L’extradition de Julian Assange vers les États-Unis serait un acte ignoble mais aussi terrible

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Julian Assange - Photo : Archives
Andrew Buncombe C’est aussi choquant aujourd’hui que ça l’était lorsque rendu public pour la première fois.

Les images prises par deux hélicoptères américains Apache AH-64 les montrent en train d’attaquer des bâtiments à Bagdad, puis de se rapprocher d’un groupe de personnes. Ces personnes ne tirent pas, elles ne sont même pas armées, bien que les pilotes américains prétendent le contraire. Deux d’entre elles sont des journalistes. Plusieurs sont des enfants.

Lorsque les Américains obtiennent la permission d’attaquer, ils réagissent avec exaltation. “Allumez-les tous.”

La vidéo montre la silhouette fantomatique d’une personne qui court. “Ouah, visez un peu ces salauds de morts”, dit un pilote. Quelqu’un fait remarquer qu’il y a un enfant qui semble avoir été blessé. “Ouais, c’est leur faute, ils n’avaient qu’à pas amener leurs enfants dans une bataille.”

L’enregistrement, filmé en juillet 2007 alors que l’insurrection contre l’invasion de l’Irak par les États-Unis et le Royaume-Uni prenait de l’ampleur, a été la première introduction à Wikileaks pour de nombreuses personnes. Les images ont été obtenues par Chelsea Manning, analyste du renseignement militaire, qui – écœurée par ce qui se passait au nom de son pays – les a transmises à Wikileaks et à son fondateur Julian Assange.

Au moins une douzaine de personnes, dont Namir Noor-Eldeen et Saeed Chmagh, membres du personnel de Reuters, ont été tuées dans un incident que le Pentagone a dit être justifié.

“Si ces meurtres étaient légaux en vertu des règles de combat, alors les règles de combat sont mauvaises, foncièrement mauvaises”, a déclaré Assange lorsque Wikileaks a publié la vidéo en 2010.

Manning a purgé sept ans de prison pour avoir fait fuiter la vidéo, dont une grande partie de la peine passée en un isolement cellulaire éprouvant. Jeudi, Assange a été arrêté à l’ambassade de l’Équateur à Londres, où, ayant demandé l’asile politique, il a passé sept ans.

Il a été arrêté par le gouvernement britannique à la demande des États-Unis, qui l’ont accusé de conspiration avec Manning. S’il est extradé et condamné, il risque jusqu’à cinq ans de prison.

Nul besoin d’être un admirateur d’Assange, 47 ans, pour être profondément troublé par ce qui s’est passé dans les rues de Knightsbridge, ou dégoûté par le rôle du gouvernement britannique. Si une personne peut être arrêtée pour avoir dénoncé ce qui constitue très probablement des crimes de guerre, qu’est-ce que cela dit de nous en tant que société, nous qui avons laissé faire ?

Ewen MacAskill, correspondant défense et sécurité du Guardian, qui a un rapport amour-haine à Assange, a tweeté : “Terrible précédent si le journaliste/éditeur finit en prison pour les journaux de guerre d’Irak et les câbles du département d’État.”

Si Assange n’avait publié que ce qui est maintenant connu sous le nom de vidéo du “Meurtre Collatéral”, il aurait été l’un des plus importants lanceurs d’alerte de notre époque. Mais il a également fourni bien davantage – des câbles du département d’État américain et des dossiers relatifs au camp de détention de Guantanamo Bay.

Une grande partie de la documentation a été publiée par des journaux du monde entier, ce qui rend difficile la compréhension de la joie avec laquelle de nombreux journalistes ont semblé réagir en apprenant l’arrestation de Assange. En vérité, les moqueries à l’égard de sa situation ont été un thème constant de la couverture médiatique de l’Australien.

C’est une grossière erreur de ne pas avoir mené d’enquête appropriée sur les accusations d’agression sexuelle adressée à Assange par deux Suédoises.

Il a refusé de se rendre en Suède, craignant d’être arrêté pour le compte des États-Unis, ce qui semble aujourd’hui une crainte moins fantaisiste qu’elle ne l’était à l’époque. Les enquêteurs suédois auraient pu se rendre à Londres… Jeudi, les autorités de Stockholm ont révélé qu’on leur avait demandé de rouvrir le dossier. C’est une très bonne chose.

Les partisans d’Assange m’ont dit l’année dernière, qu’ils craignaient que les États-Unis soient déterminés à le capturer après la publication de Vault 7 par Wikileaks en 2017, qui comprend des milliers de fichiers sur l’espionnage pratiqué par la CIA.

Une série de responsables américains ont par la suite déclaré qu’ils considéraient Wikileaks comme une menace, avec parmi eux Mike Pompeo, qui a qualifié Wikileaks de “service de renseignement hostile non étatique”. Jeff Sessions a déclaré qu’arrêter Assange était une “priorité”.

Il semble que les États-Unis se soient vu offrir cette opportunité après l’élection de Lenin Moreno à la présidence de l’Équateur en mai 2017. Il était moins disposé à soutenir Assange que son prédécesseur, Rafael Correa.

Les États-Unis ont joué dans ce domaine, cherchant à développer des relations militaires et diplomatiques plus étroites avec la nation sud-américaine, un pays longtemps méfiant vis-à-vis de Washington.

La décision prise en mars 2018 de couper la connexion Internet d’Assange intervient un jour après une visite de haut niveau de l’armée américaine en Équateur. L’été dernier, Mike Pence est devenu le premier vice-président américain à se rendre en Équateur depuis 1987. Lui et Moreno ont spécialement discuté de Julian Assange.

Assange est peut-être narcissique. Il a peut-être mis des personnes en danger en refusant de supprimer des informations sensibles. Il a peut-être aidé Trump à être élu et il faut le convaincre de répondre aux allégations d’agression sexuelle à son encontre.

Pourtant, ces choses ne doivent pas occulter notre vision de ce qui s’est passé aujourd’hui, aussi difficile qu’il soit de les mettre de côté.

Il s’agit d’une attaque claire contre la liberté de la presse, la liberté des lanceurs d’alerte de publier des informations dommageables concernant des institutions puissantes, qui a été menée dans les rues de Londres. Et nous sommes tous restés sans rien faire…

11 avril 2019 – The Independent – Traduction : Chronique de Palestine – MJB & Lotfallah