2016 : l’année où le monde a décidé d’abandonner les réfugiés

Photo : MSF/Borja Ruiz Rodriguez
Réfugiés en Méditerranée, pris en charge par le 'Bourbon Argos', un des 3 bateaux affrétés par Médecins Sans Frontières - Photo : MSF/Borja Ruiz Rodriguez
Anealla Safdar & Patrick StricklandLes réfugiés, les groupes de défense des droits de l’homme et les organisations humanitaires disent que l’empathie envers les réfugiés s’effrite, alors même que le nombre des décès en Méditerranée ne cesse d’augmenter.

Le nombre de réfugiés qui se sont noyés dans la Méditerranée cette année est arrivé à un record.

Des milliers de personnes ont perdu la vie en mer lorsqu’elles ont entrepris leur dangereux voyage pour échapper à la guerre, à la pauvreté et à la persécution – souvent les trois en même temps. En 2016, quelque 5000 réfugiés sont morts en traversant la Méditerranée, contre 3300 l’année précédente.

Bref, 2016 a été une année terrible.

Un tout-petit a été le premier réfugié à mourir en Méditerranée au mois de janvier le plus meurtrier. En mars, la route des Balkans a été fermée en permanence, piégeant des dizaines de milliers de demandeurs d’asile en Grèce et réduisant les passages de la mer Égée à un filet. En mai, le Kenya a déclaré qu’il fermerait Dadaab, le plus grand camp de réfugiés au monde. En juin, la Grande-Bretagne a voté pour quitter l’Union européenne, grâce en grande partie à une campagne menée par le parti britannique anti-immigration United Kingdom Independence Party, qui a alimenté les craintes sur les réfugiés arrivant dans le pays.

En août, une fuite a révélé que des enfants réfugiés étaient agressés sexuellement dans le camp de Nauru en Australie. Les déportations de réfugiés afghans du Pakistan ont grossi cette année, avec 100 000 rapatriés en septembre seulement. En octobre, l’UE a approuvé un accord visant à expulser un nombre illimité de réfugiés afghans en provenance d’Europe. En novembre, les États-Unis ont voté pour Donald Trump, le candidat républicain à la présidentielle qui s’en est systématiquement pris aux réfugiés pendant sa campagne.

A présent, la crise des réfugiés est souvent traitée en termes d’économie et de sécurité – surtout pendant les périodes électorales – et de plus en plus rarement en termes d’empathie.

Al Jazeera a demandé aux réfugiés, aux organisations de défense des droits humains, aux spécialistes travaillant avec les réfugiés et à ceux qui tentent de rendre les passages dangereux un peu plus sûrs, ce que l’année 2016 signifie pour les réfugiés dans le monde et ce à quoi ils s’attendent en 2017.

Aboud Shalhoub, réfugié syrien en Hollande

[Photo courtesy of Aboud Shalhoub]
[Photo courtesy of Aboud Shalhoub]

“Pour moi, l’année 2016 s’est bien terminée. Je suis en sécurité et en paix avec ma famille en Europe. Nous avons maintenant une vie normale mais des milliers de familles, sans abri, restent bloquées à la frontière.

“Ces gens sont obligés de vivre sous des tentes, dans de mauvaises conditions. C’est dû à certaines décisions politiques qui ont conduit à interdire l’immigration des sans papiers sous toutes ses formes – fermer les frontières, utiliser de la violence, des gaz lacrymogènes et des arrestations – pour arrêter le flot des réfugiés.

“Mais au même moment, nous voyons combien l’Europe et le monde sympathisent avec les réfugiés: ils font campagne pour apporter de la nourriture et des vêtements aux réfugiés sous la bannière de l’aide humanitaire, ils vous donnent de la nourriture et des vêtements, mais tout en nous disant : ‘ne traverser pas les frontières’ ou ‘retourner chez vous’. Pourtant, ce sont nos maisons dévastées par les guerres, la famine ou la violence qui nous ont obligés à quitter nos pays.

“En 2017, j’espère voir quelque chose de vraiment simple : une action réelle pour l’humanité, pas seulement des paroles comme nous l’avons vu jusqu’ici. Je ne parle pas d’ouvrir des frontières et d’appeler à l’immigration, mais de prendre d’autres décisions politiques pour résoudre la crise des réfugiés.

“Nous sommes devenus des réfugiés parce qu’il y a la guerre dans nos pays. Les solutions pour notre crise sont d’arrêter de soutenir les dictatures, d’arrêter de soutenir les groupes qui se battent, cesser d’envoyer des armes et stopper les déplacements forcés.”

Rami, réfugié à Athènes

“Le monde s’est lassé des réfugiés en 2016. Les politiciens ont voulu empêcher les réfugiés de venir. L’islamophobie, avec les problèmes qui sont survenus avec des réfugiés – les fascistes ont utilisé ces choses de façon malhonnête – n’a fait qu’empirer la situation. Certains à gauche se battent jusqu’au bout, parce qu’ils croient en ‘pas de frontières’, et à la solidarité.

L’Europe a dit qu’elle ne voulait plus de musulmans ou de réfugiés, mais beaucoup de gens ont besoin de protection parce que les peuples vivent dans de mauvaises conditions en Syrie ou en Irak. En Syrie, vous avez deux mauvaises options – un […] dictateur ou des islamistes. Quand vous voyez le corps de vos enfants trembler pendant qu’ils dorment parce qu’ils rêvent de mort ou de violence – ce n’est pas normal.

“Si je pouvais dire quelque chose au monde, ce serait : Arrêtez de tuer des gens. Arrêtez la violence.”

Preethi Nallu, éditrice à Refugees Deeply

[Photo courtesy of Preethi Nallu]
[Photo courtesy of Preethi Nallu]

“Les déplacements à l’échelle mondiale se poursuivant à des niveaux record, déclenchés par des raisons inextricablement liées, comme les conflits et le changement climatique, la privation économique et l’apatridie, 2016 a vu remettre en question notre compréhension du terme ‘réfugié’.

“Contre les rapports cacophoniques sur les ‘foules’ qui tentent d’entrer en Europe, nous devons prendre le temps de la réflexion, nous devons faire naître une conscience collective mondiale à l’égard de cette nouvelle ère de migration. C’est la question essentielle de notre époque.

“L’année 2016 a prouvé que la militarisation de la Méditerranée et le renforcement des frontières ne sont pas des solutions durables. Avec la mutation des réseaux de contrebande qui s’étendent jusqu’aux villages du Logar au sud du Sahara, la lutte contre le trafic illicite des migrants n’est pas aussi simple que de tirer à vue sur les contrebandiers, ou ériger de nouvelles barrières.

“Si l’accord entre l’UE et la Turquie a freiné les arrivées en Grèce pour une saison, il s’agit simplement d’un pansement sur une infection. Le nouveau record de l’Italie cette année, avec plus de 171 000 arrivées par mer, est la preuve que ces flux changent simplement d’itinéraire.

“Irrégulier, illégal, clandestin, migrant, réfugié, demandeur d’asile… Au lieu d’user de définitions réductrices, les médias devraient explorer et relier les conditions qui conduisent des millions de personnes à traverser le monde à vouloir franchir des frontières et entreprendre des voyages où ils risquent leur vie.

“En 2017, j’espère que les rapports alarmistes céderont le pas devant une prise de conscience réaliste de ce qui est nécessaire pour intégrer ceux qui sont déjà dans nos communautés. La seule façon d’aller de l’avant est d’explorer des voies pragmatiques pour changer nos systèmes économiques, nos priorités politiques, nos identités sociales et nos niveaux de consommation inégalés qui ont conduit à ce que l’on appelle des échelles de déplacement ‘sans précédent'”.

L’équipe de Médecins Sans Frontières – MSF

Des réfugiés secourus par l'Aquarius le 22 juillet 2016. © MSF
Des réfugiés secourus par l’Aquarius le 22 juillet 2016. © MSF

“En 2016, le monde a échoué de façon catastrophique à secourir des millions de personnes fuyant la guerre, la persécution et le désespoir. Les calculs politiciens et l’égocentrisme l’ont emporté sur les obligations morales et juridiques d’offrir protection et assistance aux personnes dans le besoin. Les pays du monde entier ont mis en œuvre des politiques néfastes en matière de migration et d’asile – augmentant les souffrances des personnes en mouvement en leur refusant systématiquement l’aide humanitaire et toute forme de dignité.

“Comme une maladie contagieuse, des murs, des clôtures et des mesures restrictives aux frontières ont été disséminés dans le monde, avec des conséquences mortelles : 7200 personnes sont mortes aux frontières dont plus de 5 000 dans la mer Méditerranée.

“Les États ont continué à adopter des mesures cyniques pour garder hors de leur vue les gens dans le besoin, signant des accords avec des pays tiers conditionnant l’aide au développement à un programme de contrôle aux frontières. Le traité UE- Turquie est peut-être le plus répréhensible, car il a montré au monde que vous pouvez externaliser la responsabilité d’offrir une protection aux réfugiés tout en limitant dangereusement leur droit de demander l’asile.

“2017 doit être l’année où l’on choisit d’en revenir à la dignité humaine et à la valeur de la vie humaine. Sinon, le monde continuera à ne pas assurer de protection aux plus vulnérables, imposant plus de souffrance sur ceux qui méritent bien plus que l’indignité dont ils ont été les victimes.”

Alarmphone (réseau de militants fournissant une hotline pour les réfugiés en détresse en mer)

“Les gouvernements européens ont réagi violemment aux mouvements migratoires historiques de 2015, rendant les déplacements de migrants non autorisés plus longs, plus coûteux, plus dangereux et plus mortels … Les lois de Dublin sont remises en vigueur avec force et il faut craindre que les déportations de masse ne soient nombreuses en 2017.

“La mer a été encore plus militarisée, les forces de l’UE formant même les gardes-côtes libyens dans la façon d’intercepter les migrants voulant fuir un lieu déchiré par la guerre.

“Pourtant, les réfugiés continuent de traverser… Cette année, plus de 350 000 personnes sont arrivées en Europe par la mer.

“Nous continuerons d’appuyer ces mouvements de désobéissance civile en 2017. Au cours de l’année à venir, nous lutterons pour rendre les passages par la mer un peu moins dangereux comme nous l’avons fait au cours des deux dernières années, lorsque nous avons assisté plus de 1750 bateaux. Nous sommes déterminés à donner de la voix contre ceux qui manifestent de l’hostilité envers les nouveaux arrivants, qui prêchent la haine et cherchent à nous diviser.

“Nous accueillons ceux qui ont dû risquer leur vie pour trouver une protection dans une nouvelle communauté, transfrontalière accueillante et ouverte, basée sur les principes de la justice mondiale et de la liberté de mouvement pour tous.

“Nous pensons qu’un monde sans frontières est possible, où Frontex et les trafiquants auront alors disparu.”

Ramy Abdu, Président de l’Observatoire Euro-Méditerranéen pour les Droits de l’Homme

[Photo courtesy of Ramy Abdu]
[Photo courtesy of Ramy Abdu]

“L’année 2016 était en effet une des pires périodes pour les réfugiés, non seulement avec le plus grand nombre de décès à ce jour mais aussi avec une xénophobie croissante. Cette xénophobie a accru la popularité des politiciens de droite et certains gouvernements construisent des murs coûteux de séparation, cherchant de nouveaux moyens de repousser les réfugiés plutôt que de s’attaquer aux causes profondes et aux implications humanitaires.

De même, le plus ancien groupe de réfugiés “fixés à l’écart” – les Palestiniens – vit depuis des décennies sous occupation, et chaque mesure de son oppression s’est renforcée.

“Cependant, il y a lieu d’être optimiste aussi, avec des enquêtes montrant que la majorité des gens accueillent les réfugiés et appuient de plus en plus les actions pour soutenir les droits des Palestiniens, comme les campagnes de boycotts. Cela montre que les gouvernements et les hommes politiques sont clairement hors de tout contact non seulement avec l’humanité de leurs citoyens, mais aussi avec les avantages à long terme apportés par les immigrants, dont les réfugiés.

“Malheureusement, la situation des réfugiés peut empirer avant que la situation ne s’améliore, selon les résultats de certaines élections à venir. Tant que les puissances extérieures mèneront des guerres par procuration dans des pays comme le Yémen, la Syrie et l’Irak, des actes terroristes continueront à se produire sur leur sol, et les demandeurs d’asile et les immigrants en seront tenus pour responsables.

“Il est de la responsabilité de ceux d’entre nous qui travaillent avec les réfugiés de faire beaucoup plus pour montrer la contribution importante apportée par ces personnes, historiquement et aujourd’hui.”

* Anealla Safdar est éditrice adjointe de Al-Jazeera version anglaise.
Elle peut être jointe sur Twitter : @anealla


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Patrick O. Strickland * Patrick O. Strickland est un journaliste et grand reporter américain indépendant spécialiste des questions de justice sociale et des droits humains au Moyen-Orient et spécialement en Palestine. Il écrit pour de nombreux médias notamment al-Jazira, Alternet, VICE News, Deutsche Welle, Syria Deeply, AlterNet, Electronic intifada, Socialist Worker etc …
Son compte Twitter : @P_Strickland_

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29 décembre 2016 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah