant les puits palestiniens où la nappe phréatique a baissé, les restrictions israéliennes sur le forage, l’approfondissement et la réhabilitation, ont réduit les prélèvements d’eau possibles pour les Palestiniens.

Les projets palestiniens pour l’eau dans toute la Cisjordanie ont besoin d’une approbation par le Comité mixte de l’eau (JWC), où Israël a de facto un pouvoir de veto. Mais seulement 56% des projets palestiniens concernant l’eau et l’assainissement ont obtenus ce permis JWC (contre un taux proche de 100% pour les projets israéliens), et seulement un tiers de ceux autorisés peut effectivement être mis en œuvre.


En signe de protestation contre cette asymétrie dans le fonctionnement du JWC, les Palestiniens ont refusé de siéger au sein du comité depuis 2010.

En plus de l’approbation du JWC, tous les projets dans la zone C ont également besoin d’un permis attribué par l’administration civile israélienne (ICA). Ces permis sont notoirement difficiles à obtenir. Comme cela est rapporté par le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA), l’ICA a refusé entre 2010 et 2014, 98,5% des demandes palestiniennes de permis de construire pour des projets en Zone C.

Plus de 50 structures de transport et d’assainissement de l’eau ont été démolies par Israël depuis le début de 2016 (plus que dans toute l’année 2015) au motif qu’elles ne disposaient pas du permis de l’occupant.

Les affirmations israéliennes selon quoi la mauvaise qualité de l’infrastructure pour l’eau serait la cause des coupures d’eau en Cisjordanie, cachent le fait que la mauvaise qualité de ces infrastructures est une conséquence directe du régime de permis israélien en Cisjordanie.

Le déficit en eau et d’autres services de base résultant de la politique israélienne, a créé un environnement extrêmement contraignant qui laisse souvent les Palestiniens sans autre choix que de quitter leurs communautés dans la zone C, permettant la prise de contrôle de leurs terres par Israël et l’expansion de ses colonies.

Mais comme les événements récents l’ont montré, les zones A et B ne sont en rien des refuges. En raison du manque de ressources en eau, la Palestine dépend fortement de l’eau achetée à la compagnie israélienne Mekorot (18,5% en 2014). Ironie du sort, cette eau est celle qu’Israël vole aux Palestiniens avant de la leur revendre au prix fort.

Tout ce système attribue à Israël un contrôle total de l’accès des Palestiniens à l’eau. Dès que la demande en eau augmente au printemps et durant les mois chauds de l’été, l’approvisionnement des colonies est privilégié par rapport aux zones palestiniennes en Cisjordanie.

Chaque année, l’approvisionnement en eau dans les villes et les villages palestiniens est coupée pendant des périodes de plusieurs jours – voire quelques semaines – et les Palestiniens sont alors contraints d’acheter de l’eau livrée par camion à un prix supérieur de cinq fois au prix habituel. Ils sont également obligés de réduire leur consommation déjà faible.

Les chiffres de la consommation en eau parlent d’eux-mêmes. Alors que les Israéliens ont accès à environ 240 litres d’eau par personne et par jour – et les colons plus de 300 – les Palestiniens en Cisjordanie ne disposent en moyenne que de 73 litres, ce qui est bien au-dessous des normes minimales de l’Organisation mondiale de la Santé qui situent cette moyenne à 100 litres.

OCHA rapporte que dans la zone C – où 180 communautés palestiniennes ne sont pas connectées au réseau d’eau et où 122 autres communautés ont une connexion avec un approvisionnement irrégulier en raison des restrictions imposées par Israël – la consommation en eau peut descendre jusqu’à 20 litres d’eau par personne et par jour, sauf à acheter de l’eau livrée par camion à un prix prohibitif.

Dans ces endroits, les familles disposant de peu de moyens peuvent dépenser jusqu’à un cinquième de leur revenu pour l’eau.

Par exemple, alors que les gens dans la communauté palestinienne d’al-Hadidiya, au nord de la vallée du Jourdain, ont accès à aussi peu que 20 litres d’eau par personne et par jour, les colons dans la colonie voisine de Ro’i profitent de 460 litres d’eau par personne pour leur usage domestique, une piscine et une agriculture florissante.

Israël, la puissance occupante, a l’obligation en vertu du droit international humanitaire d’assurer la dignité et le bien-être de la population sous son contrôle. Cela inclut les obligations relatives à la fourniture et l’accès à l’aide humanitaire et aux services de base, y compris l’eau et son assainissement.

Mais Israël ne fait rien pour assurer ces besoins fondamentaux… Ses politiques discriminatoires de gestion de l’eau prouvent que l’eau est également exploitée comme un outil pour dominer les Palestiniens, imposer son pouvoir d’occupant, et punir une population entière en privant délibérément ses habitants du plus élémentaire de leus droits.

* Camilla Corradin plaide pour les droits d’eau palestiniens avec la coalition des ONG EWASH.