L’adhésion de quatre régions à la Russie se justifie-t-elle ?

Les participants à un rassemblement dans la région de Donbas arborent des drapeaux de la République populaire de Donetsk - Photo: Alexander Kravchenko / Agence TASS

Par Natasha Hawa

L’opposition de la Russie à la domination occidentale et sa capacité à atteindre ses objectifs sont le signe que de nouveaux centres de pouvoir émergent.

Peut-on justifier l’adhésion des quatre régions d’Ukraine, et quelles conséquences cette adhésion a-t-elle sur l’ordre mondial et le droit international ?

Le président Poutine a annoncé l’intégration de quatre régions ukrainiennes à la Russie lors d’une cérémonie tenue le 30 septembre 2022. Cette adhésion fait suite à des référendums organisés dans chaque territoire dont la région de Kherson où 87% de la population a voté en faveur de l’adhésion, la région de Lugansk dont les autorités ont déclaré que 98,4% des habitants avaient voté en faveur de l’adhésion à la Russie, Zaporozhye où le chiffre était de 93,1 pour l’adhésion et le Donetsk où le chiffre était de 99,2%.

Cependant, l’Occident a unanimement rejeté ces référendums et les a qualifiés de simulacres. Il faut donc se demander si les récentes adhésions de la Russie peuvent se justifier ou non. Selon le droit international (Statut de Rome de la Cour pénale internationale), une “annexion” est un acte d’agression, sachant que “annexion” est le terme utilisé par l’Occident pour qualifier l’adhésion des quatre régions.

Cependant, il est possible d’affirmer que l’ « annexion » interdite par le droit international implique l’utilisation de la force par un État donné qui décide d’ « annexer » un territoire. Dans le cas des quatre régions d’Ukraine, des référendums ont été organisés avant que les régions ne soient « annexées ».

Une question se pose donc ici : Si l’ « annexion » est fondée sur les résultats d’un référendum, peut-elle encore être considérée comme un acte d’agression ?

Les référendums peuvent être perçus comme une forme de démocratie directe puisqu’une question est tranchée par un vote public plutôt que par des représentants (une forme indirecte de démocratie). Par conséquent, on peut considérer que ces résultats sont valides et fondés sur la libre volonté des citoyens de ces régions, qui se sont prononcés massivement pour l’adhésion, puisque le principe de l’égalité des droits et de l’autodétermination est inscrit dans le droit international et plus particulièrement dans l’article 1(2) de la charte des Nations unies.

On peut également affirmer que, selon le droit international, les citoyens d’un territoire doivent être égaux devant la loi et ont droit à une protection égale contre toute violence ou discrimination. Ce principe est inscrit dans l’article 7 de la Déclaration universelle des droits de l’homme.

Dans son discours du 30 septembre 2022, le président Poutine a déclaré que pendant huit longues années, depuis le coup d’État de Maidan en 2014, les habitants de Donetsk ont été soumis à un génocide, à des bombardements réguliers et à des blocus ; tandis qu’à Kherson et à Zaporozhye, on a mené une politique criminelle visant à cultiver la haine de la Russie et de tout ce qui est russe.

C’est l’une des justifications données par la Russie pour annexer ces territoires. Les deux zones séparatistes de Donetsk et de Lougansk se sont en effet opposées au nouveau gouvernement installé en Ukraine en 2014, ce qui a entraîné des tensions entre le gouvernement ukrainien et ces deux régions.

L’accord de Minsk, signé en 2014, était censé résoudre le conflit entre ces deux zones et le gouvernement ukrainien. Les principaux termes de l’accord comprenaient notamment : assurer un cessez-le-feu immédiat, prendre des mesures pour améliorer la situation humanitaire dans le Donbass, adopter un programme de relance économique pour le Donbass… etc.

Cet accord a été signé et ratifié par l’Ukraine, mais la Russie a accusé l’Ukraine de ne pas le respecter.

Si l’on prend le temps de regarder le site de l’OSCE, les rapports quotidiens recensent les violations de l’accord de Minsk qui ont été enregistrées par l’OSCE. Par exemple, si nous prenons le 28 janvier 2022, avant que la Russie ne lance son opération militaire spéciale en Ukraine, l’OSCE a enregistré 173 violations du cessez-le-feu, dont 6 explosions.

Si nous remontons au 30 juin 2015, l’OSCE a signalé des combats autour de l’aéroport de Donetsk. Il semble, selon les données de l’OSCE, qu’il y ait eu des violations quasi quotidiennes de l’accord de Minsk.

En outre, en 2019, l’Ukraine a introduit une législation qui a imposé l’Ukrainien comme langue principale et a interdit l’usage du russe dans les magasins, les restaurants et les services. Les citoyens s’exposaient à des amendes s’ils ne respectaient pas ces dispositions législatives.

Il est donc clair que si l’Occident avait exigé la mise en œuvre complète de l’accord de Minsk au départ, la série d’événements qui a conduit à l’adhésion de ces territoires ukrainiens à la Russie n’aurait pas eu lieu.

Au cours des dernières décennies, l’Occident a dominé les affaires internationales et l’ordre mondial en intervenant dans des pays comme l’Irak, la Syrie et l’ex-Yougoslavie, pour n’en citer que quelques-uns. Dans son discours du 30 septembre 2022, le président Poutine a ouvertement critiqué l’hégémonie occidentale et a déclaré que l’Occident avait utilisé des méthodes violentes contre des États indépendants, des valeurs traditionnelles et des cultures ancestrales dans le but de saper les nouveaux courants mondiaux et les processus internationaux et collectifs qu’il ne pouvait pas contrôler.

Il a ensuite déclaré qu’il est capital pour l’Occident de soumettre tous les pays à la souveraineté du dollar américain. Il est difficile de contester les affirmations du président Poutine si l’on considère les opérations occidentales menées contre des États indépendants dans le but de les contraindre à suivre la politique occidentale.

S’ils refusaient, l’Occident provoquait un changement de régime et pillait autant de leurs ressources que possible. L’Irak en est un excellent exemple : Saddam a contesté la domination du dollar et a décidé de vendre son pétrole en euros. Résultat, toute une série de sanctions s’est abattue sur le pays et il a été chassé du pouvoir.
 
Dans le cas des conflits en Irak, en Libye et en ex-Yougoslavie, les opérations de l’Occident violaient le droit international mais elles n’ont pas été sanctionnées par l’ONU.

L’Occident a également eu du mal à gérer les conséquences de ses changements de régime dans des pays comme l’Afghanistan et la Libye. Il a aussi été obligé de se retirer de zones qu’il avait initialement ciblées pour un changement de régime. Ces interventions ont eu des effets désastreux sur la population des pays occidentaux eux-mêmes, avec des problèmes tels que l’augmentation de l’immigration et le trafic des migrants, notamment dans la Manche.

Au contraire, la Russie, en incorporant les quatre territoires ukrainiens et en les intégrant à la Fédération de Russie, montre son engagement à long terme et son soutien à leur développement. Comme l’affirme Poutine dans son discours, la Russie reconstruira les villes et villages détruits, les bâtiments résidentiels, les écoles, les théâtres, les musées, etc. Il reste évidemment à voir si cela sera fait et seul le temps nous dira si la Russie en est capable.

Le récent conflit avec l’Ukraine montre clairement que l’Occident, dont le mépris du droit international est flagrant, peut difficilement accuser la Russie de ne pas l’avoir respecté.

Comme le dit la bible dans Jean 8.7 « Que celui qui n’a pas péché jette la première pierre ». Les principes du droit international doivent être respectés par tout le monde, sinon ils n’ont aucun sens.

Ce qui se passe en Ukraine prouve que la Russie parvient à résister à la domination occidentale, malgré la guerre d’usure économique que l’Occident a lancée contre elle. La résistance de la Russie à la domination occidentale et sa capacité à poursuivre ses objectifs démontrent l’émergence de nouveaux centres de pouvoir, comme l’a fait remarquer Poutine dans son discours.

En outre, on observe que ce refus de la domination et de l’hégémonie de l’Occident gagne du terrain et qu’il semble inspirer d’autres pays à poursuivre librement leurs propres ambitions politiques et économiques, ce qui conduirait à l’effondrement de la domination occidentale et à un changement fondamental de l’ordre mondial ainsi que du droit et des principes internationaux qui le sous-tendent.

11 décembre 2022 – Al-Mayadeen – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet