L’effondrement économique de Jérusalem-Est: stratégies pour son redressement

Occupation - Al-Qods
Des policiers des forces d'occcupation vus dans les ruelles de la vieille ville, lors d'affrontements avec des fidèles musulmans, le 13 septembre 2015 - Photo : Faiz Abu-Rmeleh/Activestills.org

Par Nur Arafeh

Par une décision inhabituelle et après des années de désintérêt, des délégations américaines et européennes et des agences de développement sont venues récemment à Jérusalem-Est et se sont dit de plus en plus désireuses de « faire quelque chose » par rapport à la détérioration de ses conditions socio-économiques.

En outre, l’Autorité palestinienne (AP) travaille, après un long silence, à l’actualisation du Plan stratégique de développement multi-sectoriel pour Jérusalem Est 2011-2013. (1)

l est à craindre que l’élection de Donald Trump mette un frein à ces initiatives bienvenues et attendues depuis longtemps. Il est également problématique que ces délégations se concentrent sur le développement économique alors qu’en réalité un développement économique réel n’est pas possible sans progrès sur le front politique pour libérer le territoire palestinien occupé et sans réalisation des droits palestiniens dans le cadre d’une paix juste et globale.

Cet article de Nur Arafeh, membre de l’équipe politique de Al-Shabaka, se concentre sur l’effondrement économique de Jérusalem-Est intentionnellement conçu par Israël, ce qui rend la ville pratiquement invivable pour les Palestiniens, de manière à la maintenir sous contrôle juif. Ce faisant, le propos de cet exposé est de fournir aux personnes concernées par le sort de la ville une analyse qui leur permette de comprendre les objectifs d’Israël, ainsi que d’expoer certaines recommandations politiques pour stimuler son développement économique.

L’exposé se concentre sur la détérioration de deux secteurs qui furent des atouts stratégiques majeurs, le tourisme et les marchés commerciaux de Jérusalem-Est, qui illustrent le dépérissement économique. Il explore également les initiatives prises à Jérusalem-Est pour encourager le sumud, ou ténacité, pour défier les multiples obstacles imposés par les autorités iraéliennes d’occupation et il se termine par des préconisations sur la façon d’amplifier le sumud dans la ville et de restaurer sa capacité à un développement économique limité possible sous occupation.

Un secteur touristique assiégé

Jérusalem-Est fut, pendant des décennies, une destination touristique majeure. Après 1948, lorsque la Cisjordanie , Jérusalem-Est comprise, a été placée sous juridiction jordanienne, le tourisme était le secteur le plus fort de l’économie de Jérusalem-Est. En 1966, il représentait 14 pour cent du PIB de la Cisjordanie et générait de nombreux emplois, augmentant ainsi le revenu et améliorant les conditions de vie. Il s’en est suivi une augmentation des investissements public et privé via des infrastructures physiques et des installations liées au tourisme. Les services touristiques étaient bien développés en 1967, comparés à d’autres services.

Après l’occupation israélienne et l’annexion illégale de Jérusalem-Est en 1967, le secteur du tourisme a commencé à stagner. Il y eut par exemple un changement radical dans la répartition des chambres d’hôtel entre les parties occidentale et orientale de la ville. Entre 1968 et 1979, le pourcentage des chambres d’hôtel situées à Jérusalem-Est a diminué de 60 à 40 pour cent. Bien que les recettes du secteur touristique de Jérusalem-Est ait enregistré une augmentation de 20 pour cent entre 1969 et 1973, le secteur israélien a connu une hausse de 80 pour cent sur la même période. Au milieu des années 1980, 80 pour cent des réservations touristiques se faisaient dans le secteur israélien (2).

Les mesures punitives israéliennes pendant les Première et Deuxième Intifadas, telles que couvre-feux et attaques fiscales, ont entravé davantage le développement du secteur touristique de Jérusalem-Est. De plus, la construction du Mur par Israël en 2002 et son intensification ultérieure des restrictions sur le développement de Jérusalem-Est ont particulièrement handicapé le secteur en provoquant l’isolement de la ville du reste du territoire palestinien occupé (TPO). Parmi les obstacles, on a compté de lourdes procédures d’octroi de licences pour construire des hôtels ou pour convertir des immeubles en hôtels ; des taxes municipales élevées ; une infrastructure physique et économique faible et la raréfaction des terres. En outre, alors que le développement de l’industrie touristique israélienne bénéficie d’un soutien considérable du gouvernement, le secteur du tourisme palestinien est en grande partie géré par des investissements privés insuffisants et il manque d’un soutien significatif de l’Autorité palestinienne.

Le nombre d’hôtels en activité à Jérusalem-Est est donc en déclin. Entre 2009 et 2016, le nombre d’hôtels dans le gouvernorat de Jérusalem a diminué de 41 pour cent, passant de 34 hôtels en 2009 à 20 au cours du deuxième trimestre 2016 (3). Récemment, certains hôtels ont été transformés en bureaux, comme l’hôtel Mont Scopus, tandis que l’hôpital Al-Makassed a acheté l’hôtel Alcazar, à Wadi al-Joz. De plus, alors que l’on comptait 34 pour cent des hôtels des TPO à Jérusalem-Est en 2009, il en restait moins de 18 pour cent en Juin 2016. Le pourcentage de clients qui visitent les TPO et séjournent dans les hôtels de Jérusalem-Est a également diminué, passant de 48 pour cent en 2009 à 23 pour cent dans la première moitié de 2016.

L’asphyxie du développement de l’industrie touristique palestinienne combinée aux perceptions négatives liées à l’idée de voyager dans les zones palestiniennes (principalement propagées par Israël), ont conduit un nombre croissant de touristes à descendre dans les hôtels de Jérusalem-Ouest. Selon l’Institut de Jérusalem pour les études israéliennes, 88 pour cent des touristes ont choisi des hôtels à Jérusalem-Ouest en 2013, contre seulement 12 pour cent à Jérusalem-Est. Les hôtels de Jérusalem-Ouest ont ainsi cumulé 90 pour cent des recettes hôtelières dans la même année. (4)

D’autres facteurs ont affaibli le secteur touristique à Jérusalem-Est : la saisonnalité des pèlerinages, qui sont la source principale des affaires de la ville, l’intensification de la concurrence entre les agences de tourisme en raison de leur concentration géographique, l’instabilité politique, une compétitivité faible, le manque d’un produit touristique palestinien unique et l’absence d’une vision palestinienne claire et d’une stratégie promotionnelle pour l’industrie touristique palestinienne.

L’asphyxie de l’économie de la Vieille Ville

La Vieille Ville de Jérusalem était une partie importante de l’économie de Jérusalem-Est, attirant des clients arabes et palestiniens, ainsi que les touristes. Sa récession actuelle est un exemple fort de la marginalisation économique qui a affaibli l’économie et a rendu la vie des Palestiniens de plus en plus difficile à Jérusalem-Est (5).

La récession des marchés commerciaux dans la Vieille Ville a été étroitement liée à la détérioration du secteur du tourisme à Jérusalem-Est. Dans les années 1970 et 1980, les activités commerciales dans la Vieille Ville ont dépendu de plus en plus du tourisme, avec l’augmentation du nombre de visiteurs. Avec ce changement, est aussi venu une modification de la nature des marchés : alors que la Vieille Ville était connue pour ses industries et ses marchés traditionnels – par exemple, le Souq al-‘Attareen (épices), le Souq al-Lahameen (viande) et le Souw al-Qattanin (coton) – elle a lentement perdu ces marchés spécialisés car les commerçants ont transformé leurs magasins en boutiques de souvenirs, entreprises plus fructueuses à l’époque. La marginalisation économique de Jérualem-Est qui a suivi et la baisse des activités touristiques ont contribué à la diminution des activités commerciales dans la Vieille Ville.

Cette situation a été aggravée par les lourdes taxes que les autorités israéliennes imposent dans le but d’entraver l’activité commerciale palestinienne. Les commerçants palestiniens doivent payer six taxes : arnona, ou taxe foncière, la TVA, l’impôt sur le revenu, l’assurance nationale, la taxe sur les salaires et la taxe professionnelle. La plupart des commerçants palestiniens, dans l’incapacité de payer ces taxes étant donné la baisse de leurs recettes, se sont endettés. Les autorités israéliennes leur ont fait des offres alléchantes pour qu’ils vendent leurs magasins quand ils ne pouvaient pas payer les taxes, utilisant ainsi la fiscalité comme outil pour confisquer les biens palestiniens et étendre le contrôle juif et la colonisation de la Vieille Ville.

Par ailleurs, pour tenter de maintenir les produits de base à un niveau faible, les commerçants palestiniens sont devenus de plus en plus dépendants de l’importation de produits étrangers et israéliens. En conséquence, les marchés commerciaux de la Vieille Ville, qui étaient connus pour la haute qualité de leurs produits, ont maintenant la réputation de vendre des produits de faible qualité.

La perte consécutive de la compétitivité a été accompagnée par l’émergence de nouveaux centres commerciaux, comme Salah Al-Din, Shuafat, Beit Hanina, Al-Ram et Ramallah, qui sont plus faciles à atteindre et donc plus attractifs pour les Palestiniens, en particulier après la construction du Mur et le régime strict de permis de circuler imposé par les autorités israéliennes. Par exemple, les personnes qui vivent à Abu Dis font leurs achats soit dans les magasins d’Abu Dis soit plus au sud, à Bethléem et à Hébron, plutôt que d’aller à Jérusalem-Est, parce que cela signifie de passer des heures à traverser les checkpoints israéliens. Selon un rapport de 2012 de l’Association pour les droits civils en Israël, « seulement 4 pour cent des gens qui vivent de l’autre côté du Mur ont continué à faire leurs courses à Jérusalem, alors que 18 pour cent les y faisaient avant. »

La combinaison des nouveaux centres commerciaux, du lourd fardeau fiscal, du déclin du secteur touristique et de la faiblesse du pouvoir d’achat des Palestiniens à Jérusalem-Est a asphyxié l’économie de la Vieille Ville, où le taux de chômage était de 12 pour cent en 2012, les travailleurs les plus touchés étant ceux des secteurs du tourisme, du commerce et de l’industrie. En outre, selon la Chambre arabe du commerce et de l’industrie à Jérusalem, plus de 200 magasins sont actuellement fermés dans la Vieille Ville. Les magasins encore ouverts ne peuvent pas prolonger leurs heures d’ouverture la nuit en raison de leur incapacité à couvrir les coûts d’exploitation. Cela a conduit au phénomène « Jérusalem se couche tôt », les habitants de Jérusalem passant leurs soirées et leurs week-ends à Ramallah ou à Bethléem plutôt que dans la ville elle-même.

Le récent soulèvement a encore aggravé cette situation, en particulier compte tenu de l’accroissement des mesures de sécurité d’Israël. Au début d’Octobre 2015, Israël a érigé des barrages routiers et des postes de contrôle dans plusieurs quartiers de Jérusalem, ainsi que des barrières à l’intérieur et à l’extérieur de la Vieille Ville. Selon un rapport de Al-Haq, les autorités israéliennes ont mis en place plus de 30 postes de contrôle et d’observation dans la Vieille Ville au cours de ce mois-là, y compris 4 détecteurs électroniques, ce qui limite fortement les déplacements des Palestiniens et des touristes. Les commerçants palestiniens ont également été soumis à des punitions arbitraires, telles que des arrestations au prétexte qu’ils n’avaient pas aidé des Israéliens attaqués par des Palestiniens.

Une atmosphère de peur s’est installée parmi les Palestiniens et les touristes, qui a provoqué une nouvelle baisse de la base de consommateurs de la Vieille Ville compromettant ainsi l’activité des magasins et conduisant à leur fermeture. Selon le même rapport Al-Haq, 54 magasins ont fermé dans le Souq Al-Qattanin entre le 1er et le 23 octobre. D’autres magasins n’ont ouvert que quelques heures par jour par manque de clients, et plusieurs commerçants palestiniens sont allés chercher un emploi sur le marché du travail israélien.

Les commerçants palestiniens ont également été confrontés à une concurrence féroce de la part des commerçants juifs israéliens, d’autant plus que ces derniers reçoivent des aides financières du gouvernement israélien depuis le récent soulèvement. Selon des commerçants palestiniens interrogés par l’auteur, chaque commerçant juif de la Vieille Ville a reçu 70.000NIS (plus de 17.000€) de la municipalité de Jérusalem et 50 pour cent d’allègement de la taxe arnona, en plus de l’aide financière qu’ils reçoivent déjà d’organisations israéliennes de soutiens aux colonies des territoires palestiniens occupés. (6) Pendant ce temps, le Haut Comité des affaires de Jérusalem a prévu d’allouer 3.000$ (2.800€) à chaque commerçant palestinien de la Vieille Ville – un montant que les commerçants trouvent trop faible pour couvrir même une partie de leurs dettes. (7)

L’orchestration de la récession économique de la Vieille Ville par Israël, ainsi que ses autres politiques telles que les démolitions de maison, un dispositif de services discriminatoires, par lequel les résidents palestiniens reçoivent moins de services mais paient les mêmes impôts que leurs homologues juifs, et la révocation des cartes de résidence rendent à dessein la vie des Palestiniens de plus en plus difficile. Ce qui est allé de pair avec les efforts ininterrompus d’Israël d’accélérer sa colonisation de Jérusalem-Est, y compris la Vieille Ville, en agrandissant ses colonies.

Leur expansion est soutenue par des organisations de droite comme Ateret Cohanim, au cœur des quartiers palestiniens, car leur objectif est de créer une majorité juive dans la Vieille Ville et à Jérusalem-Est dans son ensemble. Ces organisations bénéficient d’une importante aide de l’Etat, qui leur fournit des services de sécurité privés pour protéger les colons, en particulier pendant l’expropriation des propriétés palestiniennes. L’Etat finance également des projets de développement et facilite le transfert de propriétés palestiniennes à des organisations de droite à travers des organismes comme le Fonds national juif et le Conservatoire des biens des absents.

Malgré l’expansion intensive des colonies, les juifs ne représentent qu’environ 10 pour cent de la population de la Vieille Ville. Pourtant, on constate une expansion des institutions juives religieuses et scolaires sur le secteur. (8) Les efforts se sont en particulier concentrés sur l’encerclement de l’enceinte d’Al-Aqsa à l’intérieur et à l’extérieur de la Vieille Ville avec des sites juifs, dans une tentative de judaïser le paysage touristique. Le principal succès des colons est jusqu’à présent la construction du parc à thème biblique « Cité de David », qui encercle les murailles de la Vieille Ville et englobe la majeure partie du quartier Wadi Hilwa à Silwan, au sud. Le groupe colonial El-Ad gère le parc, qui est l’un des plus visités de Jérusalem. Les autorités israéliennes et les colons utilisent le parc pour projeter leur image souhaitée de Jérusalem « cité juive » – ce qui implique l’effacement de la présence physique et de l’histoire des Palestiniens.

L’effondrement économique de Jérusalem-Est, illustré dans cette analyse en mettant l’accent sur le tourisme et les marchés commerciaux de la Vieille Ville, a naturellement conduit à la détérioration des conditions socio-économiques des Palestiniens. Selon l’Institut de Jérusalem pour les études israéliennes, 81,8 pour cent des résidents de Jérusalem-Est et 86,6 pour cent des enfants palestiniens vivaient en dessous du seuil de pauvreté en 2014, comparé aux 28,4 pour cent des habitants et de 41,6 pour cent des enfants au sein de la population juive.

La force du sumud à Jérusalem-Est

Malgré les obstacles économiques auxquels elle est confrontée, Jérusalem-Est reste à la pointe des stratégies de sumud de la société civile palestinienne. Les objectifs de ces stratégies sont de veiller à ce que les Palestiniens restent enracinés à leur terre menacée de confiscation en créant des conditions socio-économiques qui les aident à supporter la politique iraélienne en maintenant l’identité politique et le patrimoine culturel de la ville et en promouvant un développement contrôlé par la communauté. (9)

Plusieurs initiatives existent pour préserver la présence palestinienne dans la Vieille Ville face aux colonies en expansion. Par exemple, Burj al-Luqluq, un centre communautaire créé en 1991, a été construit dans le quartier Bal al-Hutta sur des terres menacées d’expropriation pour la construction d’une colonie. D’autres institutions travaillent explicitement à préserver le patrimoine culturel et le paysage touristique palestiniens de la Vieille Ville que les politiques israéliennes de judaïsation tentent d’effacer. Par exemple, le Programme de restauration de l’association de bienfaisance de la Vieille Ville se concentre sur la réhabilitation de logements, la prestation de services culturels, sociaux, commerciaux et sanitaire pour améliorer la vie des Palestiniens et restaurer, pour un usage de la communauté, des batiments historiques négligés. Grâce à l’Association de bienfaisance, entre autres activités, un bâtiment byzantin est devenu le Centre de travail communautaire d’Al-Quds, et un caravansérail le Centre des études universitaires d’Al-Quds. Ces initiatives contribuent à assurer une présence palestinienne permanente dans la Vieille Ville et attirent les touristes étrangers.

Compte tenu de l’absence d’aide gouvernementale et internationale, les initiatives ascendantes oeuvrant à la survie du secteur touristique ont toujours été la norme à Jérusalem-Est. Très récemment, des experts palestiniens sur le tourisme comme le Jerusalem Tourism Cluster ont multiplié leurs efforts pour développer un nouveau paradigme touristique avec comme but de défier les obstacles imposés par Israël au développement du secteur. (10) La diversification du produit touristique est au cœur de cette initiative. L’idée est de bâtir une identité palestinienne unique pour le produit tout en développant simultanément de nouveaux types de tourisme qui ne soient pas uniquement les pèlerinages, comme des circuits centrés sur la politique, la culture, l’écologie et les loisirs. Un changement dans ce sens pourrait également résoudre le problème de la saisonnalité de l’industrie touristique de la Palestine.

Il y a également des circuits politiques de Jérusalem organisées par Alternative Tours par exemple, qui emmènent les visiteurs à la colonie de Pisgat Zeev à Jérusalem-Est où ils peuvent voir le Mur et le camp de réfugiés de Shuafat et sont ainsi mieux informés sur la politique coloniale d’Israël.

Pour assurer la pérennité de ces circuits, les initiatives tendent à impliquer la communauté palestinienne au-delà des Palestiniens qui organisent des voyages ou travaillent dans le secteur touristique. Des projets futurs se concentrent sur le développement de visites communautaires et coopératives de tourisme qui favorisent les interactions entre les touristes et les habitants. Ces initiatives encouragent également des partenariats entre les secteurs qui sont directement ou indirectement liés au tourisme, comme les secteurs commercial, culturel, religieux, pédagogique et des technologies de l’information.

L’association Dalia, fondation communautaire mais aussi organisme subventionnaire, encourage l’octroi de subvention et les projets de développement sous contrôle communautaire pour renforcer la responsabilisation des initiatives locales et la réduction de la dépendance vis-à-vis des donateurs. Elle s‘attache à mobiliser des ressources et à les relier aux communautés palestiniennes locales et internationales, basé sur le principe que chaque communauté palestinienne doit identifier ses priorités et choisir la façon d’utiliser les ressources. Par exemple, pendant le mois de Ramadan de l’été 2016, l’association a lancé le programme « Fonds Jérusalem », qui mettait l’accent sur le soutien aux familles palestiniennes dont les maisons avaient été démolies et l’autonomisation des jeunes jérusalémites par le programme « Autonomisation des jeunes, subventionnement des jeunes ». Les dons ont été pris en charge par le fonds, et un comité composé des habitants de la communauté a décidé de leur répartition de manière à ce qu’ils répondent aux priorités locales.

Le secteur privé palestinien et les banques palestiniennes ont aussi commencé, récemment, à investir à Jérusalem-Est. Le Fonds d’investissement de la Palestine a annoncé en septembre qu’il allait investir dans le développement d’une infrastructure touristique pour la rénovation des hôtels existants et la construction de nouveaux. De plus, alors que les banques des territoires palestiniens occupés n’ont pas proposé de prêts aux logements aux résidents palestiniens de Jérusalem-Est depuis 1967, trois banques ont récemment décidé d’octroyer ces prêts à partir de fonds qu’elles ont reçus de la Banque de développement islamique.

Intensifier le sumud à Jérusalem-Est

Bien qu’un véritable développement économique et social ne puisse se produire sans progrès sur le front politique, développer le sumud à Jérusalem-Est peut consolider la présence palestinienne et améliorer la qualité de vie des Palestiniens. Voici quelques suggestions et recommandations sur la façon d’intensifier le sumud dans la ville.

– Imaginer Jérusalem. Parce que les initiatives entreprises à Jérusalem-Est sont souvent fragmentées et manquent d’une vision et d’une stratégie nationales claires, il est vital que les Palestiniens énoncent un plan pour Jérusalem en répondant à la question : « Dans quel genre de Jérusalem voulons-nous vivre d’ici à dix ans, et que devons-nous faire pour mettre en œuvre cette vision ? » L’établissement de partenariats et de réseaux avec et entre les institutions de Jérusalem-Est peut garantir la participation de la base populaire et de la communauté dans le développement de cette vision. Cela renforcerait le tissu institutionnel et promouvrait la coopération. Il faudrait également mettre en place des mesures qui garantissent que tous les acteurs soient responsables de la mise en œuvre des stratégies.

– Faire le marketing de Jérusalem. Le secteur touristique pourrait être développé par la promotion du tourisme intérieur et la commercialisation de Jérusalem-Est dans un conditionnement palestinien, comme celui qui comprend des arrêts à Hébron, Bethléem, Jéricho, Jérusalem, Naplouse et Nazareth. (11) Cette démarche exige la mise en réseau et des partenariats entre les organismes touristiques palestiniens de Cisjordanie , dont Jérusalem-Est, et la région 48. Les écoles pourraient également être impliquées dans le développement du tourisme national en organisant des visites de la Vieille Ville et d’autres grands sites touristiques. Ces activités contribueraient à développer des liens économiques entre l’économie de Jérusalem-Est et le reste du territoire palestinien occupé.

Jérusalem-Est pourrait aussi être commercialisée dans un « package » régional, comme celui qui comprend des visites d’Amman, Jerash, Petra, Aqaba, Jéricho et Jérusalem. De cette façon, les touristes qui ne voyagent pas seulement pour de raisons religieuses resteraient probablement à Jérusalem-Est pour des séjours plus longs, ce qui augmenterait la part de marché du tourisme de la ville et en ferait une destination culturelle comme religieuse.

Une campagne de tourisme islamique pourrait aussi être bénéfique. L’AP pourrait travailler avec les pays islamiques asiatiques et africain pour organiser des pèlerinages à Jérusalem en coopération avec des tour-opérateurs jordaniens et palestiniens en Israël.

Cependant, pour y parvenir, il est essentiel d’élaborer une stratégie de promotion claire pour Jérusalem-Est, d’assurer la coordination entre les tour-opérateurs des territoires palestiniens occupés et de la région 48 et de développer une meilleure infrastructure touristique à Jérusalem-Est en augmentant le nombre de chambres dans les hôtels palestiniens. Il est également essentiel d’améliorer le marketing par l’utilisation des médias numériques et des réseaux sociaux, ainsi que la participation aux foires et conférences touristiques. En outre, il faut développer l’expertise technique et managériale de ceux qui travaillent dans l’industrie touristique pour garantir une qualité de service compétitive. La communauté internationale pourrait jouer un rôle important en finançant ces initiatives.

– Promouvoir la productivité. La capacité de production de l’économie de Jérusalem-Est doit être reconstruite pour améliorer son avantage concurrentiel. Ceci peut être réalisé en exploitant son atout stratégique – la Vieille Ville – et en promouvant la production de produits de haute qualité. Des investissements dans les petites industries, en particulier l’artisanat traditionnel, joueraient un rôle important pour attendre cet objectif.

Il faudrait également créer un fonds de développement pour Jérusalem-Est qui pourrait avoir différentes fonctions, notamment aider les commerçants de la Vieille Ville à payer les exorbitantes factures fiscales, financer les programmes de protection sociale, fournir des fonds aux écoles pour compenser les décisions israéliennes de réduction des financements si elles n’utilisent pas le programme scolaire israélien, promouvoir l’investissement public et privé dans les installations touristiques et les projets de logement des familles pauvres, développer l’infrastructure économique et acheter des propriétés pour que les institutions palestiniennes surmontent les difficultés financières liées aux paiements des loyers. Le secteur privé, les banques et la diaspora palestiniens, entre autres, pourraient aider à créer et à financer ce fonds.

En plus des mesures économiques exposées ci-dessus, les mesures politiques ne sont pas moins importantes. Des délégations internationales peuvent jouer un rôle important en faisant pression sur Israël pour la réouverture d’institutions palestiniennes telles que la Chambre de commerce et d’industrie de la Maison d’Orient, et en investissant dans le développement du tourisme palestinien. De plus, la communauté internationale a la responsabilité de demander des comptes à Israël pour son occupation et son annexion illégale de Jérusalem-Est, et d’aider à construire un nouveau paradigme fondé sur le respect du droit international et des droits humains.

Notes :

1. L’auteur remercie le bureau Palestine/Jordanie de la Fondation Heinrich-Böll pour son partenariat et sa collaboration à Al-Shabaka en Palestine. Les opinions exprimées dans cette analyse politique sont ceux de l’auteur et ne reflètent donc pas nécessairement celles de la Fondation Heinrich-Böll.
2. Ces statistiques sont basées sur Michael Dumper, The Politics of East Jerusalem since 1967 (New York: Columbia University Press, 1997).
3. Le Gouvernorat de Jérusalem tel que défini par l’AP a des limites géographiques et de district différentes de celles de la zone municipale israélienne de Jérusalem. Pour l’AP, Jérusalem-Est fait partie du Gouvernorat de Jérusalem, qui comprend les zones J1 (la partie de Jérusalem qui a été annexée par Israël en 1967) et J2 (le reste de Jérusalem qui est sous administration palestinienne).
4. Il y a un manque de données officielles fiables sur l’industrie du tourisme à Jérusalem-Est, sauf pour ce qui concerne l’activité hôtelière ; ces statistiques sont donc utilisées ici pour évaluer le secteur.
5. Cette section se fonde sur une étude publiée en arabe par l’auteur et l’Institut de recherche de politique économique de la Palestine (MAS) intitulée « L’Etat actuel des marchés de la Vieille Ville de Jérusalem », 27 Juillet 2016. On peut consulter l’original en arabe ici.
6. Cité dans l’étude publiée par MAS, op.cit.
7. Le Haut Comité pour les affaires de Jérusalem a été créé en 2005 et dirigé par Ahmad Qurei’, alors Premier ministre de l’AP. Il agit, avec l’AP et l’OLP, comme la référence principale pour toutes les questions relatives à Jérusalem.
8. Le pourcentage de Juifs vivant dans la Vieille Ville a été calculé grâce aux statistiques disponibles dans le Journal 2015 publié chaque année par la Société académique palestinienne pour l’étude des affaires internationales (PASSIA). Il y avait 3.350 juifs vivant dans la Vieille Ville en 2015, par rapport à un total de 35.350 musulmans, chrétiens et Arméniens.
9. Publication du PNUD, à paraître.
10. Entretien avec l’auteur, 20 mai 2016, Jérusalem-Est.
11. Les discussions dans plusieurs ateliers organisés par la Société académique palestinienne pour l’étude des affaires internationales (PASSIA) en 2016 ont porté sur cette stratégie, et un participant à une conférence économique organisée par l’Institut de recherche politique et économique de Palestine a également récemment proposé l’idée.

30 novembre 2016 – Al-Shabaka – Traduction : ISM France – MR