Ce sont les libéraux américains qui ont déchaîné le monstre Trump

Trump
Donald Trump n'est pas l'anti-thèse des libéraux américains... Ce sont ceux-là même qui l'ont créé ! - Photo : Youtube

Par Jonathan Cook

La terre a tremblé quelques instants sous nos pieds, mais tout ce que veulent faire les libéraux (*) c’est se raccrocher désespérément au statu quo comme à un radeau de sauvetage.

La classe moyenne britannique n’a pas encore repris son souffle depuis le Brexit, et maintenant la classe moyenne américaine tremble à la perspective de Donald Trump à la Maison Blanche.

Et, bien sûr les Américains de la classe moyenne blâment tout le monde sauf eux-mêmes. Un éditorial hier, écrit avant l’annonce du succès de Trump, par le journaliste du Guardian Jonathan Freedland, sténodactylographe officieux du pouvoir au Royaume Uni et un fan de Washington est un exemple typique de ce pharisaïsme borné. Il accusait tout le monde, sauf Hillary Clinton de lui rendre si ardu le chemin vers ce qu’il supposait alors être la Maison Blanche.

Et bien, voici de quoi faire réfléchir Freedland et les libéraux américains. La raison pour laquelle Trump sera le prochain occupant du Bureau Ovale, c’est parce que le Parti Démocrate a truqué les primaires pour faire en sorte qu’un candidat qui aurait pu battre Trump, Bernie Sanders, ne puisse être candidat à l’élection. Vous voulez faire porter le chapeau à quelqu’un, faites le porter à Clinton et à la direction pourrie jusqu’à l’os du parti démocrate.

Mais non, les libéraux ne vont pas écouter, ils sont trop occupés à accuser Julian Assange et Wikileaks pour avoir dévoilé la vérité sur la direction du Parti démocrate mise à nue dans les emails de campagne de Clinton – et la Russie qui les aurait soi-disant volés.

La responsabilité incombe aussi pleinement à Barak Obama, le grand espoir noir qui a passé huit ans à démontrer combien il était lié à l’orthodoxie néolibérale en politique intérieure et à un programme néoconservateur en politique étrangère.

Pendant que les libéraux chantaient ses louanges, il vida les caisses du Trésor américain pour soutenir à bout de bras un système bancaire failli, mettant le pays en faillite pour remplir les poches d’une petite élite déjà fabuleusement riche. Les ploutocrates ont alors recyclé d’énormes sommes dans l’achat de lobbyistes et de représentants du Congrès pour en gagner le contrôle et s’assurer que la voix de l’Américain ordinaire serait encore plus inaudible qu’auparavant.

Obama a aussi poursuivi cette futile “guerre au terrorisme”, transformant le monde en un gigantesque champ de bataille qui remplissait chaque jour les coffres de l’industrie de l’armement. Les États-Unis ont déversé des tonnes de bombes (et continuent de le faire) sur les djihadistes et les civils indifféremment, tout en fournissant en armes les mêmes djihadistes pour tuer encre plus de civils.

Et pendant tout ce temps, est-ce que les libéraux ont fait campagne contre le complexe militaro-industriel qui a dérobé leur système politique ? Non, bien sûr que non. Ce qui les inquiétait, c’était les masses migratoires de réfugiés – ceux qui fuient ces mêmes guerres, sources de revenus, que leurs dirigeants alimentaient.

Et puis il y a les médias libéraux qui ont servi de chœur loyal à Clinton, essayant de nous persuader qu’elle ferait une présidente modèle, et aussi de ne pas tenir compte de ce qui se voyait comme le nez au milieu de la figure : que Clinton est encore plus dans la poche des banquiers et des marchands d’armes qu’Obama (si cela était possible) et qu’elle ferait plus de guerres, pas moins.

Est-ce que je vous fais penser un peu à Trump en fulminant contre les libéraux ? Oui, c’est vrai. Et tandis que vous me rejetez comme partisan masqué de Trump, vous pouvez continuer à refuser obstinément d’examiner les raisons pour lesquelles une véritable position progressiste semble si semblable à une position d’extrême droite comme celle de Trump.

Parce que les vrais progressistes devant le statu quo ressentent la même frustration et la même colère que les pauvres, les personnes vulnérables et désillusionnées qui se sont tournés vers Trump. Et ils n’avaient d’autre choix que de voter pour Trump, parce qu’il n’y avait personne d’autre que lui dans la course présidentielle qui disait quoi que ce soit s’approchant de la vérité.

Sanders a été expulsé par Clinton et sa coterie corrompue. Jill Stein des Verts fut rendue invisible par le système électoral corrompu. C’était soit voter pour Clinton et le statu quo putride, ou voter pour Trump et une possibilité de changement.

Oui, Trump est très mauvais. C’est tout autant que Clinton un produit de la ploutocratie qu’est maintenant l’Amérique. Lui, comme Clinton, ne fera rien pour remédier au problème le plus important auquel l’humanité est confrontée : le changement climatique incontrôlé. Il nie le changement climatique, tandis qu’elle l’élude.

Mais contrairement à Clinton, Trump a compris la colère populaire qui s’enflait contre le “système” et il a été capable de l’exprimer – il n’a eu qu’à pousser un cri de douleur.

Trump n’est pas l’antithèse de l’Amérique libérale. C’est vous, les libéraux qui l’avaient créé. Vous avez déchaîné ce monstre. C’est votre reflet dans le miroir. Vous avez gardé le silence, vous n’avez pas pris position pendant qu’on vous volait votre pays. En fait, vous avez fait bien pire : vous avez voté avec enthousiasme encore et encore pour ceux qui vous dépouillaient.

Maintenant, la voie est claire et l’itinéraire rapide. Le précipice est droit devant, et les libéraux américains sont fermement aux commandes.

(*) Le terme de « Libéraux » a ici le sens américain à savoir progressiste, en faveur du changement politique et social.

A2 * Jonathan Cook a obtenu le Prix Spécial de journalisme Martha Gellhorn. Il est le seul correspondant étranger en poste permanent en Israël (Nazareth depuis 2001). Ses derniers livres sont : « Israel and the Clash of Civilisations : Iraq, Iran and the to Remake the Middle East » (Pluto Press) et « Disappearing Palestine : Israel’s Experiments in Human Despair » (Zed Books). Consultez son site personnel.

9 novembre 2016 – The Palestine Chronicle – Traduction : Chronique de Palestine – MJB