Gaza, otage de l’État islamique

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Nidal al-Jaafari, tué dans un attentat à la frontière avec l'Egypte, est pleuré lors de ses funérailles - Photo : Abed Zagout

Par Hamza Abu Eltarabesh

Lorsque Rami Fawda entendit dire que le passage de Rafah devait finalement être ouvert, il ressentit un soulagement mêlé d’anxiété.

Le technicien de 44 ans était soulagé parce qu’il vit à Ankara, en Turquie, où il travaille depuis 13 ans et devait rentrer chez lui. Il était venu à Gaza pendant l’été pour voir sa famille pour la deuxième fois seulement depuis qu’il était parti travailler en Turquie, mais s’était retrouvé coincé, essayant à trois reprises mais sans succès de quitter Gaza par le poste frontière de Rafah, entre Gaza et l’Égypte.

Puis il sembla que M.Fawda puisse partir en Octobre, lorsque les autorités égyptiennes annoncèrent une ouverture programmée du poste de Rafah suite aux négociations préliminaires d’unité récemment conclues au Caire entre les partis palestiniens Fatah et Hamas et annoncées en fanfare. Mais cette occasion fut aussi sabordée, cette fois-ci par une attaque contre un poste de contrôle militaire égyptien dans le Sinaï qui coûta la vie à 30 personnes, dont six soldats, et qui fut attribuée au groupe État islamique.

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C’est cette attaque du 15 octobre qui était la cause de l’inquiétude de M.Fawda. Au cours des derniers mois, les ouvertures bien trop rares – le passage de Rafah n’a été opérationnel qu’environ 30 jours sur l’ensemble de l’année 2017 – ont été à maintes reprises annulées en raison d’attaques de militants dans le Sinaï.

Le résultat c’est que les militants, dont beaucoup ont prêté allégeance à l’État islamique, peuvent par leurs actes prendre en otage deux millions de Palestiniens de Gaza.

Ce n’est plus une question uniquement égyptienne

M.Fawda a eu plus de chance en novembre, mais tout juste. Le passage fut ouvert le 18 novembre pour trois jours, et il réussit à obtenir une autorisation de sortie. S’il avait attendu une semaine de plus, lorsque le Caire annonça une autre ouverture de trois jours, il aurait à nouveau été déçu. Le 24 novembre des hommes armés ont pris d’assaut une mosquée dans le Sinaï, tuant plus de 300 personnes. Le passage de Rafah est resté fermé jusque la semaine dernière.

Du côté égyptien, M.Fawda nous a parlé des contrôles de sécurité et d’une présence militaire massive au poste frontière. En Égypte, a-t-il dit à The Electronic Intifada par téléphone, ils ressentent la « même peur que nous. » Les militants salafistes dans le Sinaï, anciennement de Ansar Beit al-Maqdis qui est devenu État islamique – Province du Sinaï en 2014 ont dans les faits uni leurs forces à celles d’Israël pour « assiéger Gaza, » explique M.Fawda.

Ils ont sans aucun doute trouvé un moyen de faire pression à la fois sur l’Égypte et le Hamas. Le Hamas poussé par la nécessité d’ouvrir Gaza au monde extérieur, a conclu un certain nombre d’accords avec le Caire pour aider l’Égypte à combattre ce qui est devenu une insurrection généralisée dans le Sinaï.

Parmi ces accords la constitution d’une zone tampon le long de la frontière entre le Sinaï et Gaza et l’arrestation des militants du Sinaï à Gaza. Ces accords ont déjà causé des ruptures de la relation longue et malaisée entre le Hamas et les Salafistes à Gaza même qui s’est embrasée à plusieurs reprises au cours des dix dernières années.

Le Hamas a payé le prix de l’amélioration de ses relations avec l’Égypte, d’après Mukhaimer Abu Saada, analyste politique et enseignant à l’université Al-Azhar à Gaza. « Dès que le Hamas s’est mis à réprimer les militants salafistes, l’État islamique au Sinaï a commencé à exercer des représailles, y menaçant les opérations du Hamas, y compris ses intérêts commerciaux et sa contrebande d’armes. » a expliqué Abu Saada.

Le conflit au Sinaï est ainsi devenu une lutte plus vaste qui a un impact direct sur Gaza. Israël est largement considéré à Gaza comme le principal bénéficiaire de l’hostilité entre l’État islamique et le Hamas.

Et les tensions engendrent les tensions. Les forces de sécurité du Hamas ont arrêté des membres présumés de l’État islamique dans la région de Tal al-Sultan à Rafah en réaction au premier attentat suicide revendiqué par l’État islamique à Gaza en Août. Celui-ci eut lieu après que le Hamas eut réprimé les infiltrations vers et hors de Gaza.

Depuis lors, le nombre d’arrestations n’a fait que croître. Ashraf Issa, agent du service de sécurité intérieure dirigé par le Hamas, a dit à The Electronic Intifada qu’il y avait maintenant 550 combattants présumés de l’État islamique en prison à Gaza.

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Mais ceci à son tour menace certains intérêts vitaux du Hamas, en particulier les voies d’approvisionnement à travers le Sinaï, utilisées depuis longtemps pour acheminer en contrebande toutes sortes de marchandises et produits de première nécessité, ainsi que des armes et des munitions.

Cibler le Hamas

C’est certainement, la menace que l’État islamique aimerait représenter. D’après un dirigeant de l’État islamique basé au Sinaï qui opère sous le nom de guerre de Muhammad al-Yamani et que nous avons joint par le biais du téléphone d’un membre de sa famille, chaque opération de l’État islamique « est une réponse aux actions du Hamas et de l’Égypte contre nos membres. »

Al-Yamani a juré de continuer à frapper les positions militaires égyptiennes au Sinaï et a averti le Hamas que s’il continuait à arrêter des membres de l’État islamique, « nous détruirons leurs voies d’approvisionnement militaires. »

Il a ajouté : « Nous surveillons tous les convois qui traversent le Sinaï. » Il a raccroché avant que ce journaliste puisse lui poser d’autres questions.

Les principales cibles de l’État islamique au Sinaï sont des Égyptiens. Notamment, le 24 novembre, des hommes armés ont ouvert le feu dans une mosquée près de El Arish dans le Sinaï pendant la prière du vendredi, la pire attaque de ce type de l’histoire moderne de l’Égypte.

Mais l’État islamique est aussi très actif dans la zone frontalière entre l’Égypte et Gaza. Fin octobre, trois Palestiniens travaillant près de la frontière furent enlevés lors d’une opération imputée à l’État islamique. Ils furent battus et soumis à un interrogatoire pendant une douzaine heures en territoire égyptien, puis libérés, selon Abd al-Rahman Odeh, agent de sécurité au Hamas, lorsqu’il apparut évident qu‘aucun d’eux n’était membre du Hamas.

M. Odeh a laissé entendre que l’opération était une tentative de faire pression sur le Hamas en vue d’un échange de prisonniers.

Puis, plus tard en octobre, Tawfiq Abu Naïm, chef du service de la sécurité interne du Hamas, fut blessé dans l’explosion d’une voiture, que le Hamas a qualifiée de tentative d’assassinat avortée. Deux membres de groupes salafistes à Gaza furent arrêtés après l’incident. Une source proche de l’enquête, qui s’est exprimée sous couvert d’anonymat, a confirmé que le Hamas tient l’État islamique pour responsable de l’opération.

Des saboteurs partout

Des personnalités importantes du Hamas avaient précédemment laissé entendre qu’Israël était derrière l’opération, mais cela aurait pu être davantage une communication destinée au public. Les militants salafistes avaient, sans aucun doute, un mobile. Depuis la nomination d’Abu Naim, des centaines de salafistes ont été arrêtés. Abu Naim est aussi responsable de la sécurité à la frontière entre l’Égypte et Gaza où des douzaines de postes de contrôles de sécurité ont été mis en place au cours des derniers mois.

Néanmoins, il est clair qu’il existe une convergence d’intérêts entre la branche du Sinaï de l’État islamique et Israël dans leur confrontation avec le Hamas. Certains membres du Hamas et des analystes ont laissé entendre qu’il y avait eu connivence entre Israël et l’État islamique. Tous les deux avaient un intérêt dans l’assassinat d’Abu Naim, d’après Hussam al-Dajani, professeur de politique à l’université Ummah à Gaza.

« Israël voulait éliminer quelqu’un d’actif dans la résistance ; l’État islamique voulait se venger des restrictions auxquelles il est confronté à Gaza, » a expliqué al-Dajani.

Les opérations de l’État islamique au Sinaï sont aussi en partie responsables, sinon la cause principale, du retard pris dans l’ouverture promise de longue date du passage de Rafah. On parle même de rapprocher le point de passage de la côte pour rendre son attaque plus difficile.

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D’après Ashraf Juma, juriste du Fatah, aucune décision n’a encore été prise à ce sujet, « Nous avons soumis la demande à l’Égypte et elle a été discutée, mais nous n’avons encore reçu aucune confirmation, » a-t-il dit.

L’ouverture du passage de Rafah est cruciale et demeure le talon d’Achille du Hamas. C’est le seul point d’entrée et de sortie de Gaza susceptible de rester ouvert en permanence dans un avenir proche et pour une utilisation raisonnable.

Il y a plus de dix ans Israël a imposé le bouclage de Gaza que le Caire a plus ou moins acceptée.

Cette fermeture a eu et a des effets économiques et sociaux dramatiques sur cette étroite bande côtière surpeuplée qui est depuis longtemps au bord du désastre humanitaire et qui serait inhabitable d’ici 2020 selon les estimations des Nations Unies.

Comme il l’a déjà montré le Hamas est prêt à prendre des décisions difficiles, sauf rendre les armes, pour s’assurer que Gaza soit à nouveau ouverte sur le monde. Entre autre, mettre officiellement fin à son pouvoir exclusif sur Gaza, et même s’attirer l’hostilité des militants salafistes à Gaza et dans le Sinaï.

Mis à part une coopération extérieure pour réprimer l’insurrection du Sinaï, l’Égypte y a également intérêt. Si cela est fait correctement, permettre le passage par Rafah pourrait relancer l’économie égyptienne bien peu performante grâce à l’ouverture d’un nouveau marché pour les marchandises égyptiennes tout en offrant un objectif à l’économie du Sinaï en dehors du tourisme et de la contrebande.

Mais il y a des saboteurs partout, et surtout au sein de L’État islamique – Province du Sinaï.

21 décembre 2017 – The Electronic Intifada – Traduction: Chronique de Palestine – MJB