Le prétendu “accord sur l’eau” cimente le contrôle israélien sur les ressources en eau des territoires occupés

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Dalia HatuqaSelon les critiques, l’accord ne traite pas du concept fondamental de l’eau en tant que ressource partagée.

Il a été salué comme une percée, un succès rare de la coopération régionale, et une étape positive qui peut ouvrir la voie à la reprise de pourparlers entre Palestiniens et Israéliens, suspendus depuis 2014.

Mais un accord récent sur l’eau, signé sous les auspices de l’envoyé du président américain Donald Trump à la mi-juillet, peut en réalité cimenter le contrôle d’Israël sur les ressources en eau en Cisjordanie, disent les experts.

“L’état d’esprit de nombreuses administrations américaines a été que c’était une victoire de faire rentrer simultanément un Palestinien et un Israélien dans une même pièce. Cela fait vendre des journaux”, a déclaré Diana Buttu, ancienne conseillère de l’équipe de négociation palestinienne. “Mais celui qui regarde cela avec un œil critique ne mord pas à l’hameçon et dit au contraire que c’est une idée terrible.”

L’accord sur l’eau, qui augmente effectivement la quantité d’eau que l’Autorité palestinienne (AP) peut acheter en provenance d’Israël, a été mis au point dans le cadre du projet “Mer Rouge” – comme il est communément nommé – un plan visant à relier la mer Rouge, la mer Morte et une usine de dessalement dans le port jordanien d’Aqaba par un pipeline long de 200 kms.

Ce plan “Mer-Rouge” de 900 millions de dollars, parrainé par la Banque mondiale et approuvé en 2013, vise à stimuler l’approvisionnement en eau d’Israël, des Palestiniens et de la Jordanie, en détournant l’eau de la mer Rouge et en la transformant en partie en eau douce et en versant ce qui échappe au dessalement vers la mer Morte, stoppant ainsi la baisse de son niveau.

Le récent accord bilatéral sur l’eau verrait Israël vendre 32 millions de mètres cubes d’eau à l’AP – dont 22 seraient vendus en Cisjordanie pour 3,3 shekels (0,9 dollars) par mètre cube, tandis que le reste serait alloué à la bande de Gaza pour 3,2 shekels le mètre cube. Il a été salué comme une percée, un succès rare de la coopération régionale et une démarche positive qui peut ouvrir la voie à la reprise de pourparlers entre Palestiniens et Israéliens, gelés depuis 2014.

“Nous espérons que cet accord contribuera à résoudre les problèmes de la Mer Morte et qu’il aidera non seulement les Palestiniens et les Israéliens, mais aussi les Jordaniens”, a déclaré l’envoyé américain Jason Greenblatt lors d’une conférence de presse à Jérusalem, tenue en compagnie du ministre israélien de la Coopération régionale Tzachi Hanegbi et du responsable de l’Autorité palestinienne pour l’eau, Mazen Ghoneim.

Le même jour, la Maison Blanche a publié une déclaration saluant le nouvel accord comme “une autre indication que les parties sont capables de travailler ensemble pour obtenir des résultats mutuellement bénéfiques”.

Cependant, l’AP affirme que l’eau est une question concernant l’état final, qui doit être négociée dans le cadre d’un accord de paix définitif entre Israël et les Palestiniens, et que la signature de cet accord n’aura aucun effet sur de futures négociations politiques avec Israël.

En parlant aux journalistes à Ramallah le 18 juillet, Ghoneim a reconnu que l’affaire n’était qu’un palliatif. “La crise ne se terminera pas avant la fin de l’occupation d’Israël et nous réaffirmons nos droits sur l’eau dans les trois bassins souterrains sous le contrôle d’Israël”, a-t-il déclaré.

“L’eau qui nous est donnée dans le cadre de l’accord est notre droit parce que nous avons une part dans les zones côtières de la mer Morte. Cela n’a rien à voir avec les négociations sur un accord définitif avec Israël”.


Les Palestiniens gèrent du mieux qu’ils peuvent les pénuries en eau

En vertu des Accords d’Oslo, signés entre Palestiniens et Israël il y a plus de deux décennies, Israël a conservé le contrôle de la plupart des ressources en eau en Cisjordanie (80%), les 20% restants étant destinés aux Palestiniens. Mais les accords, qui devaient être temporaires, ont permis aux Israéliens de consommer en moyenne quatre fois plus d’eau par personne que les Palestiniens.

Après avoir laissé de côté cette question plus vaste des droits des Palestiniens sur les ressources en eau, le plan est minimisé par certains experts et considéré comme un simple accord pour spécifier la quantité d’eau que l’AP peut acheter.

“C’est un simple accord commercial entre Israël et l’Autorité palestinienne”, a déclaré Jad Isaac, directeur du Institut de recherche appliquée de Jérusalem, qui promeut le développement durable grâce à la gestion des ressources naturelles.

“C’est la voie suivie par Trump : dire que c’est une percée, et essayer de faire une campagne de relations publiques et prétendre qu’il a fait des progrès. C’est l’approche Trump. Mais en fait, il n’y a rien de substantiel à ce sujet”.

Les critiques ont également prévenu que le plan ne traite pas des restrictions israéliennes sur l’accès palestinien à l’eau et le développement des infrastructures nécessaires pour faire face à la crise de l’eau en Cisjordanie occupée.

Les Palestiniens en Cisjordanie ne consomment que 70 litres d’eau par habitant et par jour, bien au-dessous de ce que l’Organisation mondiale de la Santé recommande au minimum (100 litres/jour).

Dans les communautés les plus vulnérables de la zone C – celles qui ne sont pas reliées au réseau d’eau – ce chiffre dépasse à peine les 20 litres par personne et par jour, selon EWASH, une coalition d’organisations palestiniennes et internationales travaillant sur l’eau et l’assainissement dans les territoires palestiniens.

EWASH ajoute que “les Palestiniens de Cisjordanie n’extraient pas plus de 10% des ressources en eau partagées en raison des restrictions israéliennes sur le développement des infrastructures hydrauliques palestiniennes et la surexploitation [par Israël] de la zone aquifère de montagne”.

Les Palestiniens soutiennent que leurs droits sur l’eau du Jourdain et de la Mer Morte sont violés.

Lorsque l’accord “Mer-Rouge” a été signé en 2013, les groupes palestiniens de protection de l’environnement et des droits de l’homme ont déclaré qu’il ne s’attaquait pas aux dommages causés à la réserve aquifère orientale en Cisjordanie, l’une des seules sources d’eau pour les Palestiniens de Cisjordanie, et qui s’épuise rapidement en raison du rétrécissement de la mer Morte.

Le niveau des eaux de la Mer Morte a diminué d’environ un mètre par an – avec un impact environnemental et économique dévastateur – principalement parce que la majeure partie de l’eau du Jourdain est déviée et que les industries exploitent la Mer Morte pour les minéraux.

L’accord bilatéral récent, qui n’augmente pas le quota d’eau des Palestiniens à partir du Jourdain, rend permanente une situation déjà insoutenable et garantit à Israël la part du lion eu eau, renforçant ainsi le statu quo, a déclaré Buttu.


50 ans après la guerre de 1967, Israël intensifie la colonisation de la Palestine

“Ils se sont éloignés de l’idée que l’eau est une ressource partagée et ont adopté l’approche selon laquelle Israël contrôle et alloue de l’eau aux Palestiniens”, dit-elle encore. “Israël vend de l’eau aux Palestiniens depuis longtemps, mais cela renforce plus cette pratique avec l’argument que c’est une façon de rendre moins prégnant le problème de l’eau”.

En 2012, l’organisation palestinienne de défense des droits de l’homme, al-Haq, a accusé les colonies et les entreprises israéliennes de “pillage” des ressources naturelles de la mer Morte. “La présence de colons qui utilisent et profitent directement de la richesse de la Mer Morte a exacerbé cette situation et a contribué à la surexploitation de la région, ce qui a entraîné de graves dommages environnementaux”, a expliqué le groupe dans un rapport précédemment publié.

Israël conteste les critiques en soulignant que, dans le cadre des Accords d’Oslo, il exerce un contrôle total sur la zone C, une vaste zone qui représente plus de 60% de la Cisjordanie et qui comprend la côte de la mer Morte.

D’après les autorités israéliennes d’occupation, le Comité mixte israélo-palestinien de l’eau – qui, jusqu’en mai, ne s’est pas réuni en sept ans – devrait maintenant aborder certaines des questions les plus épineuses à propos de l’eau.

“Récemment, le Comité mixte de l’eau a été renouvelé, et les deux parties discuteront, en coopération, de toutes les solutions nécessaires, y compris le forage d’eau et plus encore”, a déclaré le COGAT, l’organisme civil de l’armée israélienne qui administre la Cisjordanie sous occupation.

Les responsables israéliens prétendent que les problèmes d’eau dans les territoires auraient pu être pris en compte si les Palestiniens avaient assisté aux réunions du comité mixte. Les Palestiniens attribuent leur refus aux conditions fixées par les occupants, à savoir que [les Palestiniens] doivent approuver les projets israéliens pour l’approvisionnement en eau des colonies pour que les demandes palestiniennes soient étudiées.

Selon le porte-parole du ministère israélien des Affaires étrangères, Emmanuel Nahshon, “il y a beaucoup de choses à faire ensemble pour améliorer l’infrastructure de l’eau de l’AP [Autorité palestinienne]. Nous parlons de vieux tuyaux qui fuient et d’une utilisation plus rationnelle de l’eau”. Il a également souligné l’accès illégal aux tuyaux, selon lui par les Palestiniens qui ne voulaient pas payer l’eau. “C’est quelque chose que nous voulions faire au fil des ans, et le nouvel accord sur l’eau est l’une des façons de faire face à cela. Le nouvel accord … ne concerne pas seulement les quotas d’eau, mais aussi la cohérence et la bonne utilisation de l’eau, afin de répondre aux besoins des Palestiniens”.

Mais les spécialistes de l’eau disent que la cause principale du problème n’est pas une activité illégale, mais l’indisponibilité des ressources en eau pour les Palestiniens et la mauvaise gestion et le détournement des eaux du Jourdain [par les forces d’occupation].

Muna Dajani, chercheuse à l’eau basée à Jérusalem, a déclaré que l’accord de ce mois-ci avait aussi pour but de “dépolitiser” la question de l’eau, en la transformant en une marchandise qui n’est traitée que sous les aspects techniques ou commerciaux. “Cela pousse les Palestiniens dans un coin. Et l’AP est si faible qu’elle ne peut pas revendiquer ses droits sur l’eau”.

* Dahlia Hatuqa est une journaliste palestinienne spécialisée sur le Moyen-Orient. Elle réside aux Etats-Unis et en Cisjordanie. Consultez son site Web. Elle est joignable sous Twitter : @DaliaHatuqa

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3 août 2017 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine