“Khader risque la mort, mais je soutiens son combat contre l’occupation”

Photo : Ahmad Al-Bazz/ActiveStills
23 mai 2015 - La fille de Khader Adnan participe ici à un rassemblement de soutien à son père en grève de la faim dans les geôles israéliennes - Photo : Ahmad Al-Bazz/ActiveStills
Randa MusaDepuis le moment où cet article est paru, Khader Adnan a finalement été condamné par un tribunal militaire israélien à un an de prison ferme et à 18 mois avec sursis. Il devrait donc quitter sa prison israélienne dans les prochaines semaines, à l’expiration de sa première année d’incarcération. Khader Adnan a donc cessé sa grève de la faim – Note de la rédaction.

ARRABEH, Jénine, Cisjordanie occupée – Ces 58 derniers jours, mon mari, Khader Adnan, a refusé toute nourriture. Il n’a rien pris sauf de l’eau. Dimanche, il a également arrêté de boire de l’eau.

Une fois encore, Khader a choisi de résister courageusement à l’illégalité et à la barbarie de l’occupation israélienne en utilisant la seule arme à sa disposition dans les prisons israéliennes : son corps.

Il savait qu’il pourrait ainsi payer de sa vie son droit de résister à l’occupation. Pourtant, il a annoncé le 2 septembre une grève de la faim illimitée jusqu’à ce qu’il soit libéré.

Troisième grande grève de la faim

Mon mari risque la mort à tout moment pendant que j’écris ceci. Sa vie ne tient qu’à un fil. Personne ne sait combien de temps il lui reste à vivre.

Khader a été emprisonné onze fois – à la fois par l’occupation israélienne et par l’Autorité palestinienne. Il a fait d’innombrables grèves de la faim de différentes durées pour se libérer des chaînes de l’injustice. Son courage à combattre les deux entités a fait de lui un ennemi des deux.

Il s’agit de la troisième longue grève de la faim que mon mari bien-aimé a entreprise au cours des six dernières années. Il a été libéré des prisons israéliennes en 2012 après avoir refusé toute nourriture pendant 66 jours et en 2015 pour une durée de 56 jours. Khader est sorti victorieux les deux fois, et je suis convaincu qu’il le sera aussi cette fois-ci.

Bien que nous soyons mariés depuis 2005, nous n’avons pas passé plus de cinq ans en présence physique l’un de l’autre.

Lorsque je reçois un avis de message sur mon téléphone, je ressens une terrible angoisse jusqu’à ce que je lise ce qui est à l’écran. Je crains de recevoir la nouvelle de sa mort. Je me parle constamment. Je me dis: “Reste forte, Randa.”

“Nous trouvons la vie dans la résistance à l’occupation”

Avant de se lancer dans cette dernière grève de la faim, je lui ai demandé: “Comment ? Tu sais ce qui va arriver à ton corps les 12, 20, 50ème jours. Tu as déjà ressenti la douleur et la sensation de faim, les vomissements et la perte de l’audition, la sensation que ton estomac te dévore. Comment peux-tu tout recommencer ?”

Sa réponse a été touchante : “Comment une femme choisit-elle de donner naissance plus d’une fois, alors qu’elle a ressenti la douleur ? Il y a de la beauté et de l’amour à donner la vie, tout comme nous trouvons la vie dans la résistance à l’occupation, à connaître le goût de la liberté et à pouvoir lutter pour l’obtenir”.

Khader Adnan n’est pas simplement un dirigeant du Jihad islamique. Quand Khader sort dans la rue, les gens se rassemblent pour l’écouter. Il est un avec le peuple. Depuis qu’il a expérimenté les éléments les plus vils et les plus sombres de cette occupation, il parle inévitablement de tout son cœur.

S’il parle de nos prisonniers, ils savent qu’il est l’un d’eux. S’il parle de grève de la faim, ils savent qu’il est un gréviste de la faim. S’il parle de défendre nos valeurs face à nos ennemis, ils savent qu’il a consacré sa vie à la justice. S’il parle de l’Autorité palestinienne, ils savent qu’il a été emprisonné et tabassé. S’il parle de la monstruosité de l’occupation, ils savent l’épreuve qu’il a traversée.

Alors qu’il protestait deux fois par le passé contre la politique inhumaine de détention administrative de l’occupation – emprisonner des Palestiniens sans procès ni inculpation, et ceci indéfiniment – cette fois-ci est différente. Un procès est en cours contre lui, bien que celui-ci ait été reporté à plusieurs reprises depuis son arrestation le 10 décembre.

Un souhait de mourir ?

Beaucoup l’ont critiqué pour avoir choisi de faire la grève de la faim alors qu’il y a un procès. Ils l’ont traité sa décision comme un souhait de mourir. Les organisations de défense des droits de l’homme m’ont dit qu’elles ne me soutiendraient pas s’il le faisait. Mais à qui sont-ils pour choisir ou décider contre quoi il proteste ? Qui sont-ils pour décider que ce que fait l’occupation est légal? Il est en prison depuis presque un an et aucune décision n’a encore été rendue.

Sa conviction principale est que l’occupation est libre de décider quand emprisonner quelqu’un, mais l’occupation n’est pas libre de décider quand libérer un prisonnier politique. L’idée dans cette grève de la faim est qu’il est contre l’essence même de la détention. Toute personne libre, même avec un soupçon de dignité, résisterait à la cruauté de l’occupation.

Ils refuseraient les violations de nos libertés, de notre dignité et de notre humanité. Il croit que sa vie est sans valeur si on lui vole sa liberté – s’il n’est pas présent avec sa famille. Il me disait un jour : “Un instant avec toi et les enfants vaut toute la douleur que j’ai subie pendant ma grève de la faim.”

Bien que je n’aie jamais été aussi impliquée dans la politique, je suis obligée de défendre et de parler au nom de mon mari qui est allongé sur un lit dans l’hôpital de la prison de Ramle, sous l’occupation. Mais ce n’est pas facile. Quand je parle aux médias ou à des ONG et à des groupes de défense des droits, les larmes me piquent les yeux.

Impacts psychologiques

D’une grève de la faim à l’autre, je vois les impacts émotionnels et psychologiques sur mes enfants. Ils sont facilement agités, émotifs et irritables. Je sais que cela provient en grande partie de la colère et de l’inquiétude constantes dans lesquelles je suis. Même si j’essaie de conserver une atmosphère légère et familiale dans la maison, c’est très difficile. Il est difficile de cacher la peur et la douleur à l’intérieur de vous.

Quand Khader est en prison et en grève de la faim, je constate une baisse de leurs notes à l’école. Mon fils est rentré de l’école un jour et a commencé à battre sa sœur. Je lui ai demandé pourquoi il faisait ça. Il m’a dit que les garçons de son école lui avaient annoncé que son père allait mourir. “Ton père est en grève de la faim, il va mourir”, lui ont-ils dit.

Le sentiment que vous pouvez perdre quelqu’un que vous aimez à tout moment – un frère, un mari, un ami, le père de vos enfants – est presque insupportable.

Les gens le dénonce ou le voient comme un religieux fanatique parce qu’il a une longue barbe. Khader s’assoie par terre et joue avec ses enfants, nous nettoyons les salles de bain main dans la main, il lave le sol, il sèche mes cheveux et élimine mes points noirs. Nous avons une vie partagée. Il est mon âme sœur.

Bien que je porte le fardeau de son absence et de la peur de le perdre, je le soutiens sur ce chemin. En tant que famille, nous croyons en l’amour pour la terre. Nous croyons au sacrifice pour notre terre. Notre pays a besoin de personnes comme Khader.

* Randa Musa est l’épouse du prisonnier politique palestinien Khader Adnan, et la mère de deux enfants.

30 octobre 2018 – Middle East Eye – Traduction : Chronique de Palestine