Conférence de Paris : tout le monde a fait son marché, sauf les Palestiniens !

Netanyahu avec son collaborateur français, Manuel Valls, à Jérusalem - Photo : gouvernement.fr

Ramzy Baroud – À leur défense, les Israéliens semblent avoir compris dès le début de quoi il en retourne et d’emblée choisi de ne pas participer.

Mais la malheureuse direction palestinienne, avec ses partenaires de la Ligue arabe, rejoints par les Français, les représentants de l’UE et des Nations Unies et même le secrétaire d’État américaine, John Kerry, ont décidé de jouer le jeu.

Cependant, l’initiative devenue conférence de paix française à Paris le 3 juin n’est rien d’autre qu’une mascarade, et tous le savaient, y compris les Palestiniens.

Alors, pourquoi cette colossale perte de temps ?

Si vous avez suivi ces histoires de « processus de paix » au Moyen-Orient tout au long du dernier quart de siècle, vous savez très certainement que la « table de négociations » n’est rien si ce n’est une métaphore pour signifier du gain de temps et l’obtention d’un capital politique. Les Israéliens en veulent bien de temps pour finaliser leurs projets coloniaux dans la construction de colonies illégales sur les terres palestiniennes occupées, et la direction palestinienne utilise ces « pourparlers » pour en tirer les validations politiques des soi-disant « courtiers pour la paix », à savoir les États-Unis.

Les États-Unis, à leur tour, exploitent ces futiles « négociations » pour s’affirmer en tant que policier du Moyen-Orient, renversant des régimes tout en s’activant prétendument pour la paix.

Dans le même temps, chaque entité est incluse ou exclue en fonction de sa propre pertinence ou de sa relation avec les États-Unis. Ainsi, l’honneur des invitations est accordé au « régimes amis ». D’autres, à savoir les « ennemis de la paix », sont repoussés à la marge pour leur incapacité à accepter ou à adhérer à la politique étrangère américaine dans la région.

Alors que le « processus de paix » n’a accouché ni de la paix dans la région ni de la justice pour les Palestiniens, l’industrie du « processus de paix » a été un succès pour certains, au moins jusqu’en 2014, quand Kerry et l’administration américaine ont décidé de s’occuper d’affaires régionales considérées comme plus pressantes, par exemple la guerre contre la Syrie.

Le Premier ministre israélien, et d’extrême-droite, Benjamin Netanyahu, était trop conforté par le sentiment « anti-paix » dans sa propre société pour même simplement participer à cette mascarade. Il y avait pour lui trop peu à gagner à être vu en compagnie d’un Mahmoud Abbas cacochyme, se serrant la main et échangeant des plaisanteries douteuses.

Ses alliés encore plus à droite qui dominent la société israélienne n’y ont accordé aucune attention, tout occupés qu’ils étaient – et sont encore – à confisquer des terres palestiniennes, à faire voter des lois plus racistes les unes que les autres à la Knesset, et à lutter contre la dissidence dans leurs propres rangs.

Avant cette date, et depuis la première conférence de paix à Madrid en 1991, le « processus de paix » a magnifiquement payé. Les Israéliens ont finalement été acceptés comme des « partenaires de paix » et ils ont lentement mais sûrement fait leur chemin depuis les marges du Moyen-Orient jusqu’au centre, sans avoir à concéder un pouce de terrain.

Même Saeb Erekat, le négociateur en chef palestinien, n’a aucune gêne à répéter cette affirmation. « En fait, le nombre de colons israéliens transférés dans la Palestine occupée a presque quadruplé depuis le début du ’processus de paix’, » a-t-il récemment écrit dans le quotidien israélien Haaretz. « Encore et toujours, Israël continue de jouir de l’impunité et n’est pas tenu de rendre des comptes. »

Compte tenu de sa position de « chef » dans cette parodie, pourquoi Erekat continue-t-il de collaborer à cette mystification compte tenu du prix qui a été payé en perte de terres et en temps ?

Eh bien, parce que la direction palestinienne elle-même était à l’avant-garde pour ratisser ce qui pouvait l’être dans ces fausses négociations. Le « processus de paix » signifiait de l’argent, et même beaucoup … Des milliards de dollars investis dans l’Autorité palestinienne (AP) – l’alimentation d’un système politique voué à l’échec, sans autorité réelle, et presque toujours tenu à l’écart pendant qu’Israël a recours à une violence extrême pour poursuivre son entreprise coloniale en Cisjordanie et dans Jérusalem occupée.

L’AP est même restée spectatrice pendant qu’Israël attaquait la Résistance à Gaza, tuant des milliers de civils dans une région surpeuplée et économiquement dévastée. Hélas, au cours des dix dernières années, il semble que la direction et les factions palestiniennes ont investi plus d’énergie pour alimenter leurs propres conflits internes que pour faire face à l’occupation israélienne.

Le gouvernement français a ses propres raisons de prendre les devants sur la relance de pourparlers de paix en totale léthargie et, ces raisons n’ont rien à voir avec un quelconque souhait français de mettre en place une plate-forme plus équitable pour les négociations, au contraire de ce que les officiels palestiniens prétendent devant qui veut l’entendre.

Écrivant dans le journal israélien Arutz Sheva, Eran Lerman a décrypté l’entreprise française en termes plus pratiques : « Des considérations de sécurité à grande échelle » motivent les initiatives diplomatiques françaises, a-t-il résumé.

En effet, la logique sous-jacente est assez visible. La cote de popularité du président français François Hollande est au plus bas niveau. En mars, il a crevé le plancher, descendant à 17% d’opinions favorables. (En octobre de l’année dernière, il se situait à 18%). Son pays est confronté à la violence, aux grèves massives et à de terribles décisions de politique étrangère qui ont abouti à un engagement militaire français en Libye, au Mali et en Syrie (pour ne citer que ces pays-là – NdT).

Entraîner les leaders mondiaux dans cette comédie qui aide à faire oublier l’échec des États-Unis sur ce front est un calcul politique assez malin du point de vue français. Cela pourrait même aider Hollande à reprendre de la stature.

Les Israéliens ont rejeté l’initiative tout de suite, sans même prendre la peine d’une campagne diplomatique pour défendre leur position, comme ils le font souvent. Dore Gold, directeur général du ministère israélien des Affaires étrangères, a répété à la veille de la conférence ce que Netanyahu et d’autres ont éructé pendant des semaines. La conférence va « complètement échouer », a-t-il dit, appelant Abbas à entamer des pourparlers directs sans la moindre condition préalable.

La position israélienne pour le moins décontractée peut être expliquée en partie dans la confiance de Tel Aviv à l’égard du gouvernement français, le gouvernement qui prend les devants dans la lutte contre la Campagne pro-palestinienne pour le Boycott, le Désinvestissement et les Sanctions (BDS).

« À plus d’une occasion, des positions et des actions françaises sur ce sujet ont été plus rassurantes du point de vue israélien que celles de notre allié américain », a écrit Lerman. « Par exemple, la France a servi de point d’ancrage de la ligne dure adoptée par le groupe P5 1 [dans les négociations nucléaires avec l’Iran]. C’est la France qui a soulevé des questions sur la fiabilité et la mise en œuvre [d’un accord] (même si les intérêts commerciaux ont ensuite fait que la France a été parmi les premiers à frapper aux portes de Téhéran) ».

La réponse israélienne, pleine de suffisance, à la conférence française a été mise en parallèle avec l’euphorie soulevée parmi les dirigeants palestiniens. Cela aussi est compréhensible. L’AP survit grâce à ce genre d’attraction internationale, et depuis la dernière réunion majeure entre Abbas et l’ancien – et maintenant emprisonné – Premier ministre israélien Ehud Olmert en 2008, Abbas est laissé seul dan son coin, renié par les Américains et négligé par les gouvernements arabes.

« L’initiative française est la lueur d’espoir que la Palestine attendait », a écrit Erekat. « Nous sommes convaincus qu’elle fournira un cadre clair et des paramètres bien définis pour la reprise de négociations. »

Même en imaginant que la « reprise des négociations » tant attendue se fasse, rien de bon n’est susceptible d’en sortir, à l’exception de dividendes politiques pour ceux qui ont participé à ce cirque qui dure depuis 25 ans, en gagnant du temps et de l’argent. Il n’y a vraiment pas de quoi se réjouir.

A1 * Dr Ramzy Baroud écrit sur le Moyen-Orient depuis plus de 20 ans. Il est chroniqueur international, consultant en médias, auteur de plusieurs livres et le fondateur de PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Résistant en Palestine – Une histoire vraie de Gaza (version française), peut être commandé à Demi-Lune. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Scribest.fr. Son site personnel. :

7 juin 2016 – Ma’an News – Traduction : Lotfallah