Opération “Jérusalem, capitale d’Israël” : deuxième Déclaration Balfour ou OTAN israélo-arabe?

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24 juillet 2015 - Grand rassemblement sur l’Esplanade des Mosquées après une série d'agressions à l'initiative de fanatiques juifs - Photo: Fiaz Abu-Rmeleh/Activestills.org
Luciana Bohne On ne peut qu’admirer le brio cynique avec lequel la mascarade électorale des Etats-Unis a porté Donald Trump à la présidence. Du point de vue de l’establishment états-unien entreprenant comme Robinson Crusoé, l’arriviste « injurieux », voire brute impie, l’Homme Vendredi, bien que riche comme Crésus, a usurpé la gestion de l’ile exceptionnelle, Etats-Unis ainsi que de l’imaginaire Ville lumineuse bénie de dieu sur la colline.

C’est un exploit. Bien que le Président Vendredi ne soit que l’expression condensée et ouverte de leur vulgarité économique prédatrice, l’establishment Crusoé pousse des cris d’orfraie hypocrites, « Pourquoi Dieu me fait-il ceci ? Qu’ai-je fais pour mériter ceci ? » Malgré leurs protestations, le Président Vendredi fait exactement ce que tout président Crusoé républicain ou démocrate aurait fait (et a fait avec des conséquences abominables en politique intérieure et étrangère pendant les quatre dernières décennies), mais un président Vendredi grossier, rustre et politiquement incorrect a un côté pratique parce que ses déclarations politiques outrancières, bien que n’étant pas en contradiction réelle avec le consensus bipartite des quarante dernières années, peut être publiquement désavoué.

On se souviendra de Trump comme du « président possiblement désavouable. » Cet effet n’est nulle part plus évident que dans la politique étrangère de Trump.

Prenons son dernier fiasco manifeste sur la question de Jérusalem. Sa déclaration à propos du corpus separatum de Jérusalem affirmant que c’était la capitale d’Israël, acte au premier abord arbitraire, non nécessaire, éminemment illégal et irrationnel s’est attirée des regrets plaintifs à l’intérieur, et à l’étranger des condamnations sentencieuses de ces vassaux européens toujours perfides, et des protestations véhémentes de la part des principaux clients compradors des États-Unis du monde arabo-musulman.

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Mais de quoi se plaint-on ? D’après l’élite fermée de la « communauté internationale, » cet imbécile de Trump a pris une décision « irréfléchie », qui rompt avec des décennies de neutralité états-unienne sur la « question la plus sensible » du Moyen-Orient et qui nuit au « processus de paix » reporté à l’infini depuis des décennies.

De quelle « neutralité » parle-t-on ? Pour commencer, l’occupation historique de la Palestine par les colons sionistes n’aurait pu perdurer sans le soutien de l’impérialisme britannique et de son héritier d’après guerre, l’impérialisme américain. Le 9 novembre 1917, deux jours après que les Bolcheviks eurent pris d’assaut le Palais d’hiver et quelques semaines seulement avant qu’ils ne « libèrent » les dossiers du Tsar et porte à la connaissance du monde l’accord secret Sykes-Picot qui partageait ignominieusement la région impériale ottomane du Moyen-Orient entre la Grande Bretagne et la France, le ministre des affaires étrangères britannique, Arthur James Balfour, promit publiquement de donner la terre de Palestine aux planificateurs de l’organisation sioniste pour qu’ils recréent la Palestine en tant que foyer national juif.

Ça aurait pu marcher, mais malheureusement les Arabes palestiniens se sont révoltés. Ils possédaient 91 pour cent de la terre de Palestine tandis que les juifs palestiniens n’en possédaient que 7, dont la terre acquise par l’agence sioniste de Palestine (branche spéciale de l’Organisation sioniste mondiale) depuis 1917 en vue de l’implantation d’immigrants juifs. La révolte arabe de 1936-39 en Palestine, exigeant l’indépendance vis-à-vis de la puissance mandataire britannique et la fin de l’immigration juive et de l’achat de terres obligea le Ministère des Affaires étrangères britannique à faire la proposition d’une solution prévoyant deux états, qui finalement se traduisit en 1948 par l’attribution de 60% de la Palestine à Israël ; 40 pour cent pour la Palestine, ainsi que la reconnaissance immédiate de l’état indépendant d’Israël et seulement un statut nébuleux provisoire pour la Palestine.

Finalement, le soleil finit par se coucher sur l’Empire britannique. En 1953 déjà, alors qu’une guerre occupait la France dans sa colonie d’Indochine qu’elle allait perdre (1954) et qu’une autre guerre allait lui faire perdre sa colonie algérienne (1962), la Grande Bretagne se tournait vers Washington sébile à la main, pour quémander de l’aide afin de renverser le premier ministre iranien démocratiquement élu, Mossadegh. Washington accepta à condition que Londres lui cédât 40 pour cent des intérêts de la Persian Oil. La CIA organisa alors un coup d’état, qui fit de l’Iran du Shah Pahlavi le chien de garde théâtralement impérial et sanglant de l’Amérique au Moyen-Orient pendant deux décennies et demie.

La « crise du canal de Suez » de 1956 raya officiellement l’Empire Britannique de la carte du monde, lorsque avec la France, il fut renvoyé dans ses foyers sans cérémonie par la nouvelle puissance hégémonique au Moyen-Orient et dans le monde, les États-Unis. Israël, qui s’était entendu avec la Grande Bretagne et la France contre l’Égypte de Nasser , comprit à quelles basques il fallait s’accrocher pour continuer à exproprier et coloniser la Palestine, mais il fallut la « guerre des sept jours » de 1967 pour que les États-Unis ne commencent à investir sérieusement dans l’armée israélienne – aujourd’hui, 3 milliards de dollars par an – en tant que force de police capable de causer des dissensions et de faire obstruction à l’unité arabe, et de couper court au nationalisme arabe laïque en manipulant la question palestinienne.

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Quant au « processus de paix » : les négociations ne furent qu’un stratagème à répétition visant à gagner du temps pour permettre à Israël de consolider sa mainmise sur les territoires occupés. Cent ans après la Déclaration Balfour et cinquante ans après la résolution 242 de l’ONU qui requiert le retrait d’Israël des territoires occupés lors de la guerre de 1967 (qu’Israël a renommé les « territoires contestés, » pour échapper aux Conventions de Genève et ne pas tenir compte de la résolution 242), le colonialisme d’Israël se distingue des pratiques néocoloniales d’aujourd’hui d’inféodation des espaces du tiers monde par des moyens économiques en ce qu’il est un exemple de colonialisme européen du 19ième siècle : un état de colonisation de peuplement raciste et ségrégationniste.

Étant donné que les déclarations des droits de l’homme le droit international sont tous du côté des Palestiniens, de leurs droits de résister à l’occupation et de leur lutte pour l’indépendance, la « neutralité » n’est pas de mise. Toutefois, au cours des cinquante années qui se sont écoulées depuis 1967, les États-Unis ont endossé le rôle « de médiateur honnête » dans ce simulacre de neutralité appelé « processus de paix » invitant toute la « communauté internationale » et les Palestiniens eux-mêmes à soutenir une solution à deux états, ne faisant rien néanmoins pendant ce temps pour mettre un terme à la construction illégale par Israël de colonies dans les territoires occupés, à la confiscation de terres palestiniennes, à la démolition de maisons palestiniennes, à la multitude de mesures et politiques de nettoyage ethnique, à l’humiliation causées par les check points et les routes réservées aux Israéliens, aux murs de ghetto, et aux bombardements de terreurs périodiques de Gaza, aux invasions de tanks d’enclaves palestiniennes et de camps de réfugiés, aux arrestations en masse, aux fouilles, et détentions, soit à une occupation que le rapporteur spécial pour l’ONU, Richard Falk, a qualifiée « d’affront au droit international. »

Si la déclaration soi-disant précipitée de Trump de déplacer l’ambassade états-unienne de Tel Aviv à Jérusalem n’a ni mis fin à une politique de neutralité états-unienne inexistante , ni interrompu le mirage virtuel du processus de paix, pourquoi, alors, l’a-t-il fait ? Est-ce parce qu’il est « idiot» ? Après tout, peu de temps après avoir fait sa déclaration il l’a reniée, disant que le déménagement de l’ambassade américaine de Tel Aviv à Jérusalem ne surviendrait pas avant au moins six mois. En utilisant le Jerusalem Embassy Act de 1995, qui accorde à l’exécutif la prérogative de repousser de six mois en six mois le déplacement de l’ambassade, il a agi exactement comme l’avaient fait ses prédécesseurs, Clinton, Bush, et Obama ; soutenant la démarche en principe mais la remettant à plus tard pour préserver l’équilibre des alliances états-uniennes à la fois avec ses clients arabes et israéliens (le sénateur Bob Dole avait tenté de rendre le déménagement obligatoire mais avait échoué). Selon le Jerusalem Embassy Act, le report de l’exécutif est valide tant que le président « estime que cette suspension est nécessaire à la protection des intérêts de sécurité nationale des États-Unis, et qu’il en informe le Congrès à l’avance. »

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Non, il n’est pas idiot (au sens d’autosatisfaction et rassurant) – c’est exactement la suffisance dont font preuve ces démocrates qui à la suite d’Hillary Clinton balaient d’un revers de la main la moitié des électeurs de Trump en les qualifiant de « panier de ratés. » Ce qui était « idiot » c’est la mise en œuvre par l’administration Bush/Obama du plan d’attaque de sept pays du Moyen-Orient en Cinq ans. A part mettre en ruines plusieurs pays, commettre des crimes de guerre, et des crimes contre l’humanité, le plan s’est enlisé en Syrie à la fin de l’administration Obama. Ce qui est « idiot » c’est que Trump doit gérer une stratégie états-unienne bloquée au Moyen-Orient qu’il a reçu en héritage.

L’axe américano-israélo-saoudien a échoué dans sa tentative de « re-stabiliser » le Moyen-Orient dans l’intérêt de ses membres – en grande partie du fait de l’EI en Syrie et en Irak. Cette défaite a renforcé l’Iran comme puissance régionale, récemment consolidée grâce à l’alliance victorieuse de l’Iran avec le Hezbollah et la Russie en Syrie. Les conséquences désastreuses des mésaventures Bush-Obama au Moyen-Orient nécessitent maintenant un changement de cap radical. Si la voie vers l’Iran ne peut plus passer par Damas, pourquoi ne pas essayer Jérusalem ? Pourquoi ne pas utiliser la carte de Jérusalem pour fournir aux satrapies arabes une excuse diplomatique pour officialiser l’alliance souterraine de fait depuis peu, par exemple, entre Israël et l’Arabie Saoudite ?

Si les États-Unis reconnaissent Jérusalem comme capitale d’Israël, eh bien cela devient une réalité sur le terrain. Cela signifie que les États-Unis ont pris parti ; cela signifie une alliance dépourvue d’ambiguïté entre les États-Unis et Israël contre l’Iran. Est-ce que les satrapies arabes peuvent rejeter l’occasion de se joindre à cette alliance quand l’objectif est l’Iran et les profits fabuleux à en tirer ? Après tout, il était coutume de dire si l’Amérique éternue, le reste du monde s’enrhume, ainsi lorsque Trump expectora qu’ « Jérusalem est la capitale d’Israël, » ses conseillers peuvent très bien avoir parié que les dirigeants arabes contracteraient une bronchite et qu’ils en chercheraient le remède à Tel Aviv. Peu importe, probablement, que la morve fût immédiatement essuyée : l’écart de la déclaration de la Maison Blanche procurera peut-être une couverture suffisante pour justifier une alliance officielle avec Israël dans la quête de renverser l’Iran.

Du moins c’est ce que pense la Maison Blanche : une OTAN israélo-arabe avec pour capitale Jérusalem. Le monde a ricané lorsque l’ « idiot » de Trump a émis l’idée d’une OTAN arabe à Riyad en avril dernier. Mais le voici, ce scénario bizarre admis par le Washington Post, ce torchon de la CIA.

Le pari de Trump donc porte moins sur les perspectives de paix israélo-palestinienne que sur la possibilité d’une alliance israélo-arabe contre l’Iran en son absence. La coopération tacite d’Israël avec les états du Golfe contre l’Iran, maintenue longtemps dans l’ombre, est de plus en plus rendue visible malgré l’absence d’une paix israélo-palestinienne. La tactique de Jérusalem pourrait très bien forcer une reconnaissance publique de cet alignement semi privé.

L’analyse du Washington Post admet que la démarche de Trump concernant Jérusalem est un pari. Elle laisse tomber la comédie du « processus de paix, » le masque états-unien du «médiateur honnête, » et tout le simulacre de neutralité. Elle privilégie un camp de l’ancien équilibre des alliances – celui d’Israël – et contraint le camp arabe à accepter officiellement le déséquilibre, tenant la carotte de Téhéran au bout du méchant bâton.

L’accord va-t-il marcher ? Seul le temps nous le dira, mais c’est certainement un signe du déclin de la puissance et de la diplomatie américaines au Moyen-Orient, étant donné qu’il est révélateur de l’incapacité des États-Unis à « gouverner » leurs alliés régionaux avec même le semblant de neutralité d’autrefois. Il consacre le nettoyage ethnique historique et en cours des Palestiniens, qui voulaient que Jérusalem soit la capitale du futur état qui leur a été promis. Une fois leur capitale expropriée, comment peut-on sérieusement croire à la promesse d’un état ? Et en Israël de l’apartheid, quel choix s’offre à eux si ce n’est la révolte ou la soumission ? La seule chose que l’on puisse attendre de ce changement de cap, par conséquent, c’est bien sûr une augmentation de la tension, de la violence, de l’illégalité, alors que l’Iran demeure – et heureusement pour la paix fragile du monde – un lointain objectif fou, désespéré, et incroyablement obstiné.

* Luciana Bohne est co-fondatrice de Film Criticism, revue d’études cinématographiques, et enseigne à la Edinboro University en Pennsylvanie. Pour la contacter: lbohne@edinboro.edu

15 décembre 2017 – Counterpunch – Traduction: Chronique de Palestine – MJB